Une école de la réussite de tous
La persistance d’un nombre élevé de jeunes terminant leur scolarité en situation d’échec a amené le CESE à conduire une enquête à l’intérieur du système scolaire qui a débouché sur un avis intitulé Une école de la réussite pour tous. Rencontre avec Marie-Aleth Grard, conseillère au Conseil économique, social et environnemental (CESE).
La persistance de jeunes terminant leur scolarité en situation d’échec a amené le CESE à conduire une enquête, dirigée par Marie-Aleth Grard, siègant au CESE en tant que vice-présidente de l’Association ATD Quart Monde. Après de nombreuses auditions, des visites de terrain, l’avis du CESE se traduit en 59 préconisations que la ministre de l’Éducation s’est engagée à mettre en œuvre.
Nous avons à plusieurs reprises évoqué dans le Forum social le gaspillage économique et la menace pour la cohésion sociale résultant du fait que, chaque année, environ 120 000 jeunes terminent leur scolarité sans aucune qualification.
Marie-Aleth Grard, conseillère au CESE, y siège en tant que vice-présidente de l’Association ATD Quart Monde.
Les comparaisons de l’OCDE montrent la France mal classée par rapport aux autres pays développés aussi bien pour les performances des élèves que pour le chômage des jeunes. Elles font notamment apparaître à quel point, dans notre pays, l’appartenance d’un enfant aux milieux populaires est pénalisante pour ses résultats scolaires.
Le CESE avait déjà constaté en 2011 que « loin de combler les inégalités dues à l’origine sociale ou culturelle des enfants, l’école française renforçait ces inégalités ».
Il a pris en 2014 l’initiative d’une nouvelle enquête sur la scolarité obligatoire qui a débouché sur un rapport intitulé Une école de la réussite pour tous où sont formulées 59 « préconisations » à l’intention du Service public de l’éducation1.
Nous avons rencontré l’animatrice et la rapporteure de la démarche, Marie-Aleth Grard, qui siège au CESE en tant que vice-présidente d’ATD Quart Monde.
UNE DÉMARCHE DU CESE
La démarche a été conduite par la section de l’éducation, de la culture et de la communication du CESE qui regroupe trente conseillers de toutes origines (entreprises, syndicats, associations, etc.).
“ Chaque année, environ 120 000 jeunes terminent leur scolarité sans aucune qualification ”
Pour la section, il s’agissait d’un point d’étape dans la mise en œuvre de la loi de Refondation de l’école du 8 juillet 2013 laquelle, « insistant sur la nature inclusive de l’école, devait en faire le lieu de la réussite pour tous ».
Le ministère de l’Éducation qui avait de son côté confié à Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Éducation nationale (IGEN), une mission sur le thème « Grande pauvreté et réussite scolaire » a décidé de la coordonner avec celle du CESE.
ASSOCIER LES ACTEURS DE L’ÉDUCATION DANS LE PUBLIC ET DANS LE PRIVÉ
Suivant une démarche très atypique par rapport aux méthodes habituelles du CESE, la rapporteure a constitué un groupe de trente personnes composé de cinq chercheurs, cinq enseignants, cinq acteurs de quartiers (éducateurs, personnel de centres sociaux, etc.), cinq parents solidaires et dix parents en situation de grande pauvreté.
Le CESE a pris en 2014 l’initiative d’une enquête sur la scolarité obligatoire qui a débouché sur un rapport intitulé
Une école de la réussite pour tous.
La rapporteure ayant réalisé plus de 200 auditions de personnes impliquées dans l’éducation (enseignants, directeurs d’établissement, inspecteurs généraux, représentants syndicaux, associatifs, chercheurs, représentants d’associations de parents d’élèves, élèves, élus locaux, etc.), le groupe a participé à dix de ces auditions qui avaient lieu devant la section du CESE.
Il est ensuite venu travailler avec les conseillers de la section au cours de trois réunions à l’occasion desquelles le groupe a introduit six thèmes sur lesquels élaborer ensemble des préconisations visant l’objectif de la réussite de tous à l’école.
Les conseillers du CESE n’étaient pas habitués à travailler sur un pied d’égalité avec des personnes en situation de grande pauvreté aussi, afin de préparer les trois réunions, Marie-Aleth Grard a‑t-elle mis en œuvre la méthode du croisement des savoirs et des pratiques initiée par ATD Quart Monde : cela a commencé par la réunion de sous-groupes, les uns homogènes et les autres en participation croisée.
C’est ensuite au cours des trois réunions du groupe avec les conseillers de la section du CESE qu’a été produit un avis qui a une autre « couleur », car ont pu s’y exprimer des parents en situation de grande pauvreté.
DES VISITES DE TERRAIN
Parallèlement au travail du groupe, Marie-Aleth Grard et Jean-Paul Delahaye se sont rendus dans huit académies où ils ont visité une vingtaine d’établissements, écoles maternelles, primaires ou collèges, qui avaient été repérés parce que les équipes enseignantes y avaient pris des initiatives qui allaient dans le sens de la réussite de tous les élèves.
“ Un avis qui a une autre « couleur », car ont pu s’y exprimer des parents en situation de grande pauvreté ”
Le rapport du CESE donne une description d’établissements « qui cherchent, créent, innovent dans le but de ne laisser aucun élève au bord de la route. Ils sont peu nombreux » et méritent d’être connus.
Ainsi, dans une école maternelle de centre-ville à Lyon où l’éventail des origines sociales est très ouvert, l’équipe enseignante met l’accent sur la coéducation des enfants avec les parents, lesquels sont accueillis dans l’école et invités à participer à la vie scolaire. Pour combler l’écart culturel entre les enfants, l’école développe des activités culturelles et valorise les langues et cultures d’origine : des parents viennent dans les classes lire dans leur langue.
Autre exemple de visite, celle d’un nouveau bâtiment à Saint-Ouen‑l’Aumône. À l’occasion de la construction d’un nouveau bâtiment, élus et enseignants ont adopté la solution de classes ouvertes dans une architecture ronde, réalisant une école d’où aucun élève ne doit sortir sans maîtriser la lecture, l’écriture et le calcul.
Les classes regroupent des élèves en trois cycles de trois classes, depuis le début de la maternelle jusqu’en CM2, ce qui facilite l’étalement sur plusieurs années des acquisitions des connaissances de base tout en éduquant les élèves à coopérer.
AMIENS ET TORCY
À Amiens, Marie-Aleth Grard a pu visiter un collège dans un quartier défavorisé où on met l’accent sur le travail en équipe de professeurs de différentes disciplines. Les élèves travaillent en coopération sur des projets. Aucun n’est laissé de côté, l’entraide est de mise, la réussite d’un projet nécessitant la participation de tous.
Toute la section du CESE s’est déplacée pour visiter l’école Bel-Air de Torcy, une école atypique où, pour rétablir le vivre ensemble dans un quartier gangrené par la violence, l’équipe enseignante s’est donné les moyens de confronter les élèves avec la tradition (une mini-ferme avec des animaux) et avec la modernité (un réseau informatique de 80 ordinateurs).
Pour le faire, elle s’est appuyée sur les forces vives du quartier (élus locaux, travailleurs sociaux, parents, retraités, anciens élèves) ce qui lui a permis de faire vivre et de pérenniser ses initiatives2.
UNE ÉCOLE ADAPTÉE À TOUS LES ÉLÈVES
Rendant compte des résultats de l’enquête, le rapport du CESE met l’accent sur le fait que, en triant très tôt les élèves, le système éducatif maintient une dépendance étroite des inégalités scolaires avec les origines sociales. Il en résulte que « notre système scolaire produit des élites socialement homogènes tandis que plus de 20 % des élèves en sortent sans maîtriser les éléments du socle commun de connaissances et de compétences ».
“ En triant très tôt les élèves, le système éducatif maintient une dépendance étroite des inégalités scolaires avec les origines sociales ”
Ceux des parents membres du groupe qui vivaient en situation de grande pauvreté ont témoigné de l’immense espoir qu’ils mettaient dans l’école pour assurer l’avenir de leurs enfants et de leur déception de les voir victimes de pratiques qui les marquaient dès leur plus jeune âge comme élèves en difficulté et qui, en fin de troisième, les orientaient sur des parcours scolaires sans issue.
L’article 2 de la loi de Refondation de l’école du 8 juillet 2013 précise que le service public de l’éducation « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants » : il en résulte qu’au terme de la scolarité obligatoire chaque élève doit posséder la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et doit bénéficier d’une orientation qui prenne ses vœux en compte.
59 PRÉCONISATIONS
Faisant suite à l’enquête, l’avis du CESE se traduit en 59 préconisations fondées sur le postulat que l’école doit être inclusive et donc s’adapter à tous les élèves en respectant leurs rythmes d’apprentissage et en les éduquant à l’autonomie. On peut sommairement résumer ces préconisations en trois points.
Le rapport du CESE met l’accent sur le fait que, en triant très tôt les élèves, le système éducatif maintient une dépendance étroite des inégalités scolaires avec les origines sociales.
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Le premier met l’accent sur la nécessité pour les enseignants de travailler en équipe.
Le deuxième est de développer une prise de conscience du fait que toutes les pédagogies ne se valent pas pour atteindre l’objectif de la réussite pour tous. L’avis met l’accent sur les pédagogies qui explicitent les processus d’apprentissage et les conditions de la réussite des tâches en les verbalisant, les pédagogies qui suscitent la coopération entre les élèves avec la mise en œuvre de projets, les pédagogies différenciées qui prennent en compte la diversité des élèves avec une attention particulière pour chacun.
Une préconisation s’en déduit qui recommande un renforcement des formations initiales et continues des enseignants.
Le troisième souligne la nécessité d’accueillir tous les parents à égalité. L’avis recommande un contact permanent des enseignants avec les parents, de la maternelle au collège. Pour réconcilier l’école avec les familles de milieux défavorisés, il recommande de susciter des « moments d’apprentissage » en invitant les parents à assister à une classe et à parler ensuite avec les enseignants.
Une préconisation s’en déduit qui est de former les enseignants à la connaissance des milieux sociaux.
UN SUIVI DE LA MISE EN ŒUVRE DES 59 PRÉCONISATIONS
La ministre de l’Éducation a assisté à la séance de présentation du rapport en séance plénière du CESE et elle a déjà adopté et notifié à ses services un grand nombre des 59 préconisations. De son côté, Marie-Aleth Grard s’est investie dans le suivi de ces préconisations et elle s’y emploie avec enthousiasme.
Depuis la publication du rapport, elle est invitée deux à trois fois par semaine par des rectorats et par des établissements à le présenter devant des enseignants, des inspecteurs, des chefs d’établissement.
Au cours de l’année scolaire 2015–2016, elle a rencontré plus de 12 000 personnes et pour l’année 2016–2017, son agenda se remplit à nouveau3.
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1. L’avis du CESE fait l’objet d’un rapport publié en 2015 par la Documentation française sous le titre Une école de la réussite pour tous.
2. La Jaune et la Rouge a consacré un Forum social à l’école Bel-Air de Torcy dans le n° 708 d’octobre 2015.
3. Télécharger l’avis du CESE