Une constellation de satellites pour un IoT plus accessible
Les réseaux de télécommunication terrestres sont aujourd’hui très denses, mais ne couvrent qu’une petite partie de la surface de la Terre. À l’heure où les satellites deviennent plus performants et moins chers, Kinéis cherche à démocratiser la connectivité pour les objets connectés sur toute la surface du globe. Entretien avec Alexandre Tisserant (X99), président de l’entreprise.
Pouvez-vous nous décrire les activités de Kinéis ?
Kinéis est un opérateur satellitaire : nous vendons de la connectivité pour l’internet des objets grâce à des satellites. Nous pouvons connecter n’importe quel objet n’importe où sur la planète : au milieu des océans ou des pôles, dans les déserts ou les montagnes, à condition que l’objet se situe en extérieur. Aujourd’hui, il y a environ 20 000 terminaux connectés à notre système dans le monde. Les usages sont très divers : la poursuite d’animaux sauvages pour des scientifiques souhaitant étudier leur migration, la vérification de la position des bateaux de pêche pour s’assurer qu’ils n’entrent pas dans des zones de pêche illégales, le monitoring de réseaux d’infrastructures (réseaux électriques, réseaux d’eau, pipelines, suivi de containers ou d’autres assets pour les industries), l’agriculture connectée, les stations météo, le monitoring de sols, etc. La valeur ajoutée du satellite est l’extension de sa couverture.
Aujourd’hui seule 15 % de la surface du globe est couverte par les réseaux terrestres : le satellite permet d’adresser tout le reste.
Par ailleurs, nous déployons également un réseau de paraboles sur une vingtaine de sites autour du monde. Elles reçoivent les signaux du satellite, une fois que celui-ci a capté les signaux envoyés par l’objet. La donnée peut ainsi « redescendre » quelle que soit la position du satellite autour du globe.
Quelle est votre spécificité en termes technologiques ?
Habituellement, les satellites sont des objets de grande taille, ayant les dimensions d’une voiture ou d’un bus. Nous utilisons des nanosatellites. Ce sont des objets d’une trentaine de kilos, à peu près des dimensions d’une boite à chaussures. Nous avons aujourd’hui 9 satellites qui tournent en orbite basse, et nous avons le projet d’en lancer 25 de plus à partir de fin 2023, à 650 km d’altitude. Avoir davantage de satellites nous permet d’avoir plus de capacité et d’obtenir de meilleures performances en termes de latence et de rafraîchissement de la donnée.
Pouvez-vous préciser ?
Aujourd’hui, les satellites font le tour de la Terre en 1h30 environ. Quand un satellite apparaît à l’horizon, l’objet connecté peut émettre pendant 10 ou 15 minutes. Avec seulement 9 satellites autour du globe, le satellite suivant arrive quelques heures plus tard. Il y a donc un temps d’attente nécessaire entre les émissions possibles. Ce délai peut être problématique en fonction de certains usages, par exemple si l’on veut suivre un container réfrigéré, être alerté d’une panne et pouvoir réagir avant que la cargaison ne se gâte. En lançant ces 25 satellites, nous pouvons réduire ce temps de latence à 10 ou 15 minutes environ, temps qui convient aux usages de 90 % des objets connectés. Pour ce projet, nous avons levé 100 millions d’euros il y a trois ans, auprès d’investisseurs publics (CNES, BPI France, IFREMER) et privés (CLS notamment, de qui nous sommes initialement issus). Ces capitaux nous permettent de développer les satellites et de les lancer.
Quelle a été la genèse de Kinéis ?
Kinéis existe depuis 2018. Le projet est né au sein de CLS, créé pour exploiter le système ARGOS, qui consistait en un partenariat franco-américain entre le CNES et la NASA. La NASA lançait des satellites pour ses propres besoins, et sur ces satellites le CNES ajoutait la charge utile ARGOS, permettant à CLS d’exploiter le système. Après plusieurs itérations du projet pendant trente ans, les agences spatiales sont devenues plus réticentes à mener ces opérations au bénéfice final de services commerciaux, alors que la concurrence des réseaux terrestres commençait à apparaître. La question s’est donc posée, dans les années 2010, d’abandonner ou de renouveler entièrement le projet. C’est dans ce contexte que Kinéis est apparu.
Quelle est votre plus-value par rapport à ce qui précédait ?
Un terminal ARGOS coûte entre quelques centaines et quelques milliers d’euros, et l’utilisateur paye plusieurs dizaines d’euros par mois pour avoir quelques données par jour. Nos terminaux coûtent moins de cent euros, pour un coût de connectivité de quelques euros par mois. Les prix sont divisés par 10.
Les satellites coûtent moins cher, la miniaturisation progresse, et le coût d’accès à l’espace est bien moindre que ce qu’il était auparavant.
J’ajoute que si nous ne fabriquons pas nous-mêmes d’objets connectés, nous produisons un module électronique de petite taille qui s’intègre facilement dans les objets et qui concentre toutes les opérations d’émission et de traitement de signaux.
Comment votre marché se structure-t-il ?
Historiquement, nos clients ont d’abord été plutôt des institutions comme des groupes scientifiques, des autorités de pêche, des structures de défense nationale. Mais de nouvelles perspectives se sont ouvertes à nous. Il y a d’abord l’agriculture connectée, pour des usages comme le suivi de troupeaux en open field en Australie (nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture de ce pays), l’agriculture connectée, ou le monitoring d’infrastructures (énergie, eau…). Par ailleurs, l’industrie représente un grand potentiel. Une entreprise produisant des pièces sur plusieurs points du globe et souhaitant les assembler sur un seul site, va trouver un intérêt évident à pouvoir surveiller la trajectoire des pièces pour un coût faible. C’est ce que l’on appelle l’asset tracking.
Enfin, les enjeux climatiques deviennent de plus en plus prégnants et provoquent une demande en croissance de la part de clients institutionnels ou privés. Je pense par exemple à la surveillance de feux de forêt, sujet que nous avons beaucoup travaillé, ou à la surveillance des niveaux d’eau, de crues, des débits. Ces problématiques de prévention des risques vont vraisemblablement devenir de plus en plus importantes à l’avenir, et nous avons un vrai rôle à jouer.
Indépendamment de la technologie que vous développez, quels sont vos atouts ?
D’abord, nous nous appuyons sur les fondements d’une technologie éprouvés depuis une quarantaine d’années (le système ARGOS). Sur la partie spatiale, nous avons le soutien technique et financier du CNES, qui est un acteur de premier plan dans le domaine. S’ils existent aujourd’hui des projets concurrents, le coût d’entrée sur le marché est très élevé, à la fois en termes de temps et en termes économiques. D’autre part, la présence d’investisseurs de long terme représente aussi un atout important. Si un grand compte cherche à déployer 10 000 capteurs sur des sites partout dans le monde, il a besoin de s’assurer que l’opérateur ne disparaisse pas l’année suivante. Et nous pouvons justement lui apporter ce type de garantie, grâce à notre actionnariat solide et nos soutiens et partenaires de long terme.
Quelles sont pour vous les grandes évolutions à venir dans le secteur ?
D’abord, un certain nombre d’innovations technologiques va nous permettre de gagner en performance. Par ailleurs, la fabrication des téléphones mobiles ne cesse d’évoluer, et on se dirige vers une convergence des réseaux terrestres et satellites favorable à notre développement. L’avenir est probablement dans une forme hybride de ces réseaux, ce que nous travaillons déjà avec des partenaires comme Orange.