Un polytechnicien au cœur de la tourmente vietnamienne : Hoàng XuÂn Hãn (30), 1909–1996
C’était un érudit, une figure respectée parmi les Vietnamiens, au pays même, comme dans les communautés en exil. Installé en France depuis 1951, il nous a quittés le 10 mars 1996 à l’âge de 88 ans, brusquement interrompu dans un travail de recherche qu’il a poursuivi avec passion jusqu’aux derniers jours.
Hoàng Xuân Hãn (30) est né d’une famille de lettrés, dans le district de La-Son, province de Hà-tinh. Toute cette région est connue pour la pauvreté de son sol mais, comme pour compenser l’ingratitude de la nature, elle a depuis toujours produit des hommes remarquables par la vigueur de leur intellect. Au cours de l’histoire, elle a donné au pays nombre de personnalités qui ont compté au premier rang parmi leurs compatriotes : le poète Nguyên Du (1765−1820), véritable créateur de la langue vietnamienne moderne, Hô Chi Minh… La liste en serait fastidieuse pour le lecteur français.
Notre camarade avait, du côté maternel, un ancêtre célèbre que l’histoire du Viêt-nam a retenu sous le nom d’Ermite de La-Son : en 1789, l’empereur Quang Trung conduisant son armée vers le Nord, s’arrêta dans la région pour le consulter, avant d’aller écraser l’armée d’invasion des Qing, forte, de deux cent mille hommes.
Son enfance se passa au village, dans ce paysage grandiose de montagnes et de rivières, où la cordillère annamitique descend vers la mer. Sa première formation fut celle d’un enfant d’autrefois, qui se rendait chez le lettré du village pour apprendre à calligraphier les caractères chinois. L’ancienne écriture vietnamienne était construite à partir des idéogrammes chinois et notre camarade allait, dès l’âge de neuf dix ans, découvrir lui-même les règles de formation de cette écriture, en cherchant à déchiffrer les livres de la bibliothèque paternelle.
Mais à cette époque, pour écrire en vietnamien, on commençait déjà à employer couramment la transcription latine codifiée dès le XVIIe siècle par le jésuite Alexandre de Rhodes. Bientôt, l’enfant apprit aussi cette écriture latine, puis jusqu’à l’âge de treize ans fréquenta ce qu’on appelait alors une école franco-annamite. Il y avait dans l’Indochine de l’époque une trentaine d’écoles de cette sorte, où l’enseignement était donné en français par des maîtres qui avaient de notre langue une connaissance assez approximative.
Plus tard, il sera admis sur concours à l’école provinciale de Vinh, puis au lycée du Protectorat à Hanoi. Un lycée de même type existait à Saigon. C’étaient des lycées français destinés aux Vietnamiens. Les cours étaient assurés par des Français ou des Vietnamiens véritablement francophones. Le français était en principe obligatoire, même aux heures de récréation ; mais cette dernière règle était, bien entendu, complètement ignorée. La sanction normale des études était un baccalauréat local. Le jeune Hoàng Xuân Hãn prépara seul la première partie du baccalauréat métropolitain qu’il passa brillamment. Ce succès lui ouvrit les portes du lycée Albert Sarraut, le lycée français de Hanoi, où quelques Vietnamiens étaient admis, soit en raison de la position sociale de leur famille, soit en raison d’une réussite scolaire exceptionnelle.
La distribution des prix cette année-là (1928) était présidée par un général d’artillerie, très probablement un camarade. En remettant le prix d’excellence au jeune homme encore tout émerveillé de découvrir l’Éducation nationale française (les Vietnamiens n’ont pas l’esprit critique aussi poussé que nous), le général lui donna le conseil d’aller en France se présenter à l’École polytechnique.
Reçu aussi à l’École normale supérieure, le bizuth du lycée Saint-Louis optera pour notre École, puis complétera sa formation par l’école des Ponts et Chaussées dont il sortira avec le titre d’ingénieur civil (1934).
Dès ces années d’études, notre camarade était déjà un grand lettré du royaume. L’empereur Bao Dai encore adolescent et séjournant alors à Paris voulut le voir souvent. Mais lui-même était bien trop jeune encore pour savoir inculquer à son jeune souverain les vertus si nécessaires à un monarque.
