Un océan de solutions ?
Face aux défis posés par le changement climatique, par l’alimentation des milliards d’êtres humains ou encore par l’économie mondialisée, l’océan se situe au cœur des questions. Les solutions qu’il nous offre sont nombreuses : source d’énergie renouvelable, minerais pour l’industrie de demain, ressources halieutiques, transport à bon marché, stockage de carbone, source de molécules pour les biotechnologies, sans compter l’attrait pour les zones côtières et leurs fonctions récréatives. Un certain enthousiasme est de mise. Pourtant les messages d’alerte sont tout aussi nombreux. L’impact des activités humaines, la surexploitation des ressources, les pollutions (notamment par le plastique), l’élévation du niveau de la mer ou encore l’augmentation des événements extrêmes incitent à un discours plus prudent. L’océan est indéniablement une source de solutions, mais il n’est pas inépuisable.
La transition énergétique qui est à l’œuvre demande de développer rapidement la production d’électricité et l’électrification de ce qui est encore dépendant des hydrocarbures. Du côté de la mer, le potentiel d’énergies renouvelables paraît à la hauteur de l’enjeu : marées, houle, courants, vent, énergie thermique, toutes les pistes sont explorées. Néanmoins, la seule qui soit exploitable avec une technologie mature et à l’échelle de production souhaitée est pour l’instant l’éolien.
L’océan, ressource pour la transition énergétique
Les objectifs français sont de 18 GW de puissance installée en 2030 et de 40 GW en 2050. Au niveau européen les objectifs sont respectivement de 60 GW et 340 GW. Paradoxalement, la France n’est pas la mieux placée, malgré l’importance de son domaine maritime. Pour l’éolien posé (la machine repose sur des fondations), la profondeur peut difficilement dépasser 50 m. Si l’on ajoute le souhait d’éloigner les fermes éoliennes de la côte, le potentiel est essentiellement dans la Manche (pour l’Europe, en mer du Nord).
L’éolien flottant (la machine repose sur un flotteur ancré), en phase de développement industriel, élargit le potentiel au plateau continental, c’est-à-dire en pratique dans le golfe de Gascogne et le golfe du Lion. Les outre-mer, pour l’instant, sont handicapées par le risque cyclonique ou un relatif isolement par rapport aux bases industrielles possibles. Des infrastructures portuaires et industrielles sont en effet nécessaires pour assurer la construction et l’entretien des centaines de machines qui vont être installées, dont la taille dépasse largement celle des éoliennes terrestres. Les ports sont donc particulièrement sollicités pour accompagner ces investissements.
Les zones industrialo-portuaires sont même considérées comme des lieux privilégiés pour accueillir les industries de la transition écologique (Marseille et Dunkerque par exemple se positionnent comme hub pour l’hydrogène décarboné). Si nous tirons un peu plus le fil, la transition énergétique c’est aussi une question de minerais et de terres rares, qui font regarder vers les ressources existantes dans les grands fonds marins. Mais des inquiétudes sérieuses concernant l’impact d’une exploitation minière dans les abysses rendent cette perspective controversée au niveau international : la France a d’ailleurs pris position en faveur d’un moratoire sur l’exploration minière dans les grands fonds.
Une vaste voie de communication
Le transport maritime est donné pour véhiculer 80 % du commerce international, à un prix modéré qui a permis les concentrations et spécialisations réparties à travers la planète et la mondialisation qui en résulte. Le propos n’est pas ici de juger des bénéfices de celle-ci. La possibilité du transport maritime est de fait un atout, mais il a lui aussi des impacts non négligeables sur l’environnement : pollution aux oxydes d’azote et de soufre, microparticules, émission de gaz à effet de serre, collisions avec les mammifères marins, vecteurs d’espèces exotiques envahissantes.
L’organisation maritime internationale a déjà mis en place de nombreuses mesures pour les limiter, par exemple des règles sur les émissions polluantes ou des zones maritimes particulièrement vulnérables dans lesquelles une réglementation spéciale est édictée. L’objectif majeur est sans doute sa décarbonation, dont l’objectif est affiché, mais qui reste lointain. L’espoir est néanmoins de mise, de nombreuses initiatives ont vu le jour, par exemple sur le recours à la propulsion d’appoint par le vent et, pourquoi pas ? pour le retour à des cargos à voile, de taille modeste pour l’instant (par exemple les armateurs Grain de Sail et TOWT, TransOceanic Wind Transport).
Une mer nourricière ?
Comme l’indique l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production halieutique et aquacole continue d’augmenter et dépasse désormais 210 millions de tonnes ; un accroissement deux fois plus rapide que celui de la population mondiale depuis les années 1960. La production mondiale de la pêche maritime plafonne, elle, depuis les années 1980 (autour de 90 millions de tonnes). La FAO estime qu’elle pourrait encore augmenter, durablement, en mettant fin à la surexploitation de certaines ressources. Celle-ci progresse malheureusement depuis les années 1970 sur le plan mondial. Les situations sont toutefois très contrastées d’une région à l’autre.
