Une aventure avant tout humaine
Une autre success story de retournement. Quels sont les motivations d’un tel acteur pour lequel il serait plus simple de gérer une société “normale” ? Pour la patrie, les sciences (humaines) et la gloire et pour relever un défi auquel personne ne croit plus. Cela revient à établir un véritable contrat de confiance avec le personnel en place.
Le métier du retournement est structuré autour d’investisseurs- acteurs du retournement (fonds de retournement) et de cabinets de prestation pour le compte d’investisseurs qui, eux, ne prennent pas opérationnellement part au retournement.
Pour ces acteurs, la question du « pourquoi un tel projet » ne se pose même pas : c’est leur métier, leur fonds de commerce.
D’un projet à l’autre
Mais le métier est aussi constitué d’acteurs individuels, qui ont pour seule marque commerciale leur nom et leur track record.
Lorsqu’un retournement est terminé, ils partent sur un autre dossier au gré des rencontres, avec un statut juridique personnel varié et évolutif ; bref, ce sont des « mercenaires du retournement ».
Pourquoi investir son temps, son énergie et parfois son argent dans des projets aussi complexes et risqués, plutôt que de gérer une société « normale » ?
REPÈRES
Une défaillance d’entreprise laisse généralement une part de marché disponible.
De nombreux prétendants s’empressent de se positionner pour la prendre : concurrents directs ou indirects ou nouveaux acteurs qui apporteront des changements et permettent ainsi à notre civilisation de faire son évolution. D’un point de vue macroéconomique, cela peut paraître sain.
Mais, il ne faut pas oublier qu’une entreprise est avant tout une équipe humaine.
Trois motivations fortes
Pour la patrie, les sciences (humaines) et la gloire : trois motivations pour faire du retournement son métier. Relever un défi extraordinaire auquel personne ne croit plus. Combien souvent les entreprises que nous rencontrons sont prises dans des bourbiers indescriptibles ?
Sauver une marque non leader présente uniquement en grande distribution à l’heure où celle-ci lance ses propres marques, sauver une entreprise distribuant ses produits en porte-à-porte : ces situations d’une grande difficulté sont autant de défis à relever.
Reconstruire avec ceux qui ont bâti
Le deuxième aspect, certainement le plus enrichissant, est de s’engager dans une aventure humaine forte, celle de reconstruire un édifice qui s’est écroulé après avoir connu ses heures de gloire.
À CHACUN SON MÉTIER
Mon dernier projet de retournement concernait une entreprise vitivinicole de première importance, premier propriétaire de sa région viticole.
Dans un métier qui, certes, correspondait à une de mes passions, mais dans lequel je n’avais pas les compétences techniques, les choses ont été dites clairement dès le début :
« Vous savez faire votre métier de production du vin, je vous fais confiance bien que la confiance n’empêche pas le contrôle. Je fais mon métier de retournement, faites-moi confiance et je vous donnerai même les moyens de voir où on en est. »
Reconstruire avec des personnes qui l’ont bâti grâce à un vrai savoir-faire qu’il faut comprendre et respecter, des compagnons qui vous voient arriver comme un extraterrestre parce que vous leur dites que vous allez réécrire avec eux en quelques mois l’histoire qu’ils ont mis des années à écrire.
Et vous y arriverez car vous savez comment écrire, et eux ont l’expérience qui vous donnera les mots pour ces pages d’écriture à venir. Dès le diagnostic, vous les impliquerez car ils ont vécu l’échec et auront forcément des éléments d’analyse.
Patrimoine économique
Troisième motivation : sauver une marque, un savoir-faire, une entreprise parce qu’ils font partie de notre patrimoine. Quitte à ce que l’entreprise change fondamentalement de métier.
Il est normal qu’une entreprise évolue et cette évolution peut parfois être rapide voire radicale. La peur de l’évolution, et notamment d’une évolution forte, est souvent un des freins au changement qu’il faut lever rapidement et de manière très transparente.
Contrat de confiance
Pour que le projet de retournement soit une aventure réussie, il faut établir un véritable « contrat de confiance » avec ceux qui vous seront complémentaires : vous apportez le savoir-faire de retournement, c’est-à-dire la méthodologie, la vitesse, les ressources, le discernement ; eux apportent le savoir-faire métier.
TENIR FACE AU MAUVAIS TEMPS
Aux yeux des salariés, le manager du retournement est le dernier recours pour l’entreprise avant une éventuelle liquidation.
Cela lui confère un devoir complémentaire de loyauté envers les salariés : rester jusqu’au bout quoi qu’il advienne (tout au moins tant qu’il a la confiance des actionnaires).