De retour à ce qui était alors l’Indochine française, il ne put trouver un emploi décent. Un camarade lui conseilla amicalement d’aller s’installer en France où il serait assuré de pouvoir vivre. Notre camarade décida alors de donner une autre orientation à sa carrière. Il revint en France et passa l’agrégation de mathématiques (1936). De retour à Hanoi, il fut nommé au lycée du Protectorat. C’était l’année du Front populaire qui pour les peuples colonisés sonnait comme un espoir qui devait être vite déçu.
L’exclusion dont notre camarade était frappé eut sans doute des conséquences heureuses. Son activité d’enseignant au lycée d’abord, puis simultanément à l’université qui s’ouvrait à Hanoi (où il occupa la chaire de Mécanique rationnelle) lui laissa le loisir d’entreprendre des travaux de recherches sur l’histoire et la langue vietnamiennes dont les Vietnamiens lui garderont toujours une profonde gratitude.
Il était complètement autodidacte dans les disciplines historiques et littéraires. Sa formation scientifique lui permit de se forger une méthode de travail qui inspire encore les chercheurs vietnamiens actuels. Sa connaissance approfondie des idéogrammes chinois et de l’ancienne écriture vietnamienne lui fut une aide précieuse pour découvrir des documents qui éclairent d’un jour nouveau de nombreux épisodes de l’histoire du Viêt-nam.
Sa première incursion fut dans le village de son lointain ancêtre, l’Ermite de La-son (1939). Chez ses cousins, il trouva de nombreux manuscrits dont certains de la main même de l’empereur Quang Trung ; le résultat fut un ouvrage sur ce personnage dont le nom sonnait en vietnamien comme un titre de roman, et qui fut associé à un empereur dont la geste semblait sortir d’une légende. Une autre découverte d’importance (1944) fut celle des stèles à la mémoire du maréchal eunuque Ly Thuong Kiet qui, au XIe siècle, repoussa une invasion des Song ; l’ouvrage qui en résulta reste un classique de l’histoire du Viêt-nam.
Ses découvertes des documents historiques tiennent parfois d’un jeu de détective. Un jour il trouva près d’un temple une stèle dont le bas était trop enfoncé dans le socle qui cachait ainsi une partie du texte. En examinant la stèle de près, il s’aperçut que celle-ci avait été sciée, puis remise sur un socle, par la suite. Il comprit alors un fait qui s’était produit à une grande échelle.
Au XVe siècle, le Viêt-nam avait subi une dernière occupation chinoise qui avait duré près de quinze ans. Les Ming, alors maîtres de la Chine, avaient voulu siniser radicalement notre pays et en effacer toute trace de culture vietnamienne. Toutes les stèles à la mémoire des héros nationaux devaient être détruites. Mais ces stèles étaient des blocs de pierre massifs qu’on ne pouvait pas facilement réduire en morceaux. Ceux qui avaient reçu l’ordre de les faire disparaître les avaient simplement séparées de leur socle et jetées dans les marais ou les étangs dont le pays était couvert. Une recherche, dans les étangs des environs, permit comme prévu de retrouver d’autres stèles. Aujourd’hui encore, il est certain qu’une fouille dans les fonds marécageux voisins de certains temples restituera tout un trésor d’histoire enfoui depuis l’invasion des Ming.
Ce sont aussi ces méthodes de déduction qui permirent de mettre au jour les poèmes de l’époque des Lê (1428−1789) inscrits à flanc de montagne, que les touristes peuvent voir en visitant la baie d’Along.
Les éditions critiques des textes littéraires anciens entreprises par Hoàng Xuân Hãn sont servies par sa vaste érudition. Il y a ici deux problèmes. Celui tout d’abord de reconstituer le texte originel. Puis celui de transcrire ce texte dans l’écriture latine moderne.
Retrouver l’état originel d’un texte est un problème, parce que les manuscrits originaux sont la plupart du temps perdus. Les textes dont on dispose ne sont pas entièrement fiables, car le respect d’un auteur était une chose inconnue des lettrés vietnamiens. En faisant réimprimer un texte, chacun se sentait totalement libre de le modifier, soit qu’il pensât trouver une formule plus heureuse, soit qu’il ne comprît pas les mots employés par l’auteur.
En effet, pour l’écriture vietnamienne ancienne, il n’existe pas, aujourd’hui encore, l’équivalent du dictionnaire de Kangxi établi au XVIIIe siècle pour le chinois et qui contient plus de quarante mille idéogrammes. Un travail en profondeur est nécessaire pour s’approcher le plus possible du texte originel. Un élément qui permet de donner une date au plus tard d’un texte est l’interdiction d’utiliser le nom des empereurs de la dynastie régnante, vivants ou morts. Un texte qui contient un caractère interdit à partir d’un certain règne est donc antérieur à ce règne.
