Une famine à l’autre bout du monde
Nous voilà au mois de juin, celui de l’été qui arrive en Europe. Un mois d’hiver à Madagascar. Il fait froid la nuit dehors, là où survivent des milliers de gens dans la capitale. Tiraillées par la faim, les familles les plus démunies dorment de moins en moins bien, même dans les tunnels où elles se réfugient. Les barrages sont de nouveau en place dans Tana, surtout la nuit, avec des militaires et des civils en armes qui contrôlent l’identité des automobilistes.
En effet, les partisans de Marc Ravalomanana craignent des réactions en ville aux attaques que devrait désormais mener l’armée, majoritairement acquise au nouveau président, dans les provinces où des barrages routiers continuent à asphyxier la capitale.
Alors que Didier Ratsiraka durcit sa position, Marc Ravalomanana mène une double offensive, politique et diplomatique.
- Politique, cherchant à convaincre les bailleurs de fonds, l’OUA, l’ONU, de la légalité et de la légitimité de son pouvoir.
- Militaire, en faisant sauter les barrages de Morondava, en prenant le palais du Premier ministre (Tantely et sa famille sont désormais dans leur maison, en résidence surveillée, sans moyen de communication avec l’extérieur), et en continuant à mobiliser les réservistes. Mais le nouveau président a subi un échec militaire hier à Mahajanga, où la tentative de chasser les miliciens de Ratsiraka de l’aéroport a échoué. Et où les renforts prêts à décoller de Tana sont restés cloués au sol…
C’est cette semaine que l’on devait aller à Tuléar, mais vous savez que l’on a pris la (sage) décision de reporter cette rencontre à la fin du mois d’octobre.
On reste en contact avec nos amis de Tuléar, où la situation n’est pas brillante (plus de carburant, barrages-racket sur les routes, aérodrome fermé, arrestations arbitraires). La situation est encore plus grave à Tamatave, où » règne » Ratsiraka. Des affichettes déclarent la chasse aux Mérinas et autres habitants originaires des hauts plateaux. De plus, outre les barrages, le cyclone Kesiny a détruit des dizaines de ponts et provoqué de nombreux glissements de terrain, rendant les routes impraticables. Pas d’avion, car l’aéroport est fermé et, last but not least, le Gouverneur vient d’interdire la circulation sur le canal des Pangalanes, seule voie de communication utilisable…
La situation économique s’aggrave de jour en jour.
Selon le PNUD et la Banque mondiale, largement cités par la presse cette semaine, le coût direct de la crise s’élève à 4 200 milliards de FMG, soit environ 650 millions d’euros. Le PIB de 2002 sera en baisse de 10 %.
Industrie, transport, construction tournent en moyenne à 15 %. 150 000 emplois formels ont été supprimés depuis janvier !
Quels sont les gens qui souffrent le plus de cette situation ? Les 500 000 personnes victimes de la suppression de ces emplois formels, les millions de personnes qui étaient déjà dans une situation d’extrême pauvreté et les producteurs ruraux, les prix de leurs produits étant au plus bas (quand ils sont transportables).
Quant au tourisme, première source de devises pour le pays en 2000 et 2001, 98 % des hôtels en zone touristique ont cessé leur activité. Le taux d’occupation des hôtels dans la capitale atteint à peine 10 % (février-mars) et moins de 5 % (avril-mai) contre 30 % à 40 % pour la même période en 2001.
Les impacts sur les conditions de vie de la population sont nombreux et touchent tous les domaines : santé, éducation, alimentation.
Le prix de nombreux produits subit une hausse vertigineuse. On économise sur ce que l’on peut, par exemple en n’envoyant plus les enfants à l’école. Beaucoup ne peuvent plus se nourrir et se soigner normalement. Résultat : + 23 % de décès à Tana en janvier-février par rapport aux mêmes mois de l’année dernière.
Toute la semaine, des voix se sont élevées dans les journaux pour s’étonner de la position de la communauté internationale, notamment de la France, qui ne réagit pas malgré les » actions terroristes » de Ratsiraka.