Une Europe plus favorable à l’emploi
L’ouvrage édité par Pierre Maillet Une Europe plus favorable à l’emploi arrive à point à un moment où la perspective de la monnaie unique pour 1999 apparaît de plus en plus crédible, où simultanément les prévisions en matière d’emploi demeurent très inquiétantes en France comme dans la plupart des pays européens et où toutes les méthodes proposées pour lutter contre le chômage depuis plus de vingt ans semblent avoir échoué.
Les auteurs dressent tout d’abord un utile panorama du chômage européen et des politiques d’emploi qui ont été mises en oeuvre. Ils analysent ensuite quels sont les déterminants structurels et les enjeux de société qui conditionnent l’emploi : rôle du progrès technique, place de la réduction du temps de travail, nature des nouveaux emplois de service, risques de déséquilibres régionaux, impact de la concurrence internationale et notamment de la concurrence des pays à bas salaires, rigidités du marché de travail.
Après ce bilan clair et très bien documenté, les auteurs tracent dans une dernière partie les grands axes d’une véritable stratégie européenne pour l’emploi. Un programme volontariste, comme le souligne le sous-titre de l’ouvrage, où les auteurs montrent comment les politiques communes (commerciale et monétaire) et l’ensemble des interventions à caractère structurel doivent être mobilisées au service de l’emploi. Ceci implique d’adapter le calcul économique pour tenir compte du coût du chômage, de rendre plus cohérentes l’ensemble des décisions publiques et d’inscrire celles-ci dans une stratégie de moyen et long terme.
Les messages de ce livre sont clairs. Le chômage a un caractère structurel en Europe et une simple reprise de l’activité sera insuffisante pour en venir à bout. Les éléments de réponse se trouvent largement au niveau national et la diversité des moyens d’action dont peuvent disposer les différents pays doit être mieux préservée.
Mais les réponses se situent également au niveau communautaire. Les politiques micro-économiques et macro-économiques doivent être mieux articulées, les modalités de coordination des politiques budgétaires doivent être définies, surtout dans la perspective du passage à la monnaie unique qui doit avoir lieu selon l’échéancier prévu. Une stratégie d’ensemble cohérente doit être définie.
L’ouvrage a un discours plus ciblé dans quatre directions. Aux acteurs économiques et sociaux il indique que des ajustements sont nécessaires et doivent être abordés positivement et non d’une manière purement défensive. La finance doit être davantage mise au service de la prise de risque individuel. Aux gouvernements il est rappelé que les interdépendances ne peuvent être réduites et doivent être mieux valorisées à travers une réelle coordination. Aux institutions communautaires on souligne que la seule présentation des bienfaits à attendre du marché unique et de la monnaie unique ne suffit pas.
La politique communautaire doit être présentée d’une manière plus positive en se centrant sur quelques axes fondamentaux. À la Conférence intergouvernementale enfin, on montre combien dans la morosité actuelle du climat il est urgent de déboucher sur des propositions susceptibles de recevoir l’adhésion de la population, notamment en matière d’emploi, même si cette question ne relève pas strictement de son ordre du jour.
À de multiples égards l’ouvrage coordonné par Pierre Maillet est donc très stimulant. Un de ses mérites est aussi de résulter d’un travail collectif regroupant plusieurs universitaires européens, avec une forte participation allemande. Des nuances d’appréciation apparaissent parfois au fil du texte entre les différents auteurs, en particulier avec le professeur Wim Kösters, et sont clairement indiquées.
Tout en partageant les idées-forces de l’ouvrage, nous sommes tentés dans plusieurs cas de pousser plus loin le raisonnement de Pierre Maillet en étant plus explicite dans les critiques adressées au mode actuel de construction européenne ou dans les propositions formulées. Nous nous limiterons à trois exemples.
Lorsque les auteurs parlent de “ deux grandes maladresses par omission à corriger ” (oubli de tout objectif en matière d’emploi, accent mis sur la seule réalisation du grand marché au détriment de la cohérence des politiques), on ne peut qu’approuver. Mais il ne s’agit pas d’un oubli mais du principe même de la relance de la construction européenne depuis 1985 basée sur la seule libération des forces du marché. Il ne faut dès lors pas s’étonner que “ les politiques d’accompagnement soient restées dans les limbes ”.
De même il est reconnu que dans le cadre de la future Union économique et monétaire “ le marché du travail jouera un rôle substantiel, et probablement croissant, pour assurer l’équilibre de l’emploi”. Mais les conclusions que l’on peut en tirer sont plus préoccupantes que les seules “ difficultés à surmonter ” mentionnées par nos auteurs.
Une comparaison avec le cas des États-Unis qui constituent depuis longtemps une union monétaire achevée est instructive. En cas de chocs n’affectant qu’un État ou une région, les ajustements par les salaires et la productivité sont insuffisants pour retrouver l’équilibre. L’essentiel de l’ajustement est réalisé par les transferts de main‑d’oeuvre entre États ou entre régions et par le jeu des transferts liés au fonctionnement du budget fédéral.
Deux mécanismes absents dans le cas européen où la mobilité de la main‑d’oeuvre entre États est très limitée et où le budget communautaire est très faible (1.4 % du PIB), par comparaison avec ce qui existe dans les États fédéraux. On peut dès lors craindre que dans la future Union européenne les déséquilibres régionaux en matière d’emploi et de chômage ne s’accroissent, si rien n’est modifié.
Dernier exemple, on ne peut que souscrire au troisième scénario dit de “ stratégie coopérative de stimulation ” qui implique pour être réalisé la mise en place d’un “ véritable pouvoir économique européen ”. On connaît malheureusement les réticences de nos partenaires européens, et en premier lieu des Allemands, à un tel projet.
On peut se demander pourquoi les auteurs ne mentionnent pas un autre moyen, moins ambitieux, pour mettre en oeuvre cette stratégie coopérative de stimulation, le recours à un emprunt communautaire et l’acceptation du principe d’un déficit du budget communautaire.
Comme on le voit, l’ouvrage de Pierre Maillet suscite la discussion et ouvre des pistes sur des questions dont l’actualité ne va faire que se renforcer dans les années à venir.
Un mot pour conclure en indiquant qu’une question, pourtant centrale pour les problèmes de l’emploi, est peu abordée dans le présent ouvrage. Il s’agit du thème de “ l’Europe à géométrie variable ” qui va se mettre en place à partir de 1999. Mais cette question avait déjà été abordée dans un précédent ouvrage de Pierre Maillet.