La transcription en caractères latins pose simplement le problème de savoir lire l’écriture ancienne. Ce problème existe parce que depuis cent ans, les lettrés qui savent lire le vietnamien ancien sont devenus rares. Et puis, les règles de cette écriture ne sont pas codées d’une façon absolue. Lire correctement un caractère suppose parfois qu’on l’a rencontré dans un autre texte d’où son sens ressort sans ambiguïté, ou bien dans un poème où la rime impose sa prononciation.
Ces études critiques ont essentiellement porté sur les deux textes les plus importants de la langue vietnamienne classique, le Chinh Phu Ngam (Complainte de l’épouse d’un guerrier) et l’histoire de Kiêu du poète Nguyên Du, qui relate la vie d’une jeune femme poursuivie par un destin implacable. Ce sont deux longs poèmes chers au cœur des Vietnamiens par la beauté de leur musique. La première étude a été publiée en 1952. La seconde est à peu près achevée, mais on en attend encore la publication.
Hoàng Xuân Hãn apporta aussi une contribution aux études scientifiques par son Dictionnaire des termes scientifiques (Danh Tu Khoa Hoc), paru en 1942, qui reste une référence aujourd’hui encore et par sa revue scientifique (Bao Khoa Hoc) parue à la même époque, qui réunissait autour de lui de jeunes ingénieurs et universitaires formés en France pour la plupart, qui firent paraître des articles scientifiques et techniques en vietnamien.
Très vite après son retour au pays, son action prit une dimension politique. En 1938, il participa à la fondation de la Société pour la Propagation de l’écriture nationale. Cette société dont le but avoué était la lutte contre l’analphabétisme avait un relent de nationalisme et fut d’abord interdite. Par la suite, ses méthodes seront reprises avec succès. C’est à ces méthodes que le Viêt-nam doit son niveau d’alphabétisation élevé actuel.
Le début de la Seconde Guerre mondiale fut pour l’Indochine une période de calme. Il y avait la cohabitation, plutôt pacifique, avec les Japonais. Le gouverneur général, l’amiral Decoux, pratiquait vis-à-vis des Vietnamiens une certaine ouverture. Hoàng Xuân Hãn faisait partie des huit personnalités vietnamiennes qui, sans occuper aucune fonction officielle, étaient régulièrement invitées aux réceptions du gouverneur.
Il y retrouvait le major de sa promotion qui, venu en Indochine pour une courte visite, y restait bloqué par la guerre. Il y avait aussi le docteur Ho Dac Di, qui plus tard sera le médecin personnel de Hô Chi Minh. Ces personnalités n’étaient chargées d’aucune mission de liaison avec les Japonais, contrairement à ce qui se murmurait. Elles étaient là sans doute parce c’était conforme à une certaine pratique de la courtoisie orientale. Ces réceptions étaient surtout l’occasion pour les dames de faire aboutir les petites revendications nationalistes de la bourgeoisie de Hanoi.
Hoàng Xuân Hãn avait aussi des relations avec des officiers japonais. La première visite qu’il reçut fut celle d’un général qui logeait dans la maison voisine. Selon un usage en cours au Japon, ce général rendit visite à ses voisins, à gauche, à droite, en face, de sa maison. Parmi les différents moyens d’écrire le japonais, il y a les idéogrammes chinois. Les Japonais les prononcent dans leur langue ; mais par écrit, ils communiquent facilement avec tous ceux qui connaissent les idéogrammes.
Entre le général japonais et le lettré vietnamien, une sympathie était née. D’autres officiers vinrent par la suite, attirés par cet homme d’un si vaste savoir. Ils se reçurent, échangèrent des poèmes : il y avait des hommes d’une culture raffinée dans cette armée dont les brutalités pouvaient faire vaciller la raison humaine.
Les imprudences françaises provoquèrent le coup de force du 9 mars 1945. À l’encontre de la politique officielle de louvoiement suivie par l’amiral Decoux, le général Mordant élabora un plan de guerre. L’armée française n’était pas en situation de battre les Japonais. Mais un plan fut préparé pour accueillir un débarquement américain, hautement improbable, compte tenu de la position géographique de l’Indochine, à l’écart de l’axe d’invasion du Japon. Les Japonais connaissaient l’existence de ce plan, dont on parlait d’ailleurs abondamment dans les réceptions. Ce fut après la perte des Philippines que le haut commandement japonais donna carte blanche à son armée d’Indochine pour faire face à toute menace.
