Une alternance réussie
À la fin de la dictature militaire, la classe politique désorganisée avait perdu ses traditions, pendant les vingt et une années où elle avait vécu sans liberté d’expression et d’activité. Pratiquement, du jour au lendemain en 1985, les partis politiques ont dû s’organiser et présenter des candidats aux élections. Le Congrès élu, sans l’avoir été spécifiquement pour cela, s’est donné comme première tâche d’élaborer une nouvelle constitution, promulguée et appliquée depuis. Trop « détailliste » (les parlementaires l’ont faite presque pour eux-mêmes), son principal défaut est d’octroyer des droits aux citoyens, sans définir leurs devoirs et sans se soucier comment seront financées ses largesses. Le résultat fut qu’en 1994 la situation financière du pays était celle d’un État en faillite, vivant avec un taux d’inflation de 1 % par jour. Le président en exercice, Itamar Franco, a confié alors à une équipe économique, pilotée par le sociologue Fernando Henrique Cardoso (FHC), la mission d’élaborer un plan, susceptible de résoudre le problème endémique et insupportable de l’inflation.
Le Plan Réal – c’est le nom qui lui a été donné – a démarré le 1er juillet 1994 et, contrairement aux trois plans essayés par les gouvernements antérieurs, a donné rapidement un résultat positif. La courbe croissante du taux d’inflation s’inversa dès lors durablement.
Au second semestre 2002, au terme des deux mandats présidentiels de FHC, l’économie du pays a été très perturbée par la perspective de l’élection possible du candidat de gauche, le syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva. Cette perspective a eu des répercussions sur les paramètres économiques, en particulier sur le taux de change, exprimé en dollar, qui s’est dégradé progressivement au cours de l’année – un dollar valait 2,4 réals en janvier 2002, il atteignait 4 réals par dollar certains jours de septembre 2002.
En décembre 2001 le programme publié par le Parti des Travailleurs (PT), cofondé par Lula, avait comme slogan : « Nous arrivons pour tout changer ». Très rapidement Lula a compris qu’avec une telle affirmation il n’avait aucune chance d’être élu contre le candidat social-démocrate (PSDB), José Serra. Fort judicieusement, en juin 2002, Lula a publié sa Lettre au Peuple Brésilien dans laquelle il affirmait que le nouveau gouvernement respecterait tous les engagements du Brésil (dettes internes et externes), tout en assurant le contrôle des dépenses de l’État et de l’inflation. C’est dans un climat de tranquillité qu’en octobre 2002 Lula a gagné la présidentielle au second tour.
De suite, en janvier 2003, Lula a surpris en nommant des hommes et des femmes capables aux ministères clés – Finances, Industrie et Commerce, Plan, Environnement, Agriculture, Justice et Affaires étrangères. De plus, il nomme, à la tête de la Banque centrale, un député de la nouvelle opposition (PSDB social-démocrate), mais qui, au Brésil puis aux USA, avait été président de la Banque Boston. Au cours du mois de décembre 2002, la transmission des pouvoirs entre le gouvernement sortant et le nouveau que Lula venait de monter, s’est faite dans la plus grande harmonie, qualifié d’un « sans-faute » par les Marchés.
Par contre pour certains autres ministères et les présidences des entreprises de l’État, le président a été moins heureux. Il a cédé aux pressions de son parti (PT) et de ses alliés. La compétence n’a pas été le critère des choix – attitude qui, par la suite, a créé au Président de nombreuses déceptions.
Dans le domaine économique la continuité et la volonté, jamais démentie de Lula, de maintenir une politique de rigueur, assurent le contrôle de l’inflation et la force de la monnaie. La courbe ci-après montre, fin 2006, une valeur annuelle pour l’inflation officielle voisine de celles des pays développés – tous les divers indices sont dans la fourchette, 2 à 3 %. Depuis 1994, l’instrument de contrôle de l’inflation est le Taux directeur de la Banque centrale que le Comité de politique monétaire, (Copom) – composé de membres de la Banque centrale et du ministère des Finances – altère, lors de sa réunion mensuelle, en fonction de la tendance du taux d’inflation et d’événements internes ou externes qui pourraient influencer l’économie.
