Une École engagée dans une profonde mutation pour répondre aux défis du XXIe siècle
Depuis plus de deux cents ans, l’École polytechnique a toujours été classée au premier rang des Grandes Écoles françaises d’ingénieurs. Sa réputation est fondée sur une tradition d’excellence scientifique, qui lui permet d’attirer les meilleurs professeurs et les meilleurs élèves. Elle s’est toujours résolument attachée à délivrer une formation aussi large que possible, s’adressant à tous les aspects de la personnalité de ses élèves.
L’École a pour mission en effet de former de futurs responsables de haut niveau, à forte culture scientifique et humaine, destinés à jouer un rôle moteur dans le progrès de la société, par leurs fonctions dans les entreprises, les services de l’État et la recherche. Appui indispensable à cette mission de formation, son centre de recherche associé est aussi un acteur direct de l’effort de recherche français et du développement des connaissances scientifiques.
Le cadre de cette action connaît cependant une profonde évolution. Conséquence de la mondialisation, la compétition internationale gagne désormais les domaines longtemps préservés de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’enjeu ne se limite plus au rayonnement national. Incontestablement reconnue en France pour la qualité de ses étudiants, de ses enseignants et de sa recherche, l’École polytechnique est en concurrence, avec des établissements internationaux à la taille et aux moyens considérables. Il s’agit d’un véritable défi qui ne peut être relevé que par une action persévérante et de grande ampleur. Il s’accompagne d’un défi scientifique à l’heure où l’innovation technologique s’affirme comme un des moteurs de notre économie, et d’un défi de responsabilité sociale, en réponse aux attentes concrètes de nos concitoyens.
Le défi de la compétition internationale
La mondialisation de l’économie de la connaissance induit une compétition accrue pour attirer les meilleurs étudiants, les décideurs de demain, et chercheurs, acteurs clefs du développement et de l’innovation. Internationales, les entreprises encouragent la mobilité des étudiants et la convergence des formats d’études.
Il en résulte une mondialisation du marché de l’enseignement supérieur et de la recherche et un accroissement des échanges que révèle le développement des classements internationaux entre les établissements. La compétition se renforce ainsi au niveau mondial entre les institutions d’enseignement supérieur pour attirer les étudiants de talent et offrir des conditions de vie et de travail avantageuses à leurs enseignants et chercheurs.
Les plus grandes universités mondiales se sont donné les moyens d’être extrêmement agressives. Principalement grâce à une recherche de haut niveau et à une taille critique en termes d’étudiants, de chercheurs et de moyens, les grands établissements anglo-saxons dominent aujourd’hui le paysage de l’enseignement supérieur scientifique et technologique, au sens des classements internationaux de référence.
Pour l’École, le cycle polytechnicien est au cœur de ce défi. Les spécificités mêmes qui en font la force et lui donnent son caractère unique pourraient, à terme, la marginaliser sur la scène internationale. Sa réputation en France, où ses mérites sont depuis longtemps reconnus, est indiscutable ; le défi à relever c’est de la faire reconnaître de la même façon hors des frontières. L’accroissement de la mobilité des talents impose que l’École adapte son programme aux exigences de la compétition mondiale en matière de formation supérieure.
L’enjeu de l’internationalisation pèse également sur la reconnaissance du diplôme de l’École et donc d’une certaine façon sur l’avenir de ses étudiants. Les entreprises ne recrutent plus uniquement sur leur marché national. De fait, pour un nombre croissant de grandes entreprises, ce concept n’a plus vraiment de sens. Au contraire, l’excellence est recherchée, où qu’elle se trouve. Les polytechniciens sont en concurrence avec les étudiants du monde entier, et l’internationalisation est devenue la toile de fond sur laquelle presque toutes les grandes décisions doivent être prises.
Le défi scientifique
L’interaction entre économie et technologie change de rythme. L’économie est encore largement articulée autour d’une logique d’économies d’échelle, reposant sur l’intégration incrémentale d’améliorations technologiques et la diffusion des meilleures pratiques. Mais son exploitation des progrès scientifiques s’accélère. La capacité d’innovation en devient un facteur clef, en parallèle d’une utilisation intense d’information. Anticiper et accompagner cette mutation constituent un enjeu majeur pour tous les secteurs de l’économie. La réputation des plus grandes universités internationales s’est ainsi faite autour de leurs centres de recherche, la renommée de leurs chercheurs exerçant un pouvoir d’attraction sur les étudiants du monde entier.
Dans sa double mission d’enseignement et de recherche, l’École polytechnique doit se maintenir à l’avant-garde de l’innovation scientifique. Son approche multidisciplinaire est particulièrement adaptée pour travailler aux interfaces où les domaines se recouvrent, lieu d’un très grand nombre d’avancées majeures. La capacité à comprendre et à maîtriser les systèmes complexes est, par voie de conséquence, un des atouts intrinsèques des méthodes d’enseignement et de recherche propres à l’École. La pluridisciplinarité est cependant un pari exigeant : cette « niche » de l’École peut même paraître paradoxale, tant elle suppose d’excellences diversifiées.
La responsabilité sociale :une école où se construit l’avenir de notre société
Au cœur de la place qui lui est reconnue depuis sa création en France, la tradition du service de l’intérêt général est fortement ancrée à l’École : la responsabilité va de pair avec l’excellence. L’École et ses élèves ont largement contribué au progrès scientifique, au développement de notre économie et au service de l’État. Ce passé prestigieux ne saurait pourtant suffire. Les attentes de nos concitoyens sont diffuses mais immédiates face à un monde dont la complexité inquiète souvent, tant elle leur paraît incontrôlable. En France comme à l’étranger, la reconnaissance sera de plus en plus liée à la capacité de « faire la différence », par son action propre comme par celle de ses anciens élèves, face aux enjeux concrets de nos sociétés.
Cette exigence de résultat suppose que l’École reste capable d’attirer les meilleurs étudiants partout où ils se trouvent, sur la base de leur seul potentiel, indépendamment de toute origine sociale ou possibilité financière. C’est aussi sa responsabilité, et un facteur important de sa légitimité et de son rayonnement, que d’apporter la démonstration que tous ceux qui en ont la capacité peuvent accéder à l’École pour contribuer ultérieurement au développement de notre société. Aujourd’hui, les enjeux se situent très en amont du recrutement à l’École. Tout en veillant à développer le sens de l’intérêt général et des responsabilités de ses élèves, il importe qu’elle participe activement aux programmes visant à promouvoir, le plus en amont possible, la diffusion du savoir et l’égalité des chances, à l’instar de ce qu’elle pratique aujourd’hui dans le cadre de ses stages de formation humaine et dans son programme « Une grande École pourquoi pas moi ».
Atouts et limites de l’École
L’École aborde ces défis avec les atouts et les contraintes, dont beaucoup découlent de son histoire.
Ses étudiants sont appréciés partout dans le monde pour la qualité de leur sélection et de leur formation pluridisciplinaire, s’appuyant sur de solides bases mathématiques. Exceptionnelle au regard de la plupart des pratiques internationales, cette exigence rend son programme phare, le cycle polytechnicien, difficile d’accès à beaucoup d’étudiants étrangers, élevés dans des systèmes où la maturité scientifique vient plus tardivement.
Le gala de danse 2005
© Philippe Lavialle – EP
Conséquence de son exigence de sélection, sa taille est faible au regard de ses concurrents internationaux, ce qui limite de fait sa visibilité, mais permet une formation, un accueil et un soutien très personnalisés, et dynamise ses partenariats académiques. Les écoles d’application, où beaucoup de ses élèves poursuivent leur formation, aujourd’hui en cotutelle dans le cadre d’une 4e année polytechnicienne, ont des caractéristiques similaires.
Regroupées au sein de ParisTech, dont elles forment le cœur, elles constituent un ensemble cohérent par la communauté des valeurs qu’elles partagent, couvrant la gamme quasi complète des domaines scientifiques, d’une taille comparable, avec leurs 14 000 étudiants, 3 000 enseignants et 130 laboratoires, aux grandes universités internationales telles que le MIT (12 000 étudiants), sans en avoir cependant ni l’unité d’action (cinq ministères de tutelle), ni les moyens financiers, qui réunis sont inférieurs à la moitié de ceux du MIT. Plusieurs des 20 masters de l’École sont conduits en collaboration avec les autres écoles de ParisTech et la plupart avec les grandes universités parisiennes. Cette démultiplication des capacités est cependant difficile à décrypter pour nos partenaires étrangers.
Les responsabilités qu’occupent les anciens de l’École en France impressionnent les interlocuteurs étrangers, quand ils arrivent à en avoir une image globale. Car le rattachement à l’École n’est pas toujours identifié pour des raisons parfois de discrétion (quel manque à gagner pour l’École !), parfois aussi de complication des multiples rattachements aux écoles d’application, pour ne pas parler du simple langage, X, École polytechnique, qui n’est pas celui de Grenoble, ni celui de Lausanne, ni des écoles polytechniques indiennes de formation de technicien supérieur. Les anciens élèves, aussi fiers soient-ils de l’être, ne propagent-ils pas d’ailleurs parfois l’image d’une École au charme un peu suranné de leurs années d’études, sans mesurer l’importance des changements qu’elle a pu connaître pour s’adapter aux réalités d’aujourd’hui ?
L’École s’étant longtemps concentrée sur sa fonction d’enseignement sur son site de la Montagne Sainte-Geneviève, le développement de son centre de recherche date de son transfert à Palaiseau. La richesse de son centre de recherche est d’être un lieu d’accueil, 80 % de son personnel dépendant d’autres organismes (CNRS, INRIA, CEA, INSERM, universités, autres écoles…), mais cela ne facilite pas toujours l’action d’ensemble et la lisibilité, notamment en termes de publications, facteur clef des classements internationaux. Cependant, la qualité de ses 21 laboratoires et de ses 1 600 personnels de recherche en fait un acteur de poids, qui bénéficie en outre du riche environnement scientifique du plateau de Saclay (université Paris XI, CEA, CNRS, INRIA, ONERA, Supélec, HEC, centres de recherche industriels…), à l’heure où se dessinent des actions de structuration de la recherche française. Les capacités d’accueil de son campus de 200 hectares lui donnent des leviers d’action conséquents, qui sont au cœur de sa stratégie de développement par son campus.
Si le soutien de l’État, stable, assure le fonctionnement de l’École autour de son cycle polytechnicien, les moyens financiers considérables des grands établissements internationaux (Cambridge achève une campagne de levée de fonds d’un milliard de livres, Caltech d’un milliard de dollars) induiront une concurrence croissante pour le recrutement des enseignants chercheurs de premier plan, l’accueil des meilleurs étudiants et le développement de la recherche. Dans son environnement scientifique et académique géographiquement dense, mais institutionnellement compartimenté, l’École dépend de sa capacité à rallier ses partenaires autour de projets communs. Il lui faut aussi une capacité d’investissement suffisante pour pouvoir peser sur les projets.
Percevoir que l’École a des besoins financiers légitimes pour se développer, comme tous ses homologues internationaux, et participer à son financement constituent une petite révolution culturelle en France, et probablement aussi pour ses anciens élèves. Mais l’École n’est-elle pas aussi un lieu d’excellence, où il faut investir pour l’avenir, par des contrats de recherche, par des chaires d’entreprise, pour être présent auprès des étudiants ?
Le projet de l’École
Forte de ses atouts, consciente des contraintes qui encadrent son action, l’École entend s’adapter aux nouvelles règles qu’impose une économie de l’innovation et du savoir mondialisée. C’est un enjeu pour elle-même et ses élèves. C’est un impératif au regard des missions que l’État lui confie.
Elle doit ainsi dans sa double mission d’enseignement supérieur et de recherche :
• s’imposer au niveau international comme un établissement de premier plan, pour être un outil de rayonnement de l’excellence scientifique française ;
• être un point d’appui de la compétitivité française dans l’économie mondialisée du savoir.
Pour cela, en s’appuyant sur ses valeurs fondamentales, l’École veut faire de son campus le noyau dur d’un centre mondial d’excellence, consolidé par des alliances fortes et avec les grandes écoles de ParisTech et avec les universités, et par la constitution de réseaux rassemblant les industriels, les centres de recherche et les établissements d’enseignement du plateau de Saclay et de ses environs.
En parallèle, elle doit poursuivre et consolider sa démarche résolue d’internationalisation, tant au niveau des étudiants, des enseignants et des chercheurs, que des partenariats avec les plus grands établissements mondiaux. Tout en veillant à donner aux élèves français les outils et la première expérience nécessaires pour une carrière internationale, elle veut attirer et sélectionner les meilleurs étudiants étrangers dans ses cycles d’ingénieur, de master et de doctorat, recruter son corps enseignant au meilleur niveau international, et s’insérer dans les réseaux académiques européens et internationaux qui constitueront le socle de l’enseignement supérieur du XXIe siècle.
S’appuyant sur ses multiples partenariats, notamment au sein de ParisTech, l’École avec son campus doit acquérir une forte visibilité européenne et être identifiée comme l’un des hauts lieux où l’Europe investit pour son avenir. Le développement de son potentiel de recherche, en interaction étroite avec des entreprises de haute technologie et des pôles de compétitivité à forte visibilité, accroîtra sa capacité de répondre aux appels d’offres européens et de réaliser ses projets d’envergure. Bénéficiant de ce facteur d’attractivité, elle doit aussi affirmer la réputation de ses programmes de masters et de son École doctorale, en complément du cycle polytechnicien, pour accueillir les meilleurs étudiants européens et contribuer ainsi à former une élite européenne « polytechnicienne » influente.
Les évolutions à conduire sont conséquentes. Elles marquent une ambition délibérée mais raisonnable au regard du défi à relever. Leur réussite tiendra pour beaucoup à la mobilisation de toutes les forces de l’École autour de ses valeurs profondes et de son identité, fortement orientées par sa mission d’enseignement. C’est pour et autour des élèves et étudiants que se construit ce projet. C’est leur réussite qui est l’objectif de l’École, la qualité de l’enseignement et de la recherche en étant les corollaires indispensables. Cette réussite tient à un projet pédagogique original et complet : former des hommes et des femmes de caractère, équilibrés, aptes au travail en équipe, associant à la rigueur, l’écoute des autres et la liberté d’esprit, et capables d’analyser, de concevoir, de construire et de mettre en œuvre des systèmes complexes. Formations scientifique et humaine, ouverture sociale en sont des composantes indissociables.