En une nuit s’effondra l’armée française, inférieure en nombre, mal équipée, mal commandée sans doute, en tout cas mal préparée à cette guerre qui semblait se dérouler sur une autre planète. Le 10 au matin notre village, à seize kilomètres au sud-ouest de Hanoi, vit arriver deux soldats français dont l’un, pieds nus, portait un fusil-mitrailleur. Le général Alessandri qui devait réussir à passer en Chine avec une colonne de rescapés était peut-être encore à Son Tay, à vingt cinq kilomètres de là. La matinée était déjà bien avancée… Les notables du village pleurèrent et donnèrent aux soldats le conseil d’aller se rendre. La vision de ces deux hommes désemparés, qui étaient dérisoirement nos maîtres, n’a cessé de me hanter ; je n’ai jamais pu m’empêcher de former le vœu que leur fût épargnée la mort par privation dans un de ces camps où ils devaient être prisonniers.
Hoàng Xuân Hãn joua un rôle éminent dans le premier gouvernement vietnamien indépendant d’après la colonisation qui fut formé alors. Il avait la confiance de l’Empereur. Très rapidement il fut appelé en consultation à Huê, la capitale impériale, avec un groupe de personnalités venant de toutes les régions du pays. Le lettré Tran Trong Kim qui fut finalement désigné comme Premier ministre était une personnalité qu’il connaissait bien : ensemble, ils ont passé des nuits entières pendant quatre années pour préparer un dictionnaire. Lui-même accepta le portefeuille de l’Éducation et des Beaux-Arts, et la fonction de ministre des Travaux publics, et fut en outre le représentant personnel de l’Empereur à Hanoi (le vice-roi à qui l’Empereur déléguait ses pouvoirs était Phan Ke Toai).
Ce n’était pas un gouvernement à la dévotion des Japonais, comme on le dit souvent sans craindre l’absurde. En avril 1945, quand ce gouvernement fut formé, les Américains étaient déjà sur le sol japonais, à Okinawa, et la défaite du Japon s’annonçait imminente. Dans leur malheur, les Japonais voulaient sincèrement aider le Viêt-nam, sans aucune arrière-pensée de domination. Beaucoup croyaient que leur pays allait devenir une colonie américaine (les assurances en sens contraire ne furent données par les alliés qu’en juillet, et encore, elles n’étaient connues qu’à l’échelon gouvernemental) ; certains pensaient même s’établir dans un Viêt-nam dont ils souhaitaient voir se confirmer l’indépendance. Au XVIIe siècle déjà, après l’invasion mandchoue, des Chinois fidèles aux Ming étaient venus en grand nombre chercher refuge au Viêt-nam et la région où nos princes les établirent passe encore pour avoir les filles les plus belles du pays. Après leur défaite, les cas où les soldats japonais, par sections entières, donnèrent leurs armes aux Vietnamiens ne furent pas rares.
Pour les responsables vietnamiens de 1945, il fallait d’abord qu’un gouvernement prît les choses en mains pour éviter l’effondrement de l’administration décapitée par le départ des Français et l’anarchie qui ne manquerait pas de s’ensuivre (à la mi-mars, un village près du nôtre fut attaqué par des brigands en plein jour ; j’ai entendu au loin le tambour d’alarme à cinq temps et assisté au départ de la milice villageoise qui allait porter secours à nos voisins). Il s’agissait ensuite de vietnamiser la vie publique, et de réveiller le sentiment national dans les profondeurs de la population, pour mettre devant le fait accompli le colonisateur qui, nul n’en doutait, allait revenir après la victoire des alliés toute proche.
En moins de quatre mois, tout le programme d’enseignement, jusqu’au baccalauréat, fut vietnamisé. Les difficultés que posait le vocabulaire scientifique furent surmontées grâce à l’enthousiasme des maîtres. Le Dictionnaire des termes scientifiques fut d’une aide précieuse dans cette tâche.
Le 14 août 1945, le Japon capitula. Les troupes japonaises d’Indochine, toujours redoutables, furent chargées par les alliés du maintien de l’ordre.
