Une alimentation durable : quels enjeux ?
REPÈRES
REPÈRES
Le défi alimentaire est d’assurer à la population une alimentation répondant à ses besoins qualitatifs et quantitatifs dans un contexte de développement durable. Les termes de l’équation mondiale de la suffisance alimentaire sont connus : la planète devra assurer l’alimentation de plus de 9 milliards d’individus en 2050, satisfaire en outre des demandes non alimentaires accrues compte tenu de la raréfaction croissante des énergies fossiles, tout cela dans le cadre d’un développement respectueux de l’environnement et des hommes.
La question de l’alimentation durable intègre à la fois la capacité à assurer la satisfaction des besoins vitaux d’une part, et les conditions d’orientation du système alimentaire mondial vers le respect des trois piliers d’un développement durable. Les enjeux sont multiples.
Mesurer l’impact des changements sur les systèmes alimentaires
Il s’agit non seulement de nourrir l’ensemble de la population mondiale, mais aussi de limiter les pathologies de la surnutrition, comme de la malnutrition et de la dénutrition des gens âgés ; de réduire les inégalités face à l’alimentation et à la santé dans les pays développés comme dans les pays en développement ; de maîtriser l’impact écologique des systèmes alimentaires, en préservant les milieux naturels plus ou moins anthropisés, en minimisant l’émission de gaz à effet de serre ; de maintenir le développement économique et l’emploi (les industries alimentaires sont le premier secteur industriel français et le deuxième employeur), condition d’une accessibilité des aliments au plus grand nombre ; enfin de mesurer l’impact des changements globaux sur les systèmes alimentaires, et en particulier leur résilience par rapport aux instabilités écologiques et économiques.
Un défi mondial et polymorphe
Un outil de prospective
L’opération Agrimonde a été menée de 2006 à fin 2008 par une équipe INRA-CIRAD. Elle répondait à trois objectifs : définir les bases d’une réflexion stratégique permettant d’orienter la recherche agronomique ; créer les outils permettant des débats et interactions utiles au plan national ; promouvoir le rôle des experts français sur la scène internationale. Un rapport de synthèse peut être téléchargé depuis l’adresse : www.paris.inra.fr/prospective/
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La prospective Agrimonde menée conjointement par le CIRAD et l’INRA et dont les résultats viennent d’être présentés montre qu’il est possible de relever le défi alimentaire, sous réserve que certaines conditions soient satisfaites, en particulier une augmentation durable des rendements du côté de l’offre et une amélioration des taux d’utilisation des produits agricoles aux différents stades, en incluant la réduction des pertes et gaspillages, de la sortie de l’exploitation à l’assiette du consommateur, et une éventuelle réduction ou modification des régimes alimentaires du côté de la demande. Néanmoins l’alimentation est un système bien plus complexe que la seule satisfaction quantitative et sanitaire des besoins nutritionnels : le système mondial est aussi profondément culturel, consumériste, social, économique et local. Une particularité de ce domaine est le croisement entre les choix individuels qui déterminent chaque alimentation, et la grande variété d’acteurs socioéconomiques depuis la production jusqu’au consommateur. La conséquence est que chacun appréhende difficilement son impact sur la durabilité des systèmes alimentaires.
Pertes et gaspillages
Alimentation et énergie
Si on compare deux scénarios de consommation, l’un avec une poursuite tendancielle de l’augmentation de calories d’origine animale et un régime inchangé dans les pays de l’OCDE, et l’autre avec une réduction de 25% des calories disponibles dans les pays de l’OCDE et une division par deux des calories d’origine animale (1200 à 500 kcal.hab/j) dans ces mêmes pays, les besoins agricoles mondiaux en 2050 passent de 53000 Gcal/jour à 37000 Gcal/j.
