Un temps d’immobilité
Jacques Lesourne nous a habitués à un univers rationnel. Tout au long de son œuvre, il a défriché de nouveaux territoires, bousculé des frontières, construit inlassablement des analyses économiques et géopolitiques où se combinent rigueur et imagination. Mais il explore l’avenir avec méthode, il s’indigne des choses avec mesure et le souci permanent de balancer le pour et le contre ; il simplifie pour dégager des lignes de force ; il imagine des scénarios qui balayent le champ du possible. Un pétillement bienveillant surplombe toujours ce souci de maîtrise et de raison.
Quand Jacques Lesourne fait son blog
Or, voilà que son dernier livre, Un temps d’immobilité, rompt avec cette tradition. C’est la chronique d’une période (2000−2005) douloureuse pour lui. Douloureuse par la maladie, et les limites incontournables qu’elle nous fixe ; douloureuse par la vision d’une France immobile et incapable de se réformer, qu’il contemple en spectateur (malgré lui) engagé et parfois enragé. C’est dans ce décor que Jacques Lesourne nous révèle ses deux facettes : le réformateur lucide et raisonnable, et l’homme qui s’émerveille et se désespère.
Ce livre est un incessant va-et-vient entre les deux, et c’est ce qui fait son charme. Il nous offre des textes de réflexion sur la nouvelle économie, sur les conséquences mondiales du 11 septembre, sur la recherche et l’innovation, sur le référendum européen, sur la démocratie et le marché, sur la France et la réforme, sur l’élection présidentielle d’avril 2002, sur l’hésitation de la France entre concurrence et statut, et, en même temps, des billets d’humeur, parfois décapants, comme ceux sur « Tiepolo, Premier ministre », « À moi l’univers ou mon village », Panem et Circenses et un très beau texte en hommage à Jean Yanne, « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », plus une analyse d’une actualité saisissante, bien qu’écrite en 2002 : « Fausse Droite et Fausse Gauche ». Avec en prime, ce personnage pudique qui renonce à refouler son amour pour les siens, et cet homme curieux de tout qui dévore l’histoire, la politique, l’économie et les romans avec la boulimie du temps compté et la soif de comprendre et de construire l’avenir.
S’il avait été plus jeune, ç’aurait pu être un blog. Mais c’est un livre, un beau livre que Jacques Lesourne nous offre, avec une fraîcheur de cœur et d’esprit qui fait du bien.