Depuis juillet 1994, la Banque Centrale travaille aussi à la stabilisation de la monnaie brésilienne, le réal. En janvier 1999 (dévaluation), elle a pu établir la liberté du change, lequel, après des fluctuations en 2002 (année électorale) s’est stabilisé progressivement vis-à-vis des monnaies fortes – un dollar US vaut 2,17 réals au 31 décembre 2006 contre 2,20 en juin 2001. Pour les exportateurs, le réal à sa valeur actuelle est considéré fort et cette force gêne les industriels – leurs marges à l’exportation sont faibles ou nulles. De plus, sur le marché interne ils subissent la concurrence des produits importés les obligeant à contrôler leurs prix.
Malgré ce change fort, le Brésil devient un pays exportateur, dégageant chaque année un excédent de sa balance commerciale important et croissant progressivement depuis 2001. Ce résultat, que Lula s’attribue, ne s’est pas fait au cours des quatre dernières années. Il est le fruit d’un long effort des industriels et des gouvernements successifs. Déjà en 1992, le président Collor a amorcé une réduction des droits de douane, mettant la production brésilienne en concurrence avec les produits importés – de meilleure qualité et moins chers. Tous les secteurs de l’économie ont dû investir pour se moderniser afin d’atteindre les niveaux internationaux. Ils ont fait parallèlement un long travail de prospection des marchés mondiaux, obtenant les premiers résultats en 2000 (tableau ci-contre). Depuis le commerce extérieur dégage, chaque année, un excédent croissant qui a permis de liquider les dettes externes du Brésil, en particulier celles qu’il avait avec le FMI et d’accumuler, fin 2006, des réserves en monnaies fortes, exprimées en dollars, de 90 milliards.
La politique de rigueur et un Taux directeur de la Banque centrale maintenu en moyenne à une valeur élevée ont eu une influence sur l’évolution du PIB dont la variation reste à un niveau relativement faible pour un pays en développement. Sa croissance moyenne, au cours des quatre années de la présidence de Lula, n’est pas très différente de celle obtenue par son prédécesseur. Pour générer un taux de croissance supérieur, Fernando Henrique Cardoso puis Lula se sont heurtés à un volume de l’épargne publique et privée insuffisant pour financer des nouveaux investissements. De plus, l’État a des dépenses fixes trop élevées – une conséquence de la constitution de 88 – laissant peu de moyens pour investir dans les infrastructures, insuffisantes pour accompagner un taux de croissance supérieur à l’actuel. Enfin les investissements directs étrangers (IDE), diminuent en raison d’une charge fiscale globale élevée (38 % du PIB) et de règles du jeu instables qui effraient les investisseurs étrangers – dans le cas des PPP (Participation Public Privé), pour les investissements en infrastructures, le Gouvernement exige, pour des raisons idéologiques, d’avoir un vote majoritaire.
Dans le domaine des affaires étrangères, le ministre de Lula, Celso Amorin, au cours de l’année 2003, a organisé de nombreuses rencontres du Président avec ses homologues des pays développés de l’hémisphère Nord. Mais, après ces nombreux contacts, le Brésil a décidé de ne pas les poursuivre, en particulier avec les États-Unis, qui voulaient créer le grand marché commun (ALENA) étendu de l’Alaska à la Terre de Feu. Depuis, la Politique étrangère du Brésil a donné la priorité au dialogue Sud/Sud, aboutissant (au moment du sommet OMC de Cancun) à la création du G20, contrepoids du G7 – aux réunions duquel Lula a été en général invité.
Cette évolution de la politique externe a pour le Brésil un double intérêt : étendre les possibilités de son commerce extérieur et obtenir des appuis importants, pouvant le soutenir dans sa recherche d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Le G20, au sein duquel trop d’intérêts sont conflictuels, n’a cependant pas apporté au Brésil le soutien attendu pour le siège de l’ONU (Chine et Afrique).
De même le Brésil en 2005 n’a pas obtenu l’appui de ces pays pour désigner ses candidats à la Direction générale de l’Organisation mondiale du Commerce, OMC, gagnée par le Français, Pascal Lamy, et à la présidence de la Banque interaméricaine de Développement, BID, octroyée au Colombien, Alberto Moreno.
De même le Brésil a des problèmes presque permanents avec l’Argentine qui au sein du Mercosur a toujours voulu un traitement de faveur. Enfin l’appui du Brésil pour que le Venezuela, du président Chávez et maintenant la Bolivie d’Evo Morales, entrent dans le Mercosur a compliqué les relations internes en particulier avec l’Uruguay qui est tenté de signer un accord de libre-échange avec les États-Unis (modèle Chilien). L’importance que prend Hugo Chávez qui espère devenir le leader des pays de l’Amérique du Sud, position que Lula pensait détenir de droit, favorise maintenant un rapprochement des USA. Le président Bush voit en Lula, face au remuant Chávez, l’élément modérateur du continent Sud Américain.
