Un secteur de croissance en profonde réinvention
Dans cette ère de réinvention, le conseil doit s’appliquer la recommandation qu’il adresse habituellement à ses clients : organiser et piloter sa propre révolution. Il doit passer d’un rôle de conseiller à un rôle d’acteur, accompagnant la mise en œuvre sur le terrain dans le domaine complet des nouvelles activités.
Depuis 1926, date à laquelle McKinsey a inventé le métier de conseil en management, le visage et la réalité du conseil ont spectaculairement mué.
“ 40 % de notre activité correspond à des spécialités qui n’existaient pas voilà sept ans ”
En l’espace de neuf décennies, ce que l’on qualifiait encore il y a peu « d’activité » ou de « profession » a acquis le statut de secteur économique à part entière.
Source non négligeable de valeur ajoutée pour notre pays, il figure parmi les premiers secteurs en matière de créations nettes d’emplois : l’étude du Centre d’analyse stratégique « Les secteurs créateurs d’emploi à moyen terme – 2012 » estime à 150 000 les créations nettes d’emplois en ingénierie, conseil et services informatiques entre 2010 et 2016.
Si sa maturité et son extension lui ont permis de se forger une place incontestable parmi les grandes filières économiques, il se trouve de facto soumis aux mêmes bouleversements que ceux qui influent sur tout autre secteur et n’échappe nullement aux grandes tendances macroéconomiques ni aux ruptures qu’elles entraînent.
REPÈRES
En France, le secteur du conseil pèse selon les statistiques de l’Insee 27,5 Mds de chiffre d’affaires et 140 000 emplois, soit l’équivalent d’une filière comme la production et distribution d’eau.
Il bénéficie depuis deux ans d’un taux de croissance historique, qui a atteint 8,5 % en 2016 selon l’étude annuelle de Consult’in France, amplifiant ses effectifs de plus de 11 %.
Pas moins de 50 % des dirigeants d’entreprises dans le monde, selon une de nos récentes études, estiment que leur groupe devra opérer un profond changement de business model dans les dix ans à venir. Il n’en va pas autrement pour le conseil qui, ayant vocation à se tenir en permanence à l’avant-garde de ces mutations pour servir au mieux ses clients, connaît lui aussi des transformations fondamentales.
L’exemple de notre cabinet en atteste : nous avons évolué sur la dernière décennie plus radicalement qu’au cours des quatre-vingts ans précédents, au point que 40 % de notre activité actuelle correspond à des domaines de spécialité professionnels qui n’existaient pas encore voilà sept ans.
CLIENTS ET TECHNOLOGIE TRANSFORMENT LES FONDEMENTS MÊMES DU SECTEUR
Commençons par ce constat : les besoins des dirigeants d’entreprises en matière de conseil ont fortement évolué jusque dans la nature de la demande. En la matière, bon nombre d’entreprises témoignent d’une « sophistication » accrue sur plusieurs dimensions.
MONTÉE EN PUISSANCE DE THÈMES NOUVEAUX
Une récente enquête de McKinsey auprès de 2 000 dirigeants d’entreprises européens révèle que les facteurs d’incertitude liés à la montée du populisme, aux tensions géopolitiques et aux inégalités constituent les principaux freins à l’investissement devant des facteurs plus classiques comme le faible niveau de la demande, le manque d’opportunités intéressantes ou la difficulté d’accès au financement.
Elles se sont dotées au fil des ans de profils correspondant à ceux traditionnels des consultants (notamment des titulaires de MBA ou de jeunes managers aux expériences très diversifiées), ou ont même recruté parmi leurs dirigeants d’anciens consultants. Ce faisant, elles ont internalisé une partie des compétences qui étaient l’apanage historique des cabinets de conseil.
Parallèlement, elles ont fortement développé leurs fonctions achats et leur ont, pour certaines, confié un poids prépondérant dans la sélection des prestations de conseil, lesquelles étaient encore il y a peu principalement négociées de gré à gré. Elles appliquent également une approche nettement plus avancée de mesure de l’impact des missions des consultants, selon des grilles multicritères.
Enfin, plusieurs grands groupes ont développé leurs propres organes de consultants internes et sont parfois allés jusqu’à mettre ces compétences sur le marché. L’ensemble de ces phénomènes exige de la part du conseil d’offrir une valeur ajoutée et des apports distinctifs toujours renouvelés.
Autre évolution notable sur le front de la demande, les priorités affichées par le leadership des entreprises tendent à faire ressortir actuellement quelques grandes thématiques qui, pour certaines, sont totalement inédites et font surgir de nouveaux besoins en matière de conseil.
