Un pouvoir d’influence plutôt que de contrainte
Le Colloque historique qui s’est tenu en octobre dernier a balayé le spectre des activités dans lesquelles le corps des Mines s’est trouvé impliqué. Ce corps a su conserver son pouvoir d’influence jusqu’à aujourd’hui. Cette » élite intellectuelle et administrative « , comme la qualifie un des organisateurs du Colloque, Bruno Belhoste, qui n’est pas ingénieur des Mines, constitue une spécificité remarquable de notre pays et un atout pour l’avenir de notre industrie.
L’histoire du corps des Mines, comme institution et comme rassemblement de personnages ayant joué, individuellement ou collectivement, des rôles éminents dans l’histoire de la France, de ses sciences et de ses industries, a déjà été abordée.
« Il faut spécialement mentionner les travaux de l’Institut d’histoire de l’industrie. »
Beaucoup des intervenants du Colloque historique d’octobre 2010 ont rappelé les travaux, trop souvent dithyrambiques, de L. Aguillon dans le Livre du Centenaire (vers 1894), ou plus récemment, ceux d’André Thépot, dans Les ingénieurs des Mines, histoire d’un corps technique d’État (1998), qui sut orienter les études de nombreux jeunes chercheurs sur cette population.
REPÈRES
Le corps des Mines a été fondé pendant la Révolution française et ses missions ont été codifiées en 1810. Il faut remonter plus loin encore, sous l’Ancien Régime, pour retrouver les origines du corps, avec la création d’un département ministériel pour les Mines en 1769 et la création d’une première école des Mines en 1783. Il est indispensable de signaler la qualité exceptionnelle de la banque de données des Annales des Mines au contenu supervisé avec dévouement et brio par Robert Mahl (63). Grâce à lui, l’internaute pourra trouver des éléments biographiques sur d’innombrables ingénieurs des Mines, comme sur les institutions afférentes.
La Sabix comme La Jaune et la Rouge ont souvent proposé des papiers bien documentés sur des ingénieurs des Mines, et rendu compte des biographies ou autobiographies les concernant, par exemple sur Roger Martin, Jacques Lesourne, Robert Dautray.
Dans ce registre il faut aussi, tout spécialement, mentionner les travaux – colloques et publication de leurs Actes – que l’Institut d’histoire de l’industrie, animé par Christian Stoffaës (66), a effectués sur les exceptionnels destins de Pierre Guillaumat ou Georges Besse.
Du bon usage des historiens
Pierre Guillaumat et Georges Besse |
Les organisateurs ont tenu à associer à leurs travaux des historiens incontestables dans le domaine couvert : des historiens de l’industrie, des sciences, de l’économie, ou des relations entre les entreprises et l’État. Citons Anne-Françoise Garçon, Bruno Belhoste, et aussi, pour le colloque Télécommunications, Pascal Griset et Éric Godelier.
Ces personnalités ont su définir ou animer des chapitres de l’histoire du corps, mais aussi repérer des mémoires écrits sur ces sujets ou demander à leurs étudiants d’y travailler. Évidemment attentifs aux grands domaines d’activité du corps, ils ont cependant su renouveler la liste des personnalités étudiées.
Ainsi, le colloque n’a-t-il pas apporté de points de vue nouveaux sur Michel Chevalier ou Louis Armand, mais il a su rappeler, par exemple, ce qu’étaient les belles figures d’Arthur Fontaine, Paul Weiss, Fernand Blondel, ou encore nuancer celle d’un Henry Le Chatelier, grand savant saisi par la débauche d’un rationalisme exacerbé et l’appliquant sans nuances à l’organisation du travail.
Les affichesLors des différents colloques, comme à d’autres occasions (dont les Journées du patrimoine), les organisateurs du bicentenaire ont utilisé des affiches présentant les portraits d’ingénieurs du corps des Mines particulièrement célèbres (tout naturellement il faut ici entendre le corps au sens élargi). La liste des personnages retenus est intéressante, comme le style de ces posters. |
Une trentaine d’exposés
Le Colloque historique a été réparti sur quatre demi-journées, aux titres suivants : sciences et diffusion du savoir ; innovation et industrialisation ; sécurité et environnement ; ressources énergétiques et minérales.
Chacune de ces séances a contenu des présentations historiques un peu globales (par exemple, les ingénieurs des Mines et la protection sociale des ouvriers des mines), ou l’évocation de carrières individuelles.