Les pêches maritimes
En Europe et en France, la gestion des pêches maritimes a connu des changements radicaux au début des années 2000, avec des conséquences positives. Au niveau de l’UE, le point essentiel est la fin des subventions à la construction de navires actée en 2002. En France, la politique de contrôle des pêches s’est enfin affirmée au milieu des années 2000 sous l’effet d’un contentieux européen particulièrement lourd.
Parallèlement, la gestion des quotas de pêche s’est enfin précisée, rompant avec les règles antérieures qui entretenaient la « course au poisson ». Ainsi, depuis le milieu des années 2000, la pression de pêche diminue continûment sur les ressources exploitées par les navires français en Atlantique. La biomasse de thon rouge de l’Atlantique Est et de Méditerranée a triplé, signe de la bonne marche d’un plan de reconstitution international où la France tient une part importante.
Ces réussites ne doivent pas masquer la persistance de difficultés majeures comme la forte surexploitation des ressources de fond en Méditerranée, les impacts de la pêche sur les mammifères marins en Atlantique ou les effets du chalutage sur les habitats benthiques. Au niveau mondial, les carences de la gouvernance dans certaines zones offrent un terrain favorable à la pêche illégale, notamment dans les eaux internationales.
L’aquaculture
Si la pêche plafonne, l’aquaculture, elle, progresse dans des proportions colossales sur le plan mondial, avec de fortes préoccupations quant à son impact environnemental. En France, la conchyliculture est bien implantée dans les bassins historiques, mais reste très dépendante de la qualité physico-chimique ou biologique des eaux, que ne maîtrisent évidemment pas les producteurs. La pisciculture marine, de son côté, est confrontée en France à la difficulté récurrente d’accès à l’espace et cherche des solutions nouvelles, par exemple en profitant des espaces dédiés à l’éolien en mer ou encore en pariant sur l’aquaculture multi-trophique intégrée (AMTI) qui est susceptible de réduire l’empreinte environnementale de l’activité.
La planification de l’espace maritime
Puisque la mer est de plus en plus sollicitée, les conflits d’usage sont de plus en plus nombreux. L’éolien en est un bon exemple et un sujet particulièrement vif au moment de chercher l’emplacement des futurs 40 GW. L’installation d’une ferme éolienne va constituer un obstacle au trafic maritime, être incompatible avec une pêche au chalut (métier très largement majoritaire au sein de la flotte française), provoquer des désagréments paysagers si elle est trop proche de la côte.
À l’inverse, elle-même ne pourra pas être installée dans certaines zones de Défense nationale, elle ne doit pas perturber les moyens de surveillance radar et doit se tenir à l’écart des rails de navigation. Elle doit également éviter les impacts sur l’environnement, en particulier les zones sensibles pour l’avifaune. De façon générale, l’idée qu’une planification de l’espace maritime est nécessaire s’est développée depuis une quinzaine d’années, au niveau international notamment avec des travaux de la Commission océanographique internationale à l’Unesco, puis au niveau européen avec l’adoption d’une directive en 2014. Elle vise autant à donner de la visibilité aux investisseurs et à faciliter le développement des activités qu’à minimiser les impacts sur le milieu marin.
Comment planifier ?
En localisant les enjeux pour l’environnement et pour les activités (présentes et potentielles), en définissant et en répartissant au mieux dans l’espace maritime les objectifs stratégiques sous la forme d’une carte des vocations, en réservant des zones particulières à une activité ou à la protection de la nature, et enfin en mettant en place une gouvernance qui permette une concertation permanente avec les parties prenantes.
“En France la Stratégie nationale pour la mer et le littoral donne un cadre général de planification.”
En France, la Stratégie nationale pour la mer et le littoral donne un cadre général de planification, puis des documents stratégiques pour chaque façade maritime en métropole et bassin maritime outre-mer la mettent en œuvre. Leur révision, prévue tous les six ans, commence en ce moment même par un débat public sous l’égide de la Commission nationale du débat public. À l’ordre du jour dominent le développement de l’éolien et de l’aquaculture ainsi que la mise en place de zones de protection forte.
Protéger la machine océan
Les aires marines protégées (AMP) sont une composante importante de la planification de l’espace maritime. Elles visent à protéger la biodiversité marine, tout en poursuivant selon les cas d’autres objectifs. Dans certaines AMP, le pari est fait que, en conjuguant l’apport de connaissances, l’association des parties prenantes et leur mise en responsabilité dans une gouvernance adaptée, des solutions pourront être développées pour concilier un bon fonctionnement des écosystèmes avec le développement durable des usages en mer : c’est le cas des parcs naturels marins en France, à l’image du plus ancien d’entre eux, le Parc naturel marin d’Iroise qui entoure la pointe du Finistère.