La transformation numérique de l’entreprise et les problématiques connexes de cybersécurité et de protection des données font partie des priorités affichées par le leadership des entreprises. © NMEDIA / FOTOLIA.COM
Parmi elles figurent tout d’abord la transformation numérique de l’entreprise et les problématiques connexes de cybersécurité et de protection des données. Viennent ensuite la capture des opportunités de croissance mondiale liées aux grandes tendances macroéconomiques, ainsi que le retour des fusions et acquisitions transfrontalières ; puis, le développement d’organisations agiles, fondées sur une réallocation dynamique des ressources.
À ces sujets s’ajoutent enfin la prise en compte du risque géopolitique, la montée en puissance des régulateurs et l’impératif de conformité ; ainsi que l’identification des attentes du consommateur à l’horizon 2030 et la prise en compte des enjeux de long terme liée à la multiplication des parties prenantes.
Facteur majeur de rupture, la transformation numérique de l’économie est par ailleurs en train de rebattre les cartes du secteur du conseil. Les cabinets sont aujourd’hui tenus d’investir massivement dans l’acquisition de données pertinentes, de se doter de capacités extrêmement pointues en advanced analytics pour en extraire toute la valeur économique, d’adapter leur collaboration avec leurs clients vers un mode de travail agile, et d’entrer sur des territoires nouveaux comme l’expérience utilisateur et le design sur prototype.
En outre, l’intelligence artificielle rend dès aujourd’hui possible l’automatisation de certains maillons historiques de la chaîne de valeur du conseil (en particulier les études de marché), tandis que le numérique permet de mettre en contact très facilement offre et demande de conseil et favorise l’essor de consultants indépendants travaillant en réseaux.
“ La transformation numérique de l’économie est en train de rebattre les cartes du secteur du conseil ”
Dès lors, le conseil se trouve propulsé dans une nouvelle dynamique d’innovation à un rythme accru, où la prime ira aux acteurs qui auront consenti de forts investissements en R & D et qui auront su se doter des capacités technologiques les plus avancées pour demeurer un gisement de capital intellectuel à forte valeur ajoutée pour leurs clients.
Partant, les opportunités d’évolutions s’élargissent pour tous les acteurs du conseil et le paysage du secteur tend déjà à se redessiner, intégrant peu à peu les cabinets issus de l’audit, les géants de la technologie, les filiales de consulting de grands industriels, de petites « boutiques » très spécialisées et même des start-up ou des indépendants.
DE NOUVEAUX IMPÉRATIFS POUR LE CONSEIL
Les attentes quant à l’apport des cabinets évoluent au point de redéfinir jusqu’aux fondements de notre métier :
LE CONSEIL EN MANAGEMENT CLASSIQUE SE TRANSFORME
S’agissant des principaux acteurs historiques du conseil en management, leur activité prend de nouveaux contours et se diversifie amplement, au point qu’en moyenne la part de conseil en stratégie classique qui constituait encore 60 à 70 % de leur activité il y a trente ans ne représente plus que 20 % de leurs interventions, selon une étude universitaire menée par C. M. Christensen, D. Wang et D. Van Bever.
nous devons passer du rôle classique de « conseillers », à un rôle « d’acteurs de l’écosystème de nos clients », partenaires à long terme de l’entreprise accompagnée dans la réalisation de sa transformation, et impliqués plus directement dans l’atteinte des résultats.
Une mue doit alors s’opérer pour basculer d’un paradigme d’interventions ponctuelles en mode projet (celui des missions), vers un accompagnement plus continu mêlant prestations intellectuelles et solutions. Une telle modernisation du positionnement suppose de maîtriser cinq impératifs fondamentaux.
UNE PALETTE D’EXPERTISES À LA FOIS PLUS LARGE ET PLUS POINTUE
Plus que jamais, la valeur du capital humain demeure l’actif essentiel du conseil, mais le spectre de ses expertises ne cesse de s’affiner pour conserver toute sa pertinence.
Ainsi, à la dizaine de pôles de compétences sectoriels prévalant dans les années 1980 s’est ajoutée une dimension matricielle avec des spécialisations fonctionnelles, puis ces deux axes n’ont cessé de se subdiviser pour définir des domaines de compétences toujours plus pointus.
« Nous devons passer du rôle classique de “conseillers” à un rôle “d’acteurs de l’écosystème de nos clients” »
Au point qu’un cabinet ayant vocation à servir tous les secteurs doit aujourd’hui justifier d’une expertise incontestée sur une palette d’au moins 200 domaines.
Avec ce double effet de multiplication et d’approfondissement combiné à une barre de l’excellence qui ne cesse de s’élever, ce sont sans conteste l’ampleur des expériences et la qualité de la recherche qui font la différence au sein du conseil.
