Une histoire en phase avec le présent
Compte rendu de la table ronde « Enseignements de l’histoire »
Propos résumés par la Rédaction
L’histoire du corps des Mines comme celle des Télécommunications est riche d’enseignements dans une France soucieuse de protéger son cadre de vie et de rester un des acteurs du progrès économique et social. Charles Coquebert proposait en 1794 de créer un corps d’ingénieurs au service de l’État, afin de mobiliser les sciences au service du bien public et de diffuser le savoir. Des missions d’actualité pour le nouveau corps des Mines.
REPÈRES
La table ronde a réuni Bruno Belhoste, professeur des universités (Paris-Sorbonne), Pierre Couveinhes (70), membre du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, rédacteur en chef des Annales des Mines, Jérôme Goellner (79), chef du service des risques technologiques à la direction générale de la prévention des risques, MEDDTL, Pascal Griset, professeur des universités (Paris-Sorbonne), Geneviève Massard-Guilbaud, directrice d’études à l’EHESS, présidente de l’European Society for Environmental History, Philippe Picard (60), président de l’AHTI (Association pour l’histoire des télécommunications et de l’informatique).
Environnement et industrie
Les débats autour de la prévention des risques qui ont eu lieu depuis deux cents ans restent d’actualité
Geneviève Massard-Guilbaud rappelle qu’en 1810 un décret de loi a organisé l’inspection des établissements classés (les installations industrielles produisant des nuisances – surtout des odeurs – devront être classées et obtenir un agrément). Très vite, le corps des Mines va s’imposer pour mener les enquêtes nécessaires. Chaque entreprise sollicitant une expertise reçoit la visite d’un ingénieur des Mines et, à partir de 1848, d’une Commission envoyée par le Conseil de salubrité, qui rédigent des rapports sur les entreprises et leurs activités.
Dans leurs rapports, les ingénieurs manifestent à la fois de la sympathie pour les entreprises examinées et une très grande compétence technique. Leurs conclusions sont en général optimistes quant à la capacité de la technique à surmonter les problèmes constatés : d’où des retards dans la maîtrise des pollutions.
Supprimer les pollutions
Assainissement
Les Annales des Mines ont largement contribué à faire connaître les procédés de dépollution. C’est ce qui a amené en 1862 le ministre des Travaux publics à confier à Charles de Freycinet (1846) la mission d’inventorier les techniques de prévention des risques industriels et d’amélioration de la protection des travailleurs, en particulier en Angleterre, en Belgique et en Allemagne. Au terme de cette mission, il a publié en 1869 un Traité d’assainissement industriel.
Plutôt que d’éloigner les activités produisant des rejets polluants des populations, les ingénieurs ont préféré supprimer ces rejets. C’est ainsi qu’au milieu du XIXe siècle on a pu maîtriser les rejets d’acide chlorhydrique dans la fabrication de la soude.
Mais si le décret de 1810 est souvent considéré comme le premier décret environnemental, il ne faut pas oublier