Une grande infrastructure face au défi des ans
Des méthodes originales et puissantes permettent d’assurer la maintenance des grands sites industriels, donc de garder l’ensemble en condition malgré le vieillissement. L’une des forces du concept est de fournir un matériau commun au terrain et au niveau stratégique.
Nos aéroports sont millionnaires en mètres carrés de planchers d’aérogares, multimillionnaires en mètres carrés de chaussées aéronautiques, ils distribuent de l’énergie – 80 MW d’électricité, 70 MW de froid, 188 MW de chaleur –, ils abritent aussi l’équivalent en acier de plusieurs tours Eiffel dans les machines qui acheminent, sécurisent et trient les bagages de soute.
Nous en parlerons aujourd’hui sous un angle méconnu, celui des méthodes par lesquelles le groupe ADP veille à maintenir l’ensemble en condition malgré le vieillissement.
UNE MÉTHODE À LA MESURE DES ENJEUX
L’enjeu est de taille : Paris-Charles-de- Gaulle, aéroport quadragénaire dont la croissance n’a jamais cessé, voit tous les ans de nouvelles installations atteindre le terme de leur vie théorique.
“ Il s’agit de garantir la pérennité de l’outil de production que constituent nos installations pour nos clients ”
Orly, bientôt centenaire, a entamé une renaissance dans laquelle de nombreux ouvrages anciens sont remis à niveau. Il s’agit d’agréger une vue d’ensemble de cette multitude de rénovations à programmer et exécuter, pour garantir la pérennité de l’outil de production que constituent nos installations pour nos clients.
Retenons trois piliers de cette méthode : l’indice de vétusté physique (IVP) est un pourcentage qui mesure le vieillissement d’un ouvrage ou d’un groupe d’ouvrages ; le déficit de maintien d’actifs (DMA) est un écart par rapport à l’état de neuf ; la matrice de criticité cote les composants de cet écart en fonction d’une échelle de gravité et d’impact qui reflète les priorités de l’entreprise.
Combinées, l’agrégation des DMA et la matrice de criticité donnent une appréciation des risques liés au vieillissement, en les segmentant de façon à cibler le traitement sur les plus sérieux.
QUELQUES CAS D’ÉCOLE
Prenons l’aérogare CDG‑1 : elle a beaucoup vécu depuis son ouverture en 1974, aussi son bâtiment principal circulaire a‑t-il été complètement rénové dans les années 2000. Restaient ses salles d’embarquement en forme de satellites. Leurs IVP dépassant 15 % en 2008, une action s’imposait, mais pas une rénovation complète en l’état car on pensait les faire évoluer.
LE FACILITY CONDITION INDEX
Nés à l’US Navy, les concepts de base du Facility Condition Index ont été formalisés à partir de 1991 pour la gestion des bâtiments universitaires.
À ce jour, ils sont en usage dans plusieurs organisations comme la NASA, le DOD (Department of Defense) des États- Unis et toutes ses branches, un très grand nombre de villes, d’hôpitaux et d’universités au Canada et aux USA.
Aussi, dans l’attente du projet de jonction déclenché en 2015, les satellites ont-ils reçu une rénovation partielle « juste nécessaire », consistant à remettre à niveau leurs équipements vitaux et à transformer leur ambiance interne. Leurs indices de vétusté sont restés élevés, ce qui est gérable pour une période transitoire si l’on pallie par une maintenance accrue les risques liés aux déficits de maintenance non encore traités.
Prenons nos voies de circulation avions : il s’agit de chaussées aéronautiques, généreusement dimensionnées pour supporter les avions les plus lourds. Or depuis 2013, nous avons constaté un vieillissement inattendu : leur IVP (indice de vétusté) est passé de 4,1 % à 6,8 %. C’est un effet retardé de l’entrée en ligne pendant les années 2000 d’une génération d’avions gros-porteurs dont la masse est concentrée sur deux jambes de train d’atterrissage (ce n’est pas l’A380 qui, quoique plus lourd, répartit sa masse sur un train principal à quatre jambes).
Quelle que soit la cause, il s’agit de corriger, d’abord sur les voies les plus critiques (celles qui sont proches des pistes), puis sur l’ensemble, en contenant à un niveau constant le DMA (déficit de maintien d’actifs) des secteurs critiques, et en priorisant les interventions sur les autres voies.
À Orly, lors des premières années d’utilisation de la méthode, la cotation des déficits de maintien d’actifs par criticité a servi de support à un ciblage des investissements sur les déficiences critiques.
Un effet positif sur le volume des risques les plus sérieux a été obtenu et mesuré, avant même qu’il ne soit décidé un rajeunissement général. Celui-ci est maintenant engagé et l’indice de vétusté a pour la première fois baissé cette année.
COMMENT FAIT-ON ?
Les trieurs de bagages, cathédrales d’acier dans une ville souterraine en miroir des aérogares. © AÉROPORT DE PARIS
Annuellement, les ouvrages, leurs DMA et leurs indices de vétusté sont recensés et évalués par une enquête menée par un consultant externe, l’entreprise TB Maestro SA, qui nous a apporté la méthodologie et nous a aidés à la transposer à l’ensemble des installations.
Garant de l’homogénéité et de l’intégrité de l’information depuis le terrain jusqu’aux rapports de synthèse, le consultant produit une base de données de quelque 3 500 DMA, de laquelle il compile les indicateurs sous la forme de carnets de santé par unité responsable et par aéroport, ainsi que sous la forme d’un portefeuille de projets.
Sur la base de cycles de vie théoriques des ouvrages, l’ensemble est projeté au-delà de l’horizon de cinq ans que donne l’enquête de terrain. Après cette compilation, les résultats retournent au terrain sous la forme d’une actualisation des programmes d’investissement « vétusté », sur un horizon de cinq ans glissants.
C’est l’une des forces de la méthode : elle fournit un matériau commun au terrain et au niveau stratégique. Les unités de terrain y trouvent le contenu et les priorités de leur programme d’investissement, ainsi qu’un langage commun pour expliciter les risques liés au vieillissement de leurs installations.
“ Une force de la méthode est de fournir un matériau commun au terrain et au niveau stratégique ”
Le niveau stratégique y trouve la formulation d’une trajectoire globale, en termes de vieillissement ou de rajeunissement, et en termes de niveau de risque agrégé.
Le groupe ADP a été l’une des premières entreprises en France à systématiser ces démarches, qui ont fait l’objet de travaux de normalisation : BSI en Grande-Bretagne (PAS 55 depuis 2004), ISO (publication en janvier 2014 d’une norme ISO 55 000 à la suite de quatre ans de travaux préparatoires internationaux).
L’objectif affiché de la norme ISO 55 000 est d’assurer « … non seulement les organismes de tutelle mais surtout les actionnaires et les investisseurs institutionnels de la meilleure rentabilité de l’euro investi dans la pérennité des actifs industriels de plus en plus complexes ».
On ne saurait mieux résumer.