Dans d’autres cas (« protections fortes »), il s’agit de réduire le plus possible les pressions pour remplir un objectif prioritaire de protection de la biodiversité ; c’est par exemple le cas des réserves naturelles ou des cœurs de parcs nationaux (comme la réserve naturelle nationale des Bouches de Bonifacio, la zone cœur du Parc national des Calanques ou, à une tout autre échelle, la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises).
Les AMP françaises relèvent très majoritairement de la première catégorie, les protections fortes étant aujourd’hui encore concentrées dans des eaux lointaines et peu fréquentées (notamment autour des îles subantarctiques) ou limitées, en métropole, à des surfaces extrêmement réduites. Garantir la résilience des écosystèmes avec les AMP permet du même coup d’agir sur le sujet climatique. C’est vrai en matière d’adaptation : mieux vaut des récifs coralliens en bonne santé pour affronter les effets conjugués de l’acidification, du réchauffement et de la montée des eaux. Cela peut être également vrai en matière d’atténuation, dans certains contextes, par exemple avec la posidonie.
Le cas de la posidonie
Protéger la posidonie en Méditerranée apporte de nombreux bénéfices : zone de frayère et de refuge pour de nombreux organismes dont certains sont exploités, ressource alimentaire pour des poissons herbivores, oxygénation et purification de l’eau, protection contre l’érosion du littoral, hot spot de biodiversité… et puits naturel de carbone. L’effet est loin d’être négligeable, les herbiers de posidonie couvrant plus de 2 millions d’hectares en Méditerranée et un hectare pouvant séquestrer 2 500 à 3 000 t équivalent CO2 sur plusieurs milliers d’années.
Les menaces sont nombreuses ; l’exemple des ancrages des « superyachts » est particulièrement emblématique car les destructions occasionnées peuvent être importantes. Des solutions (zones d’interdiction, coffres, zones de mouillage et d’équipement léger…) ont été mises en place sous l’impulsion des autorités maritimes, en mobilisant les gestionnaires d’aire marine protégée. Malgré ces avancées, qui supposent beaucoup de concertation avec les acteurs concernés, les élus du littoral provençal, etc., la posidonie reste dans « un état de conservation défavorable ».
Des solutions fondées sur la nature
À l’interface terre-mer, très convoitée mais menacée par les risques côtiers et le changement climatique, la nature peut être une alliée pour se protéger contre les risques. Ainsi, la restauration des dynamiques hydrosédimentaires, l’enlèvement des épaves, la dépoldérisation des marais littoraux, la restauration des petits fonds marins… sont autant de « solutions fondées sur la nature » qui peuvent permettre d’appréhender le risque inondation, de répondre au risque de submersion marine et plus globalement de retrouver des écosystèmes fonctionnels.
Dans la vallée de la Basse Saâne, un projet financé par l’Union européenne a permis d’adapter ou de déplacer des équipements inadaptés face aux impacts du changement climatique (l’ancien camping, l’artificialisation de la rivière, la buse par laquelle se déverse aujourd’hui la Saâne) dans une logique de recomposition spatiale de la vallée, qui au passage engendrera un gain de séquestration de carbone.
La communauté de communes de Coutances parie elle aussi sur le collectif pour sortir d’approches très locales et individuelles de protection vis-à-vis de l’érosion du trait de côte, souvent coûteuses et peu efficaces, comme les enrochements : se placer à la bonne échelle hydrosédimentaire (du cap de Flamanville à la pointe du Roc à Granville) et donner sa place à une protection « douce » du littoral, tout en identifiant des solutions pour les acteurs dont les infrastructures devront immanquablement se déplacer (campings, bâtiments servant à la conchyliculture…), au profit d’une meilleure protection de la population dans son ensemble vis-à-vis des risques de submersion.
À consommer avec modération !
L’océan est déjà pourvoyeur de nombreux biens et services. Certains jusqu’à leur limite dans le cas de la pêche, d’autres sous-évalués et menacés comme dans l’exemple des herbiers de posidonie, d’autres enfin menacés par les impacts des activités humaines. De toute évidence il présente un potentiel supplémentaire considérable pour apporter des solutions aux défis de la transition écologique. Mais est-ce simplement pour aller chercher en mer ce qui commence à manquer à terre ? Cela ne serait pas vraiment une transition, juste une perpétuation d’un système dont on a pris conscience des limites. Alors l’océan porteur de solutions, oui, mais modérément et avec circonspection, à l’appui d’une vraie transition écologique.