En termes quantitatifs, il est important de distinguer les disponibilités apparentes, qui sont les quantités produites, tenant compte des imports-exports et des stocks, des consommations réelles. Elles ne tiennent pas compte des pertes et gaspillages (estimés entre 30% et 50% dans les pays développés, en particulier au stade de la consommation). Elles ne représentent donc que d’une façon imparfaite la consommation ; ainsi la disponibilité apparente dans les pays développés est de l’ordre de 3500 à 4000 kcal/jour alors que les besoins moyens sont de 2 000 kcal/jour. Toutefois, au niveau mondial, seules ces données sont disponibles.
Le poids des régimes alimentaires, clé des analyses
Les limites des approches actuelles pour intégrer les trois piliers du développement durable (économique, social et environnemental) et proposer des instruments d’arbitrage sont nombreuses. Les systèmes considérés par les ACV (Analyses de cycle de vie) sont difficilement applicables aux régimes car ne tenant pas compte de la substitution de produits (par exemple fruit-pâtisserie). Ils sont difficilement applicables au niveau des nations, des filières et des consommateurs. On note aussi l’absence de méthodes pour intégrer l’environnement, l’efficacité économique et l’impact social.
Pour avancer dans l’identification des enjeux majeurs, nous proposons une entrée par la notion de régime ou style alimentaire, à savoir la combinaison des aliments consommés par un individu et des pratiques de consommation. Cette entrée doit permettre une approche intégrée des facteurs qui conditionnent l’offre et la demande alimentaires (incluant tous les déterminants complexes du comportement des consommateurs) et de traiter de façon pertinente leurs effets sur la santé.
Hypothèses et questionnements
Les modes de consommation peuvent faire évoluer les systèmes, sans pour autant être les seuls déterminants des évolutions. On sait qu’ils évoluent à des rythmes très variables selon les cas, sont déterminés par des routines sociales et affectives qui jouent sur l’efficacité des messages d’information et de recommandations. On peut faire toutefois des hypothèses d’évolution des comportements, qui auront des conséquences sur l’ensemble de la chaîne, aux différentes échelles, nationales, régionales, de chaque unité de production ou de transformation.
Le système mondial est culturel, consumériste, social, économique et local
Si l’on fait l’hypothèse d’une meilleure adaptation aux recommandations nutritionnelles, par exemple par une réduction de la consommation moyenne de viandes (ce qui a également un effet sur les consommations d’énergie et d’eau des systèmes de production), on devra s’interroger sur les priorités environnementales que l’on se donne et donc les types d’exploitations à privilégier (intensif vs extensif, animaux laitiers vs à viande ou mixte, races à lipogenèse modérée limitant les dépôts gras des viandes), leur localisation, et par conséquent la reconversion des exploitations y compris vers des fonctions de chimie verte, la gestion des territoires en déprise agricole.
Nouveaux comportements
Si l’on fait l’hypothèse d’une augmentation massive de la restauration hors foyer, ce qui sera au moins vrai pour les populations âgées en institution, on peut s’interroger sur l’impact sur les facteurs du développement durable des systèmes alimentaires correspondants, sur des contraintes sanitaires renforcées et coûteuses, sur l’adaptation des systèmes amont de production, de distribution et la dynamique urbaine correspondante. Si l’on fait l’hypothèse d’une augmentation du niveau de vie dans les pays du Sud, quels modèles de consommation émergeront et quelles conséquences environnementales de la propagation massive d’un comportement de type occidental à forte consommation de protéines animales ? On a en effet systématiquement observé, dans le passé et au niveau mondial, une augmentation de la consommation de produits animaux avec l’élévation du niveau de vie. Enfin, si une biologie humaine prédictive se développe fortement, à partir de la disponibilité de fortes capacités de phénotypage et de génotypage, il faut prévoir comment satisfaire les besoins d’une alimentation individualisée.
Quel sera le developpement de la restauration hors foyer ?
© Christophe Maitre
Économie, santé et écologie
L’analyse de ces quelques hypothèses d’évolutions amène de nouvelles questions. En effet, les systèmes de production-transformation dépendent des régimes alimentaires et des pratiques de consommation. Réciproquement, l’offre influence les régimes alimentaires.
