Une brève histoire de l’aérosurveillance
Depuis la nuit des temps l’homme a rêvé de voler comme un oiseau et de se déplacer dans les airs sans obstacles et sans frontières, en toute liberté. Il lui a fallu des millions d’années pour réaliser ce rêve.
La guerre de 14–18 fut la première occasion de voler au-dessus du territoire de l’ennemi pour l’observer depuis la troisième dimension, la jumelle ayant sa limite. La suite, nous la connaissons : désir de » toujours plus » ? Progrès ? La photographie aérienne est née de notre envie de voir toujours plus loin, avec de plus en plus de détails.
La photographie aérienne a connu un développement rapide grâce à sa liaison avec la photogrammétrie et à la mise au point par Georges Poivilliers et Henri Roussilhe (1898) de la « stéréophotogrammétrie » aérienne qui a résolu le problème de la restitution en utilisant un couple de photographies aériennes associées et a mis en oeuvre la vision stéréoscopique.
La vue aérienne est à l’origine de la cartographie qui a servi des disciplines très diverses, telles que l’archéologie ou géomorphologie, laquelle a fait l’objet d’une publication de l’IGN célèbre en son temps : Atlas des formes du relief.
Dès 1915, un observateur militaire pouvait compléter grâce à la photographie aérienne le renseignement visuel fragmentaire par l’image exacte du champ de bataille, oblique et panoramique, puis verticale avec recoupement (prises de vues tenant compte de la vitesse de déplacement de l’avion et du temps d’espacement des prises).
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le matériel ne faisait appel qu’aux principes classiques de la photographie, généralement au format 24 x 24 à magasins à mains pour les vues obliques, panoramiques et fixes, en montage dit ventral. Des escadrons de reconnaissance ont été ainsi créés. Ils disposaient de centres photo permettant aux interprétateurs spécialement formés de fournir aux états-majors de précieuses sources de renseignements, allant de la couverture de base au 1⁄20 000 à la couverture d’itinéraires pour déceler les mouvements de l’ennemi.
Toutefois, le » temps réel » n’existait pas encore et les informations de la mission-photo arrivaient une heure après l’atterrissage de l’aéronef.
Les perfectionnements mécaniques et la vitesse croissante des avions ont rendu caduque la technique traditionnelle photographique grâce au remplacement des plaques photosensibles par des magasins à film, télécommandés automatiquement depuis l’opérateur à bord. En parallèle, l’évolution des émulsions du support a permis une amélioration très sensible de leur rapidité ainsi que de leur sensibilité aux infrarouges et aux radiations émises par divers colorants (chimiques ou naturels). La caméra pouvait déjà, par exemple, faire le distinguo entre le vert chlorophyllien et le vert de peinture de camouflage. L’électronique a apporté dans les années cinquante une formidable évolution des matériels photographiques. Progressivement, la dénomination » appareils de prises de vues » a laissé place à la » caméra de prises de vues « .
Les escadres d’avions d’observation trouvèrent la pleine mesure de leur emploi lors des guerres de Corée et dans les reliefs de l’Atlas algérien, remplaçant petit à petit les postes fixes d’observation (« observatoires »), cibles prioritaires de l’ennemi. Des officiers spécialement formés à l’observation aérienne et à la topographie pouvaient reconnaître et transmettre les objectifs de combat et les mouvements adverses en temps réel, par moyen radio, aux postes de commandement ainsi que les coordonnées précises de tir ou de bombardement.
Dans ce domaine, la » guerre » d’Algérie a plus précisément été un affrontement de type guérilla dans lequel les déplacements de l’ennemi s’organisaient en petites unités extrêmement mobiles, évoluant souvent sous l’aspect de villageois. L’avion d’observation, constamment en déplacement, avait des difficultés pour obtenir des informations précises sur les unités ennemies.
Cette guérilla a pris un tournant décisif grâce aux progrès en matière d’intégration des matériels, qui ont permis à l’aviation française d’équiper pour la première fois des hélicoptères avec caméras embarquées, lesquelles se sont révélées redoutables de souplesse d’opération et de précision, alliant ainsi dans une même mission l’observation, la détection, l’identification et l’intervention, avec le succès militaire que l’on connaît.
Ce mode d’opération a fait école puisque l’armée américaine l’a utilisé en masse au Viêtnam, quoique avec une efficacité toute relative due au milieu tropical (jungle épaisse) radicalement différent du djebel algérien.