Cela est valable pour tous les membres de la direction, qui doivent se positionner individuellement : « Je crois au projet et je m’engage à rester jusqu’au bout », ou alors : « Je n’y crois pas et je laisse ma place dès le début. »
Tout d’abord, il faut qu’une base de confiance s’établisse ; il faut donc donner à tous les acteurs les moyens de comprendre où on en est. Si toute vérité n’est pas bonne à dire, le partage de la vérité reste un outil de motivation majeur.
Car on ne peut demander aux salariés de s’engager avec abnégation sans, en retour, leur dire où en est l’entreprise.
Informer le personnel régulièrement
Sans dévoiler certains éléments stratégiques que vous ne partagerez qu’avec les actionnaires, vous devez communiquer en toute transparence sur l’avancement du plan de retournement, via des points trimestriels avec vos salariés par exemple, ou encore la publication de petits indicateurs facilement compréhensibles à un rythme au moins mensuel.
Toutefois, ces grands-messes ne doivent pas être l’objet de diffusion de chiffres dans tous les sens : l’entreprise, à cette phase de sa vie, est gérée plus par projets que par objectifs chiffrés.
Un contrat bilatéral
En tout état de cause, l’établissement de ce contrat de confiance est difficile : là se trouve une des compétences majeures requises pour mener à bon terme un retournement. Le contrat initial est unilatéral : même si, dans certains cas, les salariés ont émis un avis (favorable ou non) sur votre arrivée, ils ne vous ont pas choisi. Il faut donc transformer un contrat unilatéral subi en contrat bilatéral.
Il ne s’agit pas de faire succomber vos salariés au syndrome de Stockholm, mais d’apporter une réelle motivation pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes au profit de la société, à un moment où eux-mêmes et la société sont en échec.
La société Henri Maire a engagé un retournement global.
CINQ ANS POUR SAUVER LES DOMAINES HENRI MAIRE
La société Henri Maire, plus grand propriétaire du Jura avec 300 hectares, rachetés à la famille du fondateur en 2010 par le fonds de retournement Verdoso Industries, a dû engager un retournement sur tous les fronts :
restructuration et relance de la force de vente, plan d’arrachage et replantation de plus de 50 hectares de vignes, nouvelles méthodes de culture, investissement de remise à niveau dans le chai pour la cuverie et la futaille, ainsi que dans l’outil de mise en bouteille.
Après deux opérations de croissance externe réalisées en 2013 en rachetant des négociants basés à Nuits-Saint-Georges, la majorité a été cédée début 2015 au groupe Boisset, un des acteurs majeurs français du vin.
Un engagement moral de toutes les parties
La motivation des salariés est évidemment primordiale pour permettre le retournement. Pour mener les acteurs du projet de la position actuelle à la position cible, on peut les contraindre en les poussant vers la position cible, ou bien les y attirer en leur donnant envie d’y aller, et même d’y aller vite. L’une des méthodes est évidemment plus efficace que l’autre.
Plus ils seront motivés, plus ils avanceront vite. C’est là le rôle principal du meneur du projet de conduite du changement, et c’est là la principale compétence qui est requise de lui.
Ambition et réalisme
Il faut alors définir pour chaque acteur de l’entreprise des objectifs réalistes mais ambitieux, de manière à atteindre l’objectif de retournement. Vous devrez évidemment réussir à faire que chacun adhère au projet en commençant par vos subordonnés directs, c’est-à-dire généralement le comité de direction, avec la double difficulté de les faire adhérer tout en leur fixant à eux aussi des objectifs ambitieux.
Et en tirant les conséquences qui s’imposent dès lors que l’un d’eux n’adhère pas. L’engagement majeur des salariés à vos côtés consiste à fournir le meilleur d’eux-mêmes pour tenir leurs objectifs.
Faire bien avec peu
Dans une société en retournement, les moyens sont généralement limités en ressources matérielles, humaines ou financières, et l’enjeu temporel est majeur.
La solution qu’on essaie de mettre en œuvre est imparfaite ; elle est juste économiquement équilibrée et donc meilleure que celle qui existait au début du retournement.
L’objectif est de « faire bien avec peu ». L’apprentissage de l’échec et son acceptation sont notamment importants. Chaque manager doit tenir compte de cette limitation de moyens dans l’évaluation de la performance de son équipe afin de ne pas brider l’engagement des salariés qui se battent pour sauver l’entreprise.
Tout cela influence le lien social avec les salariés et requiert une pédagogie adaptée de tous les managers de l’entreprise.
Primauté de la dimension humaine
Le retournement contient, au-delà des savoir-faire techniques, une dimension humaine majeure qui revêt plusieurs aspects.
Pour celui qui s’engage dans un tel projet, il s’agit d’un véritable choix de vie professionnel très impliquant, notamment dans la relation humaine qui se crée entre le manager (parfois actionnaire) et les salariés, mais aussi par la simple acceptation du mandat donné par les actionnaires.
Outre les enjeux économiques pour les investisseurs, le retournement est une aventure humaine.