Une éthique du numérique pour un Développement Durable
Le numérique joue un rôle clé pour le développement durable. Mais son usage croissant a un impact significatif sur l’environnement (environ 10 % de l’énergie électrique mondiale et une utilisation croissante de ressources rares). Et la manière de le mettre en œuvre pose des questions éthiques. Se pose donc la question de ce qu’il est responsable de faire en matière de numérique et ce qui ne l’est pas afin d’assurer un développement durable.
Le numérique joue un rôle clé pour le développement durable en particulier pour l’éducation, la justice, l’accès à l’énergie, la lutte contre les discriminations ou l’accès aux services de la ville durable, secteurs qui font l’objet d’objectifs de développement durable. Malheureusement, il apporte aussi son lot de dévoiement des réglementations des espaces économiques en faisant fi des frontières, d’atteinte à la protection de la vie privée ou de désinformation à des fins politiques ou de consommation, en s’appuyant sur des algorithmes ou des usages de données toujours plus puissants au bénéfice de très peu d’acteurs.
REPÈRES
Le Règlement général sur la protection des données (RDGP) a été élaboré par l’Union européenne pour encadrer le traitement des données personnelles de ses résidents par tout acteur public ou privé établi sur son territoire. Il est entré en application le 25 mai 2018. Le RGPD donne un droit d’opposition au traitement de données, de rectification des données, d’information et d’accès sur les données et traitements et de limitation de traitements. Il donne aussi un droit à être notifié des traitements effectués, un droit à l’effacement et à l’oubli, et un droit à la portabilité des données personnelles. Le RGPD prévoit des sanctions qui vont de l’avertissement à des amendes pouvant atteindre de 2 % à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.
Un sujet aux multiples facettes
Le sujet relève de plusieurs dimensions : celle des pouvoirs publics et du régulateur, celle des initiatives de groupes d’acteurs, celle des entreprises individuellement, celle de la société civile, comme celle de divers organismes contribuant à la gouvernance citoyenne.
En premier, le respect de la loi et de la réglementation, et en particulier en Europe le Règlement général sur la protection des données (RGPD) donne un socle de protection de la donnée privée. Au-delà des sanctions que son non-respect requiert – jusqu’à 2 à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise délictueuse ! – le RGPD pose des principes essentiels, comme le principe de finalité, la protection des données par défaut, ou le droit d’accès aux données et à leur effacement, qui sont particulièrement structurants.
En second, des initiatives volontaires apportent des compléments d’éthique essentiels, notamment en matière d’algorithmes, comme la transparence des algorithmes (TransAlgo).
Certaines entreprises prennent des engagements par exemple en termes physiques, comme l’obturation automatique de caméras à la maison, ou encore Google avec sa charte éthique de l’intelligence artificielle selon sept principes et quatre exclusions.
Les initiatives des GAFA pour se doter d’énergie électrique verte vont dans ce sens, tout comme les incitations au recyclage et à la réutilisation des équipements numériques ou électriques pour une deuxième vie. À titre d’exemple on citera l’utilisation de batteries de voiture usagées pour stocker de l’électricité (Daimler, Renault), ou le marché des téléphones mobiles d’occasion en plein développement.
“La consommation d’énergie des objets connectés
peut varier d’un facteur 10 selon les fabricants”
Bonnes pratiques pour le numérique
Beaucoup a été dit et reste à dire sur la notion d’éthique dans le numérique, tant les technologies et l’algorithmique évoluent rapidement, bien plus vite que ce que les parties prenantes peuvent appréhender, même si la conscience collective commence à se mobiliser. S’il n’est pas réellement possible d’imposer une éthique au-delà du simple respect de la loi et des règlements, il est possible de se doter de bonnes pratiques pour un développement éthique du numérique dans les entreprises et les administrations, afin de faire rayonner leur réputation et attirer des clients ou usagers en quête d’un espace réglementaire sécurisé et d’un environnement où leur intimité est respectée et protégée.
Comme tout évolue sans cesse, on veillera à ce que les principes convenus au départ soient respectés dans les évolutions des systèmes et outils. De même, certains résultats d’algorithmes n’étant pas obligatoirement prévisibles, par exemple avec l’apprentissage profond ou les réseaux de neurones, il est recommandé de rester vigilant sur les résultats obtenus pour éviter les biais ou comportements inexpliqués, en testant statistiquement ces résultats. L’abandon récent par Amazon du traitement automatisé des CV, car trop biaisé contre les femmes du fait de la démarche d’apprentissage sur dix ans, en est le reflet.
En ce qui concerne la dimension environnementale du numérique, la bonne pratique est de mesurer et réduire l’empreinte carbone et environnementale des systèmes d’information concernés par ces développements et des dispositifs mis en place chez le client : on observera que la consommation d’énergie des objets connectés peut varier d’un facteur 10 selon les fabricants, sans parler de leur cycle de vie.
Si on souhaite limiter l’explosion des consommations énergétiques du numérique avec des volumes de données, qui devraient être multipliées par 8 d’ici 2025 selon le cabinet IDC, trois bonnes pratiques sont recommandées par le club Green IT et le WWF dans une étude récente : augmenter la durée de vie des équipements, basculer sur une conception responsable des services numériques qui veille à d’abord bien cerner le besoin avant de faire des développements proportionnés, et avoir une stratégie numérique responsable.
Quels avantages l’entreprise éthique peut-elle tirer de ses engagements et réalisations dans le numérique dans un marché très concurrentiel ? Dans un contexte de sensibilité croissante à la protection individuelle, une entreprise éthique pourra attirer à elle des clients, comme en témoigne le succès croissant des moteurs de recherche qui préservent les informations des visiteurs ou des téléphones mobiles écoconçus.
Une intelligence artificielle pour le bien commun ?
Si Cédric Villani en a fait un chapitre entier de son rapport « Donner un sens à l’intelligence artificielle » en mars 2018, peut-on dire que la finalité du bien commun garantit l’éthique du numérique ? En un sens, la recherche du bien commun, comme la santé, le bien-être, ou le vivre ensemble, devrait orienter les développements informatiques et les équipements vers un but positif, en évitant des travers. Elle donne un engagement fédérateur positif, ce qui mérite d’être appuyé et soutenu comme l’a fait Cédric Villani.
Mais, pour autant, l’éthique n’est pas garantie, comme en témoigne le développement de business models très rentables autour de la donnée santé pour vendre des produits pas toujours nécessaires et utiles pour les personnes. De même les applications gratuites ciblées sur le bien-être sont rarement philanthropiques et cachent souvent des plateformes publicitaires très rentables dont c’est la vraie finalité.
C’est pourquoi, même dans le cas de la recherche du bien commun au cœur du développement durable, il convient de respecter les bonnes pratiques énoncées précédemment.