Dans les années soixante-dix, la DGA1 a été une nouvelle fois précurseur d’un moyen d’observation passif du champ de bataille, » Le drone d’observation « , plus connu aujourd’hui sous le nom d’UAV (Unmaned Aerial Vehicle), invention qu’on attribue souvent à tort aux Israéliens. Ceux-ci ont été, en revanche, les premiers à opérer sur le champ de bataille des sections d’UAV, développés et produits par IAI (Israel Aircraft Industry).
Le concept de drone d’observation a été et restera pour longtemps encore la réponse à la vulnérabilité des hélicoptères en mission d’observation opérant sur le champ de bataille. Le drone épargne des vies humaines et augmente la fiabilité de la collecte d’informations. Le premier drone d’observation a été développé sous le nom « d’Albatros » à la fin des années soixante-dix par la Division balistique et spatiale de l’ex-Aérospatiale. Il se présentait sous forme d’un petit avion à cellule cylindrique. Celui-ci intégrait en frontal une caméra vidéo à tube monochrome de haute résolution développée par Aaton, leader français de caméras cinématographiques, couplée à un zoom vidéo développé par la firme Angénieux. L’ensemble électro-optique était fixé à un mécanisme d’orientation évoluant en site et azimut et télécommandé depuis le sol grâce à un récepteur UHF. À l’intérieur de la cellule de l’avion avait été installé un émetteur hyperfréquence (1,5 GHz) couplé à une antenne omnidirectionnelle permettant la transmission en temps réel des images à une station sol. Ce petit aéronef, long d’un mètre quarante, était propulsé par un moteur à deux temps, de type tondeuse à gazon, et une hélice en bois.
Les résultats, à l’époque, n’ont pas convaincu les responsables de la DGA et le projet » Albatros » a été abandonné en 1982. Mais deux années plus tard, une autre filiale du groupe Aérospatiale, Électronique Aérospatiale, eut l’idée géniale de récupérer les deux prototypes Albatros pour en faire un pod d’observation destiné aux » applications civiles » et baptisé « système Atal « . L’ensemble avait été reconfiguré en un pod cylindrique avec les mêmes fonctions de visualisation et de transmission que celles de l’Albatros. On pouvait fixer ce pod à l’extérieur de la cellule d’un avion ou d’un hélicoptère. Un boîtier de contrôle caméra et un système de transmission vidéo étaient installés pour l’opérateur en cabine.
Le premier client fut le fameux CRIR, Centre régional d’information routière de Créteil, qui disposait à l’époque d’un avion Dornier 128.
Le PC de gendarmerie de Rosny-sous- Bois recevait les images du système Atal et informait en temps réel les automobilistes parisiens des conditions de circulation. Le succès fut immédiat, très vite popularisé par les stations de radio (Europe 1) qui ont contribué ultérieurement à la naissance de » Bison futé « .
D’autres organismes » paracivils » se sont montrés très intéressés par le nouveau concept de pod d’aérosurveillance. La Gendarmerie royale marocaine fut le premier client à l’exportation, suivie par les carabiniers et la Polizia italienne pour un usage intensif dans la lutte contre les Brigades rouges et la maffia. Un exemplaire fut même vendu à l’US Army.
En 1989, tous les Parisiens présents aux festivités du bicentenaire de la Révolution ont pu voir, au-dessus de leur tête, un superbe dirigeable de 6 000 mètres cubes voler durant trente jours et trente nuits (record mondial). Rares sont ceux qui savaient que ce dirigeable était équipé du système Atal et d’une caméra infrarouge. En effet, cet aérostat assurait, au sein d’un impressionnant dispositif de sécurité, l’observation et » l’aérosurveillance » du sommet du G8 puis des conférences Nord-Sud, qui ont réuni plus de 35 chefs d’État dans la capitale française.
Ce dispositif français de surveillance d’événements majeurs et ponctuels a été choisi pour la surveillance de la Coupe du monde de football 1990 en Italie, ainsi que pour les jeux Olympiques de Barcelone en 1992.
Malgré son succès et les améliorations techniques apportées, le système Atal a atteint ses limites et n’a plus suffi aux nouvelles exigences des polices, en quête de » toujours plus ».
L’identification doit s’opérer à distance pour être discrète. Cela n’est possible qu’avec des optiques performantes de très grandes focales qui ne souffrent pas la moindre vibration.
