Un scientifique américain témoigne
David Edwards, scientifique et écrivain, fondateur de » Le Laboratoire « , partage son temps entre Paris, devenu son lieu de résidence principal, et Harvard, où il occupe un poste d’enseignement et de recherche en développement des idées dans les arts et les sciences.
L’article exemplaire de Johan Delory souligne bien les trois piliers du modèle R & D américain. Le moteur de recherche et développement aux États-Unis dépend effectivement du passage fluide d’idées entre les universités, le secteur privé et le secteur public. Ce phénomène – qu’on appelle translation aux États-Unis – accompagne également la mobilité de créateurs et de ressources, et génère une atmosphère fructueuse où les cultures se mélangent. Ce phénomène est clairement visible dans l’industrie pharmaceutique, où les découvertes scientifiques, souvent financées par le secteur public, sont vite brevetées par les universités.
Les chercheurs, soutenus par des investisseurs privés et encouragés par leurs universités, créent parfois des start-ups. Puisque les chercheurs restent au sein de l’université, leurs étudiants sont embauchés par les start-ups, et celles-ci sont rapidement financées par des contrats avec l’industrie pharmaceutique. La start-up devient un catalyseur d’innovation, tandis que les idées de recherche fondamentale, transposées dans le secteur privé, génèrent des opportunités professionnelles excitantes pour les étudiants ; cela constitue une forme d’apprentissage excellent et impossible à construire dans un contexte purement institutionnel.
Oui, le succès américain de R & D provient en partie d’un financement important, et de la participation active des secteurs privés et publics, mais ce financement existe car les idées peuvent passer facilement d’un secteur à l’autre, chacun avec ses propres valeurs, espoirs et objectifs. Il me semble que ce qui manque le plus souvent en France – et d’ailleurs également dans la majorité des établissements de R & D aux États-Unis (le succès américain étant assez géographiquement localisé) – est cette mobilité d’idées entre les secteurs.
Il faudrait que les universités, les entreprises, les preneurs de risque, les organisations culturelles expérimentales collaborent librement et étroitement, comme c’est le cas aujourd’hui dans les grands pôles américains de R & D, tels que Boston, San Diego, San Francisco et Research Triangle Park. Ces collaborations se créent autour d’idées intéressantes, et non pas l’inverse.
La création d’un environnement dynamique de R & D commence, à mon sens, à petite échelle. Après tout, la créativité est une affaire individuelle. L’on peut rechercher une culture qui puisse la nourrir. L’on peut construire un cadre de laboratoire poussant la créativité vers une valeur que les institutions de toutes sortes peuvent mesurer. Notre expérience à Paris nous apprend que les créateurs afflueront et que la créativité se propagera avec une spontanéité qui ira bien au-delà de notre contrôle.
En effet, le plus grand défi de l’édification d’une culture de recherche et développement ayant du succès n’est pas tant l’élaboration de sa définition, ni l’invitation d’expériences pertinentes (même si les deux requièrent une agitation constante), mais il réside plutôt en la gestion du succès de chaque laboratoire, qui comprend la transposition et l’articulation d’une valeur sociale qui soit mesurable, sans pour autant sacrifier la liberté individuelle du créateur.