Entre passé et présent
Il faut souligner que les préoccupations historiques n’ont jamais été absentes des autres colloques, et que les allers-retours entre le passé et le présent ont été un des points forts et éclairants du bicentenaire.
Ainsi, le Colloque sur la politique industrielle, le colloque final, dont on trouvera un compte rendu rapide par ailleurs, a‑t-il débuté par une évocation audiovisuelle de citations, notamment sur les doctrines saint-simoniennes, portées par de nombreux X et Corpsards.
Et chacune a été encadrée par une présentation plutôt historique et un essai de réaction ou de synthèse, plus souvent donné par un ingénieur des Mines familier à la fois du domaine couvert et de son évolution historique (ne serait-ce que sur les cinquante dernières années). L’ensemble a donc donné lieu à une trentaine d’exposés, qui seront repris dans des Actes dont la publication est prévue.
Des discussions inévitables et utiles
Les Français aiment beaucoup les bicentenaires, mais les critiquent sans arrêt.
Les reproches qu’on leur fait sont d’ailleurs contradictoires. En voici quelques exemples : vous avez encore le nez dans le rétroviseur, histoire de vous consoler de vos sottises présentes en admirant votre gloire passée. Vous allez enjoliver le passé pour vous faire plus beau et qu’on vous admire davantage aujourd’hui.
« Le Colloque a su renouveler la liste des personnalités étudiées. »
L’accent que vous avez mis sur cet aspect est erroné ; même malhonnête ; ce n’est pas étonnant compte tenu du conseiller que vous avez choisi, farouchement antigaulliste (variante : d’un anticommunisme primaire). Ou encore, variante plus distinguée : tout le monde sait bien que vous avez fait exprès de ne pas parler de tel sujet, ou de tel personnage, ou de ne donner la parole qu’aux historiens d’une certaine école (événementielle, sociale, patati, patata), évidemment de ne pas donner votre bibliographie ; de faire du copier-coller ; de faire appel à des thésards qui n’ont pas terminé leur travail ; ou encore de faire appel à un acteur dont le seul souci est de justifier les décisions qu’il a prises il y a trente ans.
Notre colloque a‑t-il été l’occasion de tels échanges ? Pas aussi caricaturaux, mais certaines questions ont pu interpeller. Ainsi, dans le domaine scientifique, le corps aurait produit des savants exceptionnels dans la première moitié du XIXe, mais ensuite, disette.
Erreur, diront les contradicteurs, vous oubliez les sciences économiques et sociales (Maurice Allais est décédé pendant les semaines des commémorations du bicentenaire), et Henri Poincaré, et plus près de nous dans le domaine nucléaire, Bloch ou Messiah.
Un rôle majeur
Quelques résultats se dégagent du Colloque historique. Une réaffirmation de certaines lignes de force : la place de la science et de l’enseignement ; l’attention portée au sous-sol pour le connaître, le mettre en carte, l’exploiter ; l’impact du saint-simonisme, sous la forme de la priorité affichée pour l’industrie ; l’attention portée à l’environnement industriel ; et évidemment le rôle majeur joué par les ingénieurs du corps dans certains secteurs comme les chemins de fer, le pétrole, le nucléaire.
L’engagement politique
Question : Avec le sous-entendu d’excellence qu’apporte votre méthode de sélection, vous fabriquez des individus tellement rationnels qu’ils sont incapables de reconnaître qu’ils peuvent se tromper : ainsi Bichelonne, mettant son intelligence au service de l’État français de Pétain et donc de la collaboration la plus honteuse.
Réponse : Certes, le corps d’aujourd’hui n’est pas fier de compter un Bichelonne dans ses anciens, et il ne suffit pas pour se justifier de rappeler qu’il compte aussi dans ses rangs un Armand, un Malavoy ou un Saunal. Aussi, prenons la décision de travailler sereinement sur l’histoire du corps pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une meilleure appréciation de certaines dialectiques comme les relations science-industrie. D’abord pour une bonne valorisation des sciences (les corpsards ont souvent été des savants-ingénieurs), mais aussi dans le cadre de relations décomplexées entre public et privé (que d’ingénieurs du corps travaillant en même temps pour l’administration et, comme conseil, pour des entreprises !).