L’année 2005 a été marquée par la découverte de scandales qui impliquent le Parti des travailleurs (PT) et ses alliés : caisses occultes, pour le financement de ses campagnes électorales de 2002 et 2004, alimentées par des moyens illégaux ; achat des votes de députés des partis alliés et même du PT (versements mensuels en liquide) pour assurer au cas par cas la majorité nécessaire à la Chambre. Toutes ces affaires sont entre les mains de la police et de la justice et suivent leur cours. Le président Lula n’a pas été impliqué, il a toujours prétendu qu’il n’était pas au courant et avait été trahi.
Le 29 octobre, les Brésiliens, en majorité satisfaits de la gestion du président Lula, ont donc choisi de le réélire : au 2e tour, Lula (Parti des Travailleurs, PT) obtient 60,82 % des votes valides ; Alckmin (Social démocrate, PSDB) : 39,18 %.
Les résultats de ce second tour ont montré un pays divisé. Dans tous les États, situés au nord d’une ligne coupant le Brésil d’est en ouest passant au sommet de l’État de Rio, Lula est fortement majoritaire, par contre dans les États les plus riches – industrie, élevage et agriculture intensive – situés au sud de cette ligne c’est Alckmin qui est en tête.
Lula, au cours de son second mandat, devra tenir compte de cette division. Il aura besoin de ces États riches pour poursuivre sa politique économique de rigueur, maintenir le contrôle de l’inflation et de la monnaie tout en assurant une croissance du PIB supérieure à celle des douze dernières années – en moyenne, 2,5 à 2,8 % par an.
Pour tenir la promesse du soir de son élection (assurer une croissance du PIB de 5 % par an au cours des quatre années de son second mandat), le président Lula a lancé, le 22 janvier 2007, son Plan d’Accélération de la Croissance (PAC) qui sera, annonce-t-il, la grande œuvre de son second mandat. Ce Plan prévoit d’investir, spécialement dans les infrastructures et l’énergie, 503,9 milliards de réals (€ 183 milliards). Le Trésor investira 13,4 % du total, les entreprises d’État 43,5 % – dont Petrobrás 34 % – enfin le secteur privé 43,1 %.
Le PAC est loin de faire l’unanimité des milieux politiques et économiques : la partie la plus à gauche de l’échiquier politique le trouve trop libéral, l’opposition timide et inconsistant. Les économistes et le secteur privé constatent le faible investissement de l’État et font ressortir que l’investissement des entreprises de l’État et en particulier de la Petrobrás serait réalisé sans le PAC – il fait partie de son plan à dix ans, déjà ancien, d’assurer et de maintenir l’autosuffisance en brut du Brésil et depuis 2006 en gaz, suite aux problèmes créés par la renationalisation en Bolivie. Ils lui reprochent aussi de ne pas faire mention des réformes indispensables pour le pays (politique, fiscale et de la sécurité sociale). Le gros effort sera donc du secteur privé. D’ailleurs le gouvernement réalise qu’il doit le mobiliser, ce que fait le ministre des Finances, Guido Mantega. Il a accordé une entrevue au journal O Estado de São Paulo, publiée le 28.01.2007, incitant les industriels à croire au PAC et insiste : « Il n’existe pas de développement induit par l’État. Ce que nous voulons c’est que le secteur privé assume son rôle d’investisseur. »
Enfin, pour assurer le démarrage du PAC, le Président devra, avec deux Chambres moins dociles que les précédentes, obtenir un vote rapide des Mesures provisoires qu’il a signées et envoyées au Congrès.
Depuis juillet 1994 le Brésil a beaucoup évolué. Au cours des trois derniers mandats présidentiels, il a acquis une notoriété économique et politique parmi les grandes nations du monde, conséquence de ses prises de position dans le domaine des affaires étrangères qu’accompagne la maîtrise des paramètres de son économie. Ces actions et résultats font que les milieux économiques et politiques mondiaux considèrent le Brésil déjà au-delà d’un pays en développement, en voie de rejoindre ceux du 1er monde.