Un soupçon d’amour, de Paul Vecchiali (53)
Connaissez-vous Paul Vecchiali ? Polytechnicien de la promotion 1953, il est le doyen des cinéastes français encore actifs, l’un des deux derniers représentants de la Nouvelle Vague, avec Jean-Luc Godard et Jacques Rozier. La Jaune et la Rouge lui avait consacré un article dans son numéro 728 (octobre 2017) : Paul Vecchiali (53), X et cinéaste indépendant. À 90 ans, Paul Vecchiali vient de sortir l’un de ses plus beaux films, le plus important dit-il, Un soupçon d’amour.
Avec des budgets pouvant atteindre plusieurs centaines de millions de dollars permis par la mondialisation, les blockbusters ont uniformisé les goûts des spectateurs. Le cinéma de Paul est à l’opposé : préparant ses films dans les moindres détails, il les tourne très rapidement, généralement dans sa villa en Provence, avec des budgets dérisoires, par nécessité – tout au plus quelques centaines de milliers d’euros. En 2004 c’est déjà avec les moyens du bord qu’il avait tourné un brûlot cinglant pour dénoncer le système de financement du cinéma en France : À vot’ bon cœur.
Le mystère Paul Vecchiali
Ses films n’attirent pas les foules : peu de salles les projettent et ils ne restent pas longtemps à l’affiche. Un soupçon d’amour ne fait pas exception : malgré de très bonnes critiques, il n’a totalisé que 4 038 entrées en six semaines – ce qui est malgré tout beaucoup plus que plusieurs de ses derniers films. Alors pourquoi Paul continue-t-il à tourner ? Il a tout arrêté de 1996 à 2003, mais son amour du métier, de ses acteurs et de sa fidèle équipe ainsi que son anticonformisme ont repris le dessus. Même si ses derniers films n’ont pas l’éclat de ses chefs‑d’œuvre des années 70 (L’Étrangleur, Femmes Femmes, Corps à cœur), ils perpétuent la sentimentalité torturée qui l’a toujours animé. Comment justifier une passion ?
Une carrière atypique
Unanimement considéré comme un cinéaste majeur, Paul est invité dans le monde entier à des festivals et à des rétrospectives de son œuvre. Sa carrière ne se limite d’ailleurs pas à la réalisation de longs-métrages. Il est aussi scénariste, producteur, acteur et auteur de dizaines d’autres œuvres : téléfilms, courts-métrages, romans, pièces de théâtre, etc. Il a aussi dirigé une œuvre encyclopédique, L’Encinéclopédie : Cinéastes « français » des années 1930 et leur œuvre – un regard passionné et subjectif sur 363 réalisateurs en 1 742 pages !
Un film complexe
Pour apprécier tout l’art de Paul Vecchiali, il faut s’abandonner, se laisser envoûter. Un soupçon d’amour se refuse tout d’abord au spectateur, avant de s’offrir pleinement à lui dès qu’il l’a vu plusieurs fois. L’amour sous toutes ses formes a toujours été au centre de sa vie, donc de ses films. Un soupçon d’amour (d’amour, justement) est un mélodrame. Mais ce terme est réducteur car il masque des incursions dans plusieurs autres genres – c’est aussi : du théâtre filmé, avec les répétitions d’Andromaque ; une comédie musicale, avec Geneviève et Isabelle qui se donnent en spectacle devant un parterre de convives (dont Paul) comme sur une scène de music-hall ; un film fantastique, lorsque Paul adopte le point de vue de Jérôme, l’enfant de Geneviève, sans quitter celui de la mère.
Amour et tourments
L’histoire racontée paraît simple, banale même : Geneviève Garland, une célèbre comédienne, répète Andromaque de Racine, avec son mari André pour partenaire. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et cède son rôle à son amie Isabelle, qui est aussi la maîtresse de son époux. Semblant fuir certaines réalités, Geneviève retourne dans son village natal avec son fils malade pour se consacrer à lui. Elle y renoue avec plusieurs protagonistes de son passé (une amie d’enfance, un premier amour devenu prêtre), et des bribes de son histoire personnelle lui reviennent. Mais la santé fragile de son fils se dégrade encore, la ramenant à une angoisse plus profonde.
“Ce drame intimiste
renvoie à l’histoire personnelle de Paul.”
Isabelle, de son côté, utilise son sex-appeal pour favoriser sa carrière, sans le moindre affect. Mais son amour pour André est réel, autant que son affection et son admiration pour Geneviève. Paul reconnaît beaucoup aimer ce personnage, que Fabienne Babe a parfaitement compris et incarné. À sa connaissance, c’est la première fois qu’un film montre deux « rivales » qui restent surtout deux complices.
Un drame personnel pour Vecchiali
Mais ce qui fait la très grande force de ce drame intimiste, c’est qu’il renvoie à l’histoire personnelle de Paul : sa compagne Léone et sa fille Marie-Christine se sont tuées accidentellement sur les rochers de L’Île-Rousse en 1955. Paul cherchait vainement à se libérer de ce deuil depuis plus de soixante ans. Après avoir publié un roman en 1966, Marie-Christine, il a souhaité faire un film. Mais il ne trouvait pas comment aborder le sujet : il n’imaginait pas qu’un comédien puisse tenir son rôle jusqu’à ce qu’il ait l’idée de le confier à une femme. Et cette femme ne pouvait être que Marianne Basler, qu’il fit découvrir au cinéma dans son excellent Rosa la rose, fille publique (1985), ce qui lui valut une nomination au César du meilleur espoir féminin en 1987. Elle a accepté et s’est totalement investie dans le personnage. La sœur de Paul, l’actrice Sonia Saviange, a par ailleurs perdu un fils qui n’a vécu que six heures : il lui a aussi dédicacé son film.
Quelques scènes remarquables
Certaines scènes marquent le spectateur. En premier lieu celle de la voiture : Geneviève s’adresse à son fils Jérôme qui tousse, mais il est absent. Paul adopte le point de vue de l’enfant, Jérôme, sans quitter celui de la mère. Tout son art est dans cette scène.
Il y a aussi une scène qui n’était pas prévue au départ. Paul fait une brève apparition sur la terrasse où tout le monde danse et enlace sa vedette. L’échange entre Isabelle et Pierre, le metteur en scène, a une saveur toute particulière dans le contexte de #MeToo :
– Qui c’est ce vieux ?
– Ce vieux, c’est lui qui finance le spectacle. Alors, profil bas !
Enfin il y a la séquence du téléphone : quand Geneviève demande à son mari, André, de décommander le dîner, la lumière passe au travers du téléphone. Paul avoue avoir pleuré sur le plateau quand il a vu le résultat : ce sentiment n’arrive pas souvent, c’est le résultat d’une communion parfaite entre l’opérateur, les techniciens et les acteurs.
À suivre…
Vous n’avez sans doute pas vu Un soupçon d’amour au cinéma car il n’est pas resté longtemps à l’affiche. Alors ne manquez pas sa sortie en DVD.
Et si vous êtes cinéphile, suivez l’actualité culturelle. Paul ne s’arrête jamais : il prévoit de tourner en février 2021 son prochain film, Pas de quartier, un drame musical construit autour d’un cabaret de travestis, et travaille déjà sur le suivant, L’Étrange Abécédaire de Madame Z, l’histoire d’une dame âgée qui vient de perdre son mari.