DES MODÈLES D’INTERVENTION INNOVANTS
Il s’agit de proposer un service continu de « stratégie en action ». Pour mieux répondre aux besoins des décideurs, le conseil avait déjà connu une première grande évolution dans les années 1990 afin de sécuriser la réalisation des projets, en développant ses capacités en excellence opérationnelle.
Aujourd’hui, il doit offrir un engagement permanent et plus opérationnel encore aux côtés de l’entreprise, notamment à travers des nouveaux types de services en continu ou des offres avec une forte composante technologique : des solutions récurrentes basées sur des logiciels (qui sont au fond une déclinaison sous forme de produits du capital intellectuel).
Mais son offre doit pouvoir aller jusqu’à livrer clés en main des activités nouvelles à ses clients. C’est d’ailleurs dans cette optique que notre cabinet a développé ses capacités à intervenir selon un modèle dit « BOT » (build, operate and transfer), en vertu duquel nous sommes amenés à prototyper, puis à incuber et opérer pendant un temps une nouvelle ligne de business, avant de la transférer à nos clients.
UNE CAPACITÉ À COPRODUIRE LA TRANSFORMATION DE BOUT EN BOUT
L’intelligence artificielle rend dès aujourd’hui possible l’automatisation de certains maillons historiques de la chaîne de valeur du conseil. © JCWAIT / FOTOLIA.COM
Accélération du temps, complexité croissante des enjeux, mutation des environnements, porosité de plus en plus forte entre secteurs, hyperconcurrence…
Ces phénomènes génèrent des exigences nouvelles pour les consultants, auxquels il revient de réellement s’engager sur les résultats et de maîtriser toutes les compétences sur un périmètre élargi, notamment sur « l’aval » du programme.
Ce vaste domaine intègre ainsi l’accompagnement de la mise en œuvre sur le terrain et la technologie associée, ou encore des capacités très spécifiques comme le retournement d’activités, la modélisation et le prototypage, voire le design.
L’APTITUDE À FAIRE ÉVOLUER L’ORGANISATION, À L’ÉCHELLE MONDIALE ET DANS LA DURÉE
Pour les dirigeants de groupes mondialisés, la transformation représente un défi majeur. Le conseil doit être capable de les aider à imprimer, en l’espace de quelques mois, des changements d’envergure à l’échelle d’effectifs pouvant atteindre 100 000 personnes. Cela exige des consultants de savoir travailler avec une égale efficacité avec toutes les strates de l’entreprise, de la salle du conseil au terrain.
Par ailleurs, être présent sur toutes les géographies et disposer d’un véritable maillage planétaire constitue à l’évidence un avantage comparatif fondamental pour un cabinet.
Mais il est surtout crucial de disposer d’une maîtrise approfondie du transfert de compétences, demande primordiale de la part des clients, afin de permettre aux divers échelons de s’approprier pleinement la transformation, de pouvoir la piloter jusqu’à son terme et surtout de l’ancrer dans la durée.
Les consultants doivent savoir travailler avec une égale efficacité avec toutes les strates de l’entreprise, de la salle du conseil au terrain.
© ADAM GREGOR / FOTOLIA.COM
LE NOUVEAU CONSULTANT
Il doit apporter un accompagnement plus fort, extensif et pointu aux dirigeants d’entreprises, mais aussi une capacité à couvrir le champ complet qui s’étend de la conception des grandes orientations à leur déploiement opérationnel et à leurs répercussions in fine sur la qualité de l’expérience client.
L’ACCOMPAGNEMENT AFIN D’ÉLARGIR L’HORIZON DE L’ENTREPRISE
La crise de 2008 a accéléré la transformation de la conception de l’entreprise et de la valeur dont elle est porteuse, avec un poids croissant de la dimension sociétale, si bien que les dirigeants intègrent aujourd’hui dans leur champ de décision des parties prenantes infiniment plus nombreuses et diversifiées, allant du consommateur, aux leaders d’opinion, en passant par les régulateurs. On passe ainsi de la shareholder value à la stakeholder value.
Dès lors, il importe de pouvoir aider les entreprises à réinventer leur dialogue avec l’ensemble de ces parties, ce qui suppose d’être en interactions constantes avec ces types d’acteurs très divers pour pouvoir apporter aux clients des perspectives novatrices et complètes sur toutes les dimensions du stakeholder management, qui devient une composante fondamentale de la stratégie et de la position concurrentielle.
Dans cette ère de réinvention pour le conseil et son offre, l’obligation pour les acteurs que nous sommes consiste au fond, afin de pérenniser notre pertinence et notre différenciation, à appliquer la recommandation que nous adressons à nos clients confrontés à une situation d’ultra-concurrence ou se situant sur la « frontière technologique » : organiser et piloter sa propre mutation.