Les modes de consommation sont déterminés par des routines sociales
Pour chacun de ces modèles de consommation, quels sont les éléments significativement modifiés par rapport à l’état actuel des impacts environnementaux, économiques et sociaux (incluant les aspects nutrition-santé) ? Ces nouveaux modèles ontils le potentiel d’être plus ou moins durables que les systèmes actuels ? Autre nature de préoccupations : quels outils de suivi à long terme sont nécessaires par la combinaison de données socio-économiques, de données de santé publique et de pression sur les milieux naturels ?
Urbanisation et espace rural
Effet de serre
On sait aujourd’hui que le déplacement des consommateurs vers leurs lieux d’approvisionnement (distance moyenne de 25 km en France) a un impact majeur sur l’émission de gaz à effet de serre.
Au niveau de l’organisation des filières, la question des dynamiques urbaines et de la localisation des unités de productions-transformation- distribution est déterminante. Au regard des dynamiques majeures d’urbanisation et d’occupation de l’espace rural dans les pays développés et dans les pays émergents, il convient d’anticiper les conséquences potentielles pour leur approvisionnement alimentaire. Autres questions à traiter : quel sera, sur la distribution alimentaire, l’impact de nouveaux modes d’organisation de la ville ? Et quelle serait la localisation optimale des productions au regard des évolutions des consommations, de la gestion des territoires, de la consommation de biens locaux (eau, conflits d’usages) et de la logistique et la distribution ?
Changer les comportements
Au niveau de l’évolution des pratiques de consommation, le premier enjeu est d’identifier les facteurs permettant des dynamiques d’évolution des comportements des consommateurs,
La question des dynamiques urbaines et de l’usage des terres est déterminante
de l’évolution de leurs pratiques routines, de la hiérarchie des enjeux qui influencent leurs achats et modes de consommation, en tenant compte de l’impact de pertes de repères culturels alimentaires, du brouillage des connaissances alimentaires des populations, des capacités de choix liées aux modes de restauration (RHF).
Autre domaine d’analyse : prévoir les modifications importantes pouvant être issues des évolutions agroalimentaires (techniques).
Enjeux politiques et sociaux
La responsabilité des entreprises
L’offre des entreprises productrices, des détaillants, des différentes formes de restauration collectives va évoluer avec l’intégration de critères de responsabilité sociale et environnementale. Il faut être en mesure d’en évaluer les résultats et donc développer des méthodes adaptées. En particulier, on peut se demander si, en s’engageant dans des démarches de développement durable, de responsabilité sociale, d’écoconception, les entreprises vont insuffler de nouveaux modes de consommation plus durables.
La question clé est évidemment de déterminer dans quelle mesure des politiques publiques peuvent avoir des effets structurels sur les modes de consommation, de production et les relations à l’environnement. Dans quelle mesure, par exemple, les réglementations sanitaires ont un impact sur les consommations énergétiques liées au froid et les pertes à la distribution ou la consommation ? Une amélioration d’impacts environnementaux ne peut-elle conduire à dégrader les facteurs économiques ou sociaux ? Citons le cas de commandes et livraisons à domicile conduisant à la perte d’un lien social pour les personnes fragilisées. Évoquons encore l’augmentation des prix des denrées renforçant l’exclusion des personnes défavorisées et accentuant le déséquilibre de leur régime alimentaire et augmentant le coût des dépenses de santé.
Tous ces enjeux, toutes ces questions méritent d’être analysés et éclairés par la recherche mais aussi par les acteurs économiques et sociaux.
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Recherche d’information sur Consommation responsable
Bonjour
Je suis étudiante dans un Master de Recherche sur Economie Sociale et Solidaire en Equateur. Je suis franco-équatorienne. Dans le cadre du master, je dois réaliser une recherche, mon sujet est la consommation responsable, qui va de la main avec les differentes tematiques que vous abordez dans cet article. S’il vous plait, qui peut me dire si vous aviez developpé ces thematiques ?
Est-ce que je peux avoir acces aux resultats de vos recherches ? je vous remercie de votre aimable attention et de votre réponse.
Bien cordialement,
Zaskya Mousseau
Equateur.