Le salut est curieusement arrivé par le cinéma, pour lequel une jeune entreprise canadienne Istec Inc. avait développé une plate-forme sphérique de 36 pouces, gyrostabilisée dans les trois axes (roulis, tangage, lacet). Intégrant une caméra et des optiques de très grandes focales (550 mm à 1200 mm) isolées des vibrations par un système à cardan pendulaire breveté sous l’appellation » Wescam « , cette plate-forme garantissait une stabilisation inférieure à 5 microradians ! Istec, société d’une dizaine d’employés, fournissait des services aux sociétés de productions hollywoodiennes avec des plates-formes équipées de caméras 35 mm pour des prises de vues et effets spéciaux de films à très gros budget, tels que les James Bond, Indiana Jones, Top Gun…
Un accord de partenariat a permis d’importer la plate-forme Wescam pour sa première utilisation en France par la SFP2, pour des prises de vues aériennes du Tour de France et plus tard pour les émissions Ushuaia et Okavango. Sous le nom de système « Atal-Wescam », elle a équipé plus d’une vingtaine de pays. Elle satisfait l’exigence de lecture de la plaque minéralogique d’un véhicule en mouvement à 3000 pieds d’altitude et à un kilomètre de distance. Elle permet d’identifier le visage d’un individu à la même distance. Autre exemple, elle repère les mines flottantes comme celles qui s’échouaient en nombre sur les côtes des pays du golfe Arabo- Persique après la guerre Iran-Irak.
Pour ces incroyables performances de stabilisation, la plate-forme Wescam a fait l’objet d’un contrat d’acquisition par la DGA/Onera3 pour la mise au point des caractéristiques optiques des futurs missiles autodirecteurs.
L’évolution des systèmes d’aérosurveillance a été remarquable grâce notamment aux technologies duales. Les performances des senseurs infrarouges intégrés dans les plates-formes gyrostabilisées de dernière génération, à usage civil ou paracivil, sont en fait très peu différentes de celles réservées et contrôlées par les États d’origine. Pourtant, ces plates-formes sont autorisées à l’exportation dans la majorité des pays du monde. À une période où les budgets militaires stagnent dans les pays développés, l’amélioration des systèmes d’aérosurveillance résulte des budgets considérables en faveur des organismes chargés de la sécurité civile et intérieure. Ces réorientations techniques et budgétaires ouvrent de nouvelles opportunités de carrière aux ingénieurs diplômés de haut niveau, insuffisants en nombre dans les administrations chargées de la sécurité.
Dans le contexte de la montée de l’islamisme radical (attentats de septembre 2001), l’aérosurveillance fait partie des dispositifs de plus en plus sophistiqués mis à la disposition de tous les organismes civils et militaires actifs dans la sécurité des biens, des personnes et de l’environnement. Leurs missions sont variées : lutte contre le trafic de drogue, l’immigration clandestine, contrôle des manifestations, du trafic routier, de la délinquance urbaine, lutte antifeu et antiterroriste, lutte contre les pollutions marines…
Des versions bisenseurs équipées de caméra couleur de très haute résolution tri-ccd et aujourd’hui trisenseurs, voire quadrisenseurs couleur-infrarouge- BNL-LRF4, plus compactes, ont été développées à la fin des années quatre-vingt-dix. Citons les sociétés américaines Flir Inc. et Gyrocam, sud-africaines Denel Kentron ou l’Israélien Controp. L’apport du traitement par caméras infrarouges a permis d’étendre les applications au domaine purement civil, notamment dans l’étude et la détection des phénomènes géologiques et des pollutions maritimes ou terrestres. C’est ainsi que des laboratoires étatiques sont dotés d’avions équipés de caméras infrarouges, permettant d’analyser le réchauffement de la planète. Pour faire un peu de prospective en conclusion et même si le couple hélicoptère-optronique a encore un bel avenir il est probable que les drones civils et les satellites assureront un jour en temps réel la surveillance routière, la surveillance des foules ou celle de sites sensibles.
1. DGA : Délégation générale pour l’armement.
2. SFP : Société française de production.
3. DGA-ONERA : Délégation générale pour l’armement – Office national d’études et de recherches aérospatiales.
4. BNL : Bas niveau de lumière – LRF : Laser Range Finder, télémètre laser.
Pour l’anecdote, grâce à la caméra infrarouge, lors des survols en stationnaire du dirigeable au-dessus de la place de la Bastille, des spécialistes éberlués ont pu détecter des empreintes infrarouges de l’emplacement de l’ancienne prison de la Bastille ainsi que l’impressionnante « activité nocturne » du bois de Boulogne, aujourd’hui interdite.
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Auteur Georges Attal
je souhaiterais, dans la mesure du possible, avoir les coordonnées de l’auteur, que l’ai connu dans les années 90 et dont j’ai perdu toute trace jusqu’à la lecture de cet article Je vous remercie d’avance