Une formation très humaine à l’association du Locked-In Syndrome
Récit d’un stage de formation humaine, expérience inoubliable et découverte du monde associatif, un changement radical après la prépa. Le stage se déroule à l’ALIS, l’Association du Locked-In Syndrome, état dans lequel le patient est immobile et ne peut communiquer que par battements de paupières.
Voilà ce que vivent les 500 Français qui sont atteints du Locked-In Syndrome. On utilise souvent pour les décrire les mots « tétraplégiques et muets », qui sont bien plus évocateurs que l’acronyme LIS.
“ Ce stage a pour but de nous sortir de notre zone de confort ”
Il s’agit d’un état neurologique rare, le plus souvent consécutif à un AVC du tronc cérébral, et peu connu du public, bien qu’ayant connu une grande médiatisation en 1997 grâce au célèbre ouvrage de Jean-Dominique Bauby, lui-même atteint du LIS, Le Scaphandre et le Papillon (que je vous recommande si vous ne l’avez pas lu, ainsi que son adaptation cinématographique très juste).
UN STAGE À L’ALIS POUR ALLER VERS LES AUTRES
C’est pour leur venir en aide qu’existe ALIS, l’Association du Locked-In Syndrome, depuis maintenant vingt ans ; elle a justement été fondée par Jean- Dominique Bauby en 1997.
ALIS ET POLYTECHNIQUE
ALIS entretient un lien étroit avec l’École, via la présence des stagiaires : la convention existe depuis 2004. La communauté polytechnicienne est aussi touchée par le Locked-In Syndrome : par exemple, Cyrille Jeanteur (85) est atteint du LIS depuis bientôt vingt ans à la suite d’un accident de voiture.
Hugues Basalo (71) a rejoint ALIS en avril 2017 ; il vient de prendre sa retraite et il propose son aide pour succéder à la comptable, bénévole elle aussi.
ALIS conseille les familles, informe le public, finance et prête du matériel, organise des formations de thérapeutes, lève des fonds… Une présence aussi indispensable qu’indéfectible.
C’est dans cette association que j’effectue mon stage de formation humaine, depuis fin septembre. Ce stage a pour but, comme vous le savez, de nous sortir de notre zone de confort pour nous confronter au monde, ou bien, pour utiliser une formulation moins violente, nous faire aller vers le monde, et surtout vers les autres.
Alors, quel meilleur choix qu’ALIS ?
PREMIERS PAS DANS L’ASSOCIATION ET… PREMIÈRE GALÈRE
Maintenant, imaginez deux jeunes stagiaires allant pour la première fois rendre visite à une personne atteinte du Locked-In Syndrome.
Je tiens dans mes mains un tableau de lettres, et Alice Andrès, qui partage ce stage avec moi, un cahier pour prendre en note les lettres dictées par notre hôte.
“ Pour leur optimisme et leur force, je les admire autant que Maxwell pour ses équations ”
Le tableau de lettres est un moyen de communication mis au point pour permettre aux personnes LIS de s’exprimer plus rapidement qu’un alphabet classique : les lettres y sont rangées par fréquence d’utilisation, ce qui accélère notablement la construction des phrases.
Pour l’instant, cela n’accélère rien du tout : je n’arrive pas à réciter le tableau correctement, je suis obligée de le regarder, ce qui fait que je ne vois pas les validations de la personne que j’essaie de traduire.
Cette galère dure jusqu’à ce que la phrase soit finie, moment après lequel, soulagée, je me penche sur le cahier de ma camarade pour découvrir le résultat… et c’est un carnage. Une suite de lettres sans aucun sens : nous en avons manqué la moitié, c’est incompréhensible.
Après un instant de flottement, nous prenons notre courage à deux mains et demandons à notre hôte s’il veut bien reprendre sa phrase.
LE LOCKED-IN SYNDROME
Cyrille Jeanteur (1985)
Ni maladie évolutive ni état végétatif, le Locked-In Syndrome (littéralement : syndrome d’enfermement) est un état neurologique devant lequel la médecine est souvent désorientée. Totalement paralysée, muette, mais le cerveau intact, la personne Locked-In Syndrome voit, entend et comprend tout, mais ne peut plus ni bouger ni parler.
Le LIS est consécutif majoritairement à un accident vasculaire cérébral (AVC), plus rarement à un traumatisme, détruisant le tronc cérébral, véritable nœud de communication entre le cerveau et la motricité. L’AVC peut être de deux types : il s’agit le plus souvent d’un accident ischémique (un caillot) ou d’une hémorragie du tronc cérébral (une artère se rompt et crée une hémorragie dans le cerveau).
Ses causes peuvent être le cholestérol, l’hypertension, le diabète… Mais parfois, aucun facteur n’est décelé. Il peut survenir sans prévenir ou être annoncé par des migraines intenses, associées à d’autres troubles neurologiques. Il peut être suivi ou non d’une phase de coma.
Le LIS concerne à 67 % des hommes et à 33 % des femmes ; ces chiffres reflètent la fréquence plus importante d’accidents vasculaires cérébraux chez les hommes que chez les femmes.