« Ne pas oublier les sciences économiques et sociales. »
L’analyse du paradoxe apparent dû à la coexistence des traditions de contrôle et de l’aide apportée aux comportements de dépollution et une mise en lumière neuve de rôles importants en matière sociale, qui sont assez oubliés dans la mémoire collective du corps et de ses spectateurs depuis la fin des mines en France, dans la mesure où le rôle essentiel et traditionnel du corps, inspecteur du travail désigné par le statut du mineur, a pratiquement disparu avec les mines en France : mais saviezvous qu’Arthur Fontaine a joué un rôle majeur dans la création du Bureau international du travail ?
Arthur Fontaine et le BIT
Arthur Fontaine (1880) fut admis dans le corps des Mines, et dès sa scolarité et ses voyages d’études à l’étranger, se passionna pour l’austère labeur ouvrier. Aussi, après son service ordinaire dans le Pas-de-Calais fut-il rattaché à l’Office du travail à peine créé. Il y développa grâce à ses compétences statistiques une véritable banque de données sur le travail, la durée du travail, les populations ouvrières sans oublier le cas particulier des femmes et des enfants, les retraites, les accidents du travail, et il le fit en contact permanent avec le patronat et les syndicats ouvriers.
Cette activité permettant la réunion d’une documentation incontestée et la réalisation d’enquêtes sur les accidents ou les conflits le conduisit simultanément à oeuvrer pour la préparation de textes législatifs et réglementaires, tâche qu’il poursuivit à la tête de la Direction du travail.
Il consentit de gros efforts pour rapprocher les points de vue et les règlements des États européens en matière de travail ouvrier. Démarrée avant la guerre, cette activité internationale reprit en 1918, pour aboutir dès 1919 à la création du Bureau international du travail dont Fontaine fut le premier président.
Arthur Fontaine fut aussi un actif mécène des lettres et des arts.
Les » Mines Colo »
Le Colloque historique donna l’occasion de revenir, trop brièvement sans doute, sur le rôle que les ingénieurs des Mines ont joué dans les colonies. Dans la mesure où l’objectif affiché de la colonisation de ces territoires était le développement, donc en particulier la connaissance et l’exploitation des ressources naturelles, les ingénieurs des Mines ont été appelés à la mise en oeuvre de tâches de cartographie (notamment géologique : une de leurs grandes traditions depuis Élie de Beaumont), d’organisation juridique (encore aujourd’hui, le code minier est en vigueur dans de nombreux pays qui ont connu l’influence française), de recherches et d’exploitations pétrolières et minérales.
Découvreurs et aménageurs
Pour des raisons qui tiennent à la difficulté actuelle du discours historique français sur les effets de la colonisation, le rôle de ces découvreurs, aménageurs et industriels n’est que très peu connu, a fortiori mis en valeur. Oui, le rôle des Mines Colo, créées en 1919, mérite d’être analysé. Qu’ils aient été affectés à des territoires lointains en tant que membres volontaires du corps, ou qu’ils aient fait partie de la bonne centaine d’X affectés dès la sortie de l’X à des postes en colonies, sous des appellations variées (comme ce fut le cas jusqu’aux X 1955, par exemple pour un Pierre Guillaumat), leurs trajectoires, leurs motivations, leurs réalisations méritent le regard d’historiens attentifs.
Concluons avec Bruno Belhoste, organisateur du Colloque historique.
» À quoi sert l’ingénieur des Mines ? Et qui sert-il ? Libéral tempéré et homme de terrain, applicateur de la science et adepte de la technique, l’ingénieur des Mines est quand même, par fonction, d’abord au service de l’État, au moins quand il ne pantoufle pas dans une entreprise privée. »
Un pouvoir d’influence
Une meilleure appréciation des relations science-industrie
» Dans le même corps, on trouve donc d’un côté, un habitus » d’hommes de métier « , caractérisé par l’esprit de concertation, l’ouverture aux autres acteurs et aux autres cultures professionnelles, la « raison des mines ».
Et, de l’autre, un habitus de » premier de la classe « , venu d’une sélection impitoyable et d’une formation de très haut niveau, caractérisé, au contraire, par la distinction, la tendance à la domination et le regard en surplomb, la » raison des machines « .
« Les ingénieurs des Mines ont toujours préféré exercer un pouvoir d’influence qu’un pouvoir de contrainte. Ils font de cette élite intellectuelle et administrative une spécificité remarquable de notre pays, et peut-être aussi un atout, s’il existe encore aujourd’hui, comme il faut l’espérer, un avenir pour notre industrie. »