Le 19, le gouvernement vietnamien appela à une manifestation de masse à Hanoi, pour montrer au monde le soutien dont il jouissait auprès de la population. Les communistes placèrent leurs hommes dans la foule et transformèrent la manifestation pro-gouvernementale en émeute. Des hommes descendus dans la rue pour manifester leur soutien au gouvernement furent poussés contre les bâtiments publics sans trop comprendre ce qui se passait. L’armée japonaise resta l’arme au pied. La surprise passée, le commandant en chef japonais vint trouver le ministre de la Justice Trinh Dinh Thao et lui offrit de rétablir l’ordre. On savait que les alliés aidaient les maquis communistes.
Alors qu’en Thaïlande le régime qui collabora avec le Japon pendant la guerre, sous la direction de Pibul Songgram, gardait sa légitimité aux yeux des alliés en changeant simplement de gouvernement, les télégrammes adressés par le gouvernement vietnamien à Truman étaient restés sans réponse. L’Amérique ignorait l’existence du Viêt-nam indépendant. Les partisans de la concession l’emportèrent. Le gouvernement vietnamien déclina l’offre japonaise. L’empereur Bao Dai abdiqua solennellement devant la Porte de Midi. Hô Chi Minh envoya à Huê un émissaire pour recevoir le sceau et l’épée des mains de l’Empereur.
À l’heure où sonne le destin, un peuple n’a d’amis que ceux qui craignent sa force ou convoitent son alliance. L’épisode a au moins clairement montré le respect avec lequel la partie japonaise traita la souveraineté vietnamienne.
La dernière participation de Hoàng Xuân Hãn à la vie politique active fut la conférence de Dalat, en avril-mai 1946. La délégation vietnamienne comprenait vingt-quatre personnalités venues d’horizons les plus divers, et le plus souvent peu au fait de la politique. À sa tête était le ministre des Affaires étrangères Nguyên Tuong Tam, chef nationaliste et poète connu sous son nom de plume Nhat Linh. Vô Nguyên Giap occupait officiellement la seconde place. La délégation française conduite par Pierre Messmer présenta des exigences douloureusement inacceptables (notamment la sécession de la Cochinchine et le droit de protectorat français sur les minorités ethniques). Le camp vietnamien songea à une guerre suicide. Hô Chi Minh imposa la poursuite des négociations, et sera admiré pour cela. Ce sera la conférence de Fontainebleau.
Les relations amicales de Hoàng Xuân Hãn avec les dirigeants actuels du Viêt-nam remontent à cette époque.
Ses rencontres avec Hô Chi Minh, dont la première eut lieu en octobre 1945, l’ont sans doute profondément impressionné. Son admiration qui n’a jamais cessé, pour le dirigeant révolutionnaire puis pour l’homme d’État, est lucide. Pour lui, Hô Chi Minh fut celui qui a toujours su s’arrêter à temps, appliquant en cela une grande leçon de Confucius.
Jamais il ne crut que le chef de la révolution vietnamienne pût ignorer les souffrances infligées à notre peuple par les excès de la collectivisation. Mais il lui savait gré d’avoir libéré le pays du joug colonial, et sur ce point était rejoint par nombre de nationalistes. Dans la perspective de l’histoire, il plaçait aussi très haut le mérite d’avoir réunifié le pays.
Avec Vô Nguyên Giap qui a aussi une connaissance profonde de l’histoire, il semble qu’il y ait eu une amitié véritable. Le dernier geste public de Hoàng Xuân Hãn eut lieu lors des fêtes du dernier nouvel an vietnamien, les fêtes de l’année du Rat de Feu, lorsqu’il se rendit en voisin à l’ambassade du Viêt-nam pour remettre une lettre destinée à l’ancien commandant en chef.
Le jour de son incinération dans la banlieue parisienne, une cérémonie à sa mémoire s’est tenue à Hanoi, à laquelle assistaient le Chef de l’État et de nombreuses personnalités qui furent ses amis : Pham Van Dong, Vô Nguyên Giap, etc.
Beaucoup des Vietnamiens qui ont dû quitter leur pays pour l’exil, en 1954 puis en 1975, lui reprocheront ce qui peut passer pour de l’indifférence à leur malheur.
On ne sait pas toujours qu’en 1975, il conseilla aux dirigeants de Hanoi de ne pas envoyer les anciens fonctionnaires et officiers du Sud Viêt-nam dans les camps de rééducation. Il ne fut pas écouté.
Mais peut-on lui demander de rompre formellement avec ceux qui si longtemps sur l’essentiel ont partagé ses valeurs ? Pendant les années de guerre, le Nord Viêt-nam persécutait ses intellectuels, mais avait une politique de la culture cohérente que le Sud n’avait pas. La culture traditionnelle y était mieux défendue aussi. En tout cas, il n’y avait pas cette contre-culture qui envahit maintenant le pays et qui sévissait alors dans le Sud.
Comme les sages que notre histoire a connus, il se mit à l’écart de l’événement pour se consacrer à cet essentiel qui se trouve loin dans l’avenir. L’avenir d’une nation est dans son identité culturelle. Une nation vivra, vaincra, tant qu’il y aura des hommes attachés à sa langue et à sa culture. Hoàng Xuân Hãn porta ses efforts sur l’étude de l’histoire et de la langue de notre pays, et réussit pleinement à les faire aimer.
Sa disparition est ressentie comme une perte immense par tous les Vietnamiens, à quelque camp qu’ils croient appartenir. Au-delà des désaccords qui peuvent être légitimes, restent le regret et le respect attachés à l’homme de culture.
Pour les spécialistes, Hoàng Xuân Hãn restera une référence irremplaçable. À ceux qui l’ont approché dans le cercle des intimes, il faudra beaucoup de temps pour mesurer le vide qu’il laisse dans leur esprit et dans leur cœur.
5 Commentaires
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X31
Mon grand père Nguyen Ngoc Bich X31 a bien connu
Hoang Xuan Hang
Le héro Hoàng XuÂn Hãn (30)
Puis que Monsieur Hoàng XuÂn Hãn était si ami et admirateur des dirigeants du Viêt-Nam., pourquoi était-il allé vivre en France ?
L’exil n’aurait pas du être son quotidien ! Quel malentendu…
Quel fut le premier polytechnicien d’origine vietnamienne ?
Quelle était sa promotion, et combien y‑a-t-il eu de polytechniciens d’origine vietnamienne depuis la fondation de l’École jusqu’à nos jours ?
polytechnicien d’origine vietnamienne
Bonjour Phac,
Tu peux voir sur ce lien https://x‑vietnam.polytechnique.org/post/2012/09/14/Les-premiers-X-d-origine-vietnamienne
Et en googlant ou en cliquant sur ce lien « famille polytechnicienne » on trouve peut-être d’autres X d’origine vietnamiens en essayant avec divers noms et prénoms vietnamiens.
Je me souviens avoir vu des X « cochinchinois » dans des promos à la fin du 19ème siècle.
bien amicalement
Tran Quoc-Anh
Lettre ouverte en 1946 de Hoàn Xuân Hản (promo 1930) aux anciens de l’École Polytechnique
pour essayer de sauver Nguyễn Ngọc Bích (promo 1931)
« Un de nos camarades, Nguyễn Ngọc Bích (promo 1931) , écrivit Hoàn Xuân Hản , vient d’être arrêté près de Saigon, dans le maquis vietnamien. Beaucoup d’entre vous l’ont connu. Il faut que son amour pour sa patrie soit sublime pour transformer un homme si doux en un combattant tenace. Récemment, le général Leclerc, conseillé sans doute par nos nombreux camarades dans son armée, dans son état-major et dans la plus haute atmosphère du Haut-Commissariat, lui a fait écrire pour l’inviter à venir le voir. Notre camarade lui a répondu de la manière la plus digne et la plus directe. Aucun d’entre nous ne peut le désapprouver quand il pensait qu’il ne pouvait, sans forfaire à son honneur, à l’honneur militaire et à l’honneur d’ancien polytechnicien, se rendre chez le général Leclerc sans ordre de ses supérieurs hiérarchiques. Car il est militaire. Je ne peux pas, sans offenser notre camarade et vous-même, expliquer son cas, qui fait appel à vos sentiments que je sais élevés. Je considère, tout simplement, que mon devoir d’homme, de patriote, d’ancien élève de l’ÉCOLE POLYTECHNIQUE (sic) , est de rappeler à mes camarades, anciens, cocons et conscrits qui sont nombreux en Indochine, la noble pensée de notre estimé professeur Tuffrau, à laquelle j’apporterai la seule modification du mot Annam en Vietnam : “Quand vous serez officiers, ingénieurs ou administrateurs dans les colonies, n’oubliez pas qu’il y en est dont l’histoire est aussi belle que la nôtre et dont les hommes ont su défendre leur patrie avec dignité et honneur. Vous vous respecterez vous-même en estimant et en respectant les sentiments patriotiques de leurs habitants. Le Vietnam est de ces pays.”
Hoan Xuan Han (Promo 1930) »