Source : http://www.alis-asso.fr/
LEÇON DE PATIENCE PAR LES MALADES
Voilà la première leçon que j’ai reçue des personnes atteintes du LIS : la patience. Tous font preuve d’une inépuisable patience, envers leur famille, envers leur état, envers leurs soignants, envers nous enfin.
“ Il peut y avoir bien plus dans quelques battements de paupières que dans des longs discours ”
Toutes ces actions, qui nous paraissent instantanées, anodines, acquises, sont loin d’être immédiates pour elles : allumer la lumière, changer de chaîne, envoyer un e‑mail…
Tandis que d’autres qui nous paraissent évidentes et ne nécessitent aucune planification obligent à une organisation minutieuse en amont : rendre visite à sa famille, aller au cinéma, recevoir des amis…
DE LA PRÉPA AU HANDICAP LIS : UN CHANGEMENT RADICAL
Stéphane Vigand (épouse de Philippe Vigand, atteint du LIS), Antoine Banse (2014, ancien stagiaire d’ALIS), Arnaud Prunaret (atteint du LIS depuis 17 ans), moi-même, et Véronique Blandin (déléguée générale d’ALIS). Photographie prise au cours de la Soirée d’ALIS, concert de levée de fonds,
le 29 novembre 2016.
À la suite de cette première visite légèrement chaotique, j’ai remis en question ma légitimité à faire partie de cette association. Fraîchement débarquée de deux ans en classes préparatoires, au cours desquelles j’ai presque plus côtoyé les espaces préhilbertiens et les interféromètres de Michelson que de vraies personnes, au cours desquelles aussi je préparais des concours, dans une démarche légèrement égoïste.
Deux ans à ne penser qu’à moi en somme. Il me fallait réapprendre à donner de ma personne, de mon temps et de mon énergie pour les autres, et c’est pourquoi j’avais postulé pour ce stage chez ALIS.
UNE ÉCOLE D’HUMILITÉ, DE COURAGE ET DE FOUS RIRES
J’ai appris aussi l’humilité : leur courage incroyable et leur détermination forcent réellement l’admiration. Ils font mentir le sens commun, celui qui aurait tendance à dire que handicap est synonyme de dépression ; et ici, nous parlons d’un handicap très lourd.
Or, au cours de ce stage, j’ai connu bien des fous rires avec les personnes auxquelles nous rendions visite, et ai connu plus de joie et de légèreté avec eux qu’avec certaines personnes valides de mon entourage.
Bien sûr, nous ne voyions pas tout l’envers du décor : les soins, la quasi-absence d’autonomie, les longues heures passées dans sa chambre, la frustration de ne pas toujours être écouté.
Pour leur optimisme et leur force, je les admire autant que Maxwell pour ses équations. Puisque je parlais d’humilité, j’ai aussi appris à mes dépens que réussir le concours d’entrée à Polytechnique ne veut pas dire que l’on sait écrire une phrase sous la dictée sans faire de fautes.
COMMUNIQUER, ÊTRE PROCHE AU-DELÀ DES MOTS
Petit à petit, nous nous sommes habituées à ce mode de communication.
Alice Andrès (2016, stagiaire d’ALIS à mes côtés) et moi-même, au cours d’une campagne de levée de fonds, le 10 décembre 2016.
Maintenant, je connais le tableau sur le bout des doigts et le récite (presque) sans y penser, tandis qu’Alice note (presque) toutes les lettres, et nous savons discerner des phrases dans une soupe de lettres non séparée en mots.
En plus de la pratique de l’alphabet, nous avons appris à connaître chacune de ces personnes. Si on m’avait dit il y a quelques mois que je pourrais me sentir complice d’une personne sans qu’elle n’ait prononcé un seul mot, j’aurais probablement haussé les sourcils en me demandant comment cela pourrait bien être possible.
Et pourtant, ça l’est. Il peut y avoir bien plus dans quelques battements de paupières que dans des longs discours.
DÉCOUVERTE DU MONDE ASSOCIATIF
En parallèle des visites, j’ai découvert le monde associatif, qui m’était jusqu’alors inconnu. Là encore, j’ai pu prendre pleinement conscience des heures de travail qu’il faut pour organiser le moindre événement : il faut des semaines pour organiser un concert de levée de fonds, des mois pour planifier un congrès annuel.
J’ai dû plus d’une fois rassembler tout mon courage pour décrocher mon téléphone, j’ai envoyé des centaines de mails, je me suis rongé les sangs lorsque je ne recevais pas de réponse sur des sujets urgents…
Je ne suis pas aussi patiente que les personnes LIS pour lesquelles nous faisons tout ça.
UNE EXPÉRIENCE INOUBLIABLE
Après six mois intenses, mon stage chez ALIS a touché à sa fin. Je ne pense pas être exactement la même qu’avant mon arrivée : ma perception du monde s’est enrichie, a gagné en profondeur, en maturité. Ce stage a été une chance extraordinaire, tout comme mon admission à l’École polytechnique, ainsi qu’une expérience inoubliable.
Et si ma période d’investissement total auprès d’ALIS s’est achevée, je ne l’ai pas quittée complètement pour autant ; je garde en moi ces souvenirs précieux… ainsi que la promesse de revenir.