Une école où les enfants apprennent le vivre-ensemble
Yvan Nemo a le projet de construire un rapport heureux des enfants à l’école, de la rendre accueillante aux parents et de l’ouvrir sur le quartier. Il a en partie déplacé « le centre de gravité de la classe vers l’école2 » pour en faire un terrain d’apprentissage de la vie sociale.
Il s’attache à valoriser le temps passé par les élèves en dehors des classes en faisant vivre trois lieux de rencontres et d’échanges : des salles informatiques, une mini-ferme et un laboratoire-médiathèque.
L’informatique pour tous
“ Avec la mini-ferme, on a invité le concret dans l’école ”
En plus des ordinateurs, des tablettes et des projecteurs disponibles dans toutes les classes, deux salles informatiques, avec chacune une vingtaine d’ordinateurs, sont accessibles à tous au coeur de l’école, avec pour fonctions de former les enfants à leur usage, de susciter leur curiosité sur le monde et de les éduquer au partage d’une activité en respectant les règles communes.
Les ordinateurs de la salle des enseignants sont raccordés à ce réseau, comme ceux d’une association du quartier abritée par la MJC voisine qui compte parmi ses membres des parents d’élèves, des enseignants et des retraités bénévoles.
La vie au coeur de l’école
Implantée sur un talus qui sépare le primaire de la maternelle, la mini-ferme abrite un potager et des animaux de toute sorte.
Tous les enfants participent à la maintenance de la mini-ferme et du potager.
Des aménagements sont destinés aux cultures et aux animaux : chèvrerie, grange, poulailler, jardin potager, jardin botanique, jardin d’eau, bassin d’observation, cabane nature, graineterie, serre, atelier, remises, infirmeries, etc.
Ces installations ont été construites et exploitées progressivement avec l’aide de l’association de quartier et l’appel au sens pratique des enfants. Avec la mini-ferme, Yvan Nemo a invité le concret dans l’école et fait découvrir aux élèves les règles et les interactions que nécessite l’entretien de la ferme.
L’école laboratoire
Le laboratoire installé dans une des salles informatiques est à la fois un laboratoire au sens strict avec paillasse, microscope, etc., et une bibliothèque- médiathèque scientifique où sont présentés fossiles, insectes, animaux naturalisés, outils préhistoriques, etc.
« Il est conçu pour assurer un contact direct, des manipulations, tout en instituant la distance nécessaire au statut d’objets rares et précieux3. » Par le réseau informatique, il est relié aux installations de la mini-ferme, au centre de documentation, à la salle des maîtres et à l’association de quartier.
D’une certaine manière, c’est l’école toute entière qui devient laboratoire, s’inscrivant dans un projet pédagogique d’ouverture à la curiosité et d’apprentissage du partage et de la mutualisation.
S’approprier les lieux
Les lieux sont accessibles aux plus grands (mais pas exclusivement) lors des récréations et de la pause de midi. Chaque matin, les élèves s’inscrivent dans un atelier de leur choix, informatique, science, dessin, travail au potager, soins aux animaux, etc. Les trois lieux sont également disponibles le mercredi et le samedi, pour les élèves de l’école, mais aussi pour d’autres enfants du quartier qui sont inscrits au centre de loisirs rattaché à la MJC.
“ Cinq enseignants sur huit enseignent dans l’école depuis plus de dix-sept ans ”
Tous les enfants participent à la maintenance de la mini-ferme et de son potager. L’exploitation et l’entretien des trois centres nécessitent des niveaux de coordination et de coopération que ne pourrait assurer le seul encadrement de l’école.
C’est le partenariat avec la MJC qui les rend possibles. Celle-ci a contribué à l’installation de la ferme et du laboratoire scientifique et contribue toujours à leur maintenance, notamment pendant les vacances. L’école fait aussi appel à des retraités bénévoles pour encadrer certains ateliers.
Au plan pédagogique, Yvan Nemo met l’accent sur la participation des élèves à la gestion des activités, notamment la préparation, mais aussi la vérification et le rangement.
« En définissant ainsi l’activité, au-delà de la posture consumériste, au-delà du temps de la pulsion et de l’impulsion, on pose – sans en avoir l’air et à travers des actes à la fois simples et concrets – les conditions de la construction d’une autre posture, celle du recul, de l’analyse, du décentrement et du projet4. »
Une des salles informatiques accueille un petit musée.
UN RAPPORT HEUREUX À L’ÉCOLE
Parcourant l’école lors de la pause de midi, nous avons vu une ruche laborieuse. Des ateliers fonctionnaient, ceux des salles informatiques, ceux de la mini-ferme, et ceux du laboratoire : nous avons vu des enfants très occupés, les uns dans un atelier de pâtisserie, les autres de tricot, tous deux encadrés par des retraitées. Nous avons aussi rencontré dans la cour des élèves qui jouaient, des enfants épanouis qui, au lieu de nous regarder comme des visiteurs d’un autre monde, nous ont gentiment demandé qui nous étions.
Yvan Nemo, qui dirige cette école depuis vingt ans, a raconté le climat de violence qu’il avait trouvé en prenant son poste, violence que le quartier transmettait à l’école. Dans un milieu où la mixité sociale était grande, il a voulu créer un lieu d’apprentissage de la vie collective. Il fallait pour cela modifier le rapport des enfants à l’école, tout en assurant sa mission principale d’enseignement.
Trouver des ressources
Les équipements informatiques ont été donnés par Apple France à la suite d’une visite de son directeur : celui-ci, ayant vu que l’équipe éducative était motivée par des utilisations pédagogiques, a donné dix palettes de matériels usagés qui ont été recyclés et adaptés pour les besoins éducatifs.
La Fondation de France a consenti une dotation de 150 000 € qui a permis de financer la mini-ferme et le laboratoire scientifique, et la commune de Torcy-en- Bière prend peu à peu le relais en finançant les activités extrascolaires.
Il faut aussi mentionner la participation des bénévoles, la plupart retraités, notamment pour la gestion de la mini-ferme et pour l’animation des ateliers.
Donner un sens aux savoirs
L’accent mis sur l’éducation du vivre-ensemble a permis aux enseignants de valoriser les rapports aux savoirs en donnant aux contenus d’enseignement un sens qui n’allait pas de soi dans le contexte social du quartier.
« L’équipe enseignante n’a pas été cooptée, elle reflète bien la diversité sur le plan tant des personnalités que des pratiques pédagogiques.
Cependant, l’adhésion de l’ensemble des enseignants à la lutte contre la violence, à la régulation de la vie sociale dans l’école, à l’enrichissement des activités des temps scolaires et périscolaires, en d’autres termes au projet éducatif, a été très forte dès le début et s’est maintenue dans le temps, y compris en termes de stabilité : cinq enseignants sur huit enseignent dans l’école depuis plus de dix-sept ans5. »
Assurer les connaissances de base
L’école Bel-Air est une bonne école qui remplit efficacement sa fonction d’apprentissage des connaissances de base. Ses élèves poursuivent leur scolarité dans le collège du quartier, mais beaucoup restent en contact avec les lieux de rencontres et d’échanges de l’école, qui reste pour eux un endroit familier.
_____________________________________________________
1. Cet article a été publié dans le numéro de février 2015 de la revue Études.
2. Études, p. 32.
3. Études, p. 36.
4. Yvan Nemo dans la revue Diversité- Ville-École-Intégration, 14 mars 2007, p. 137.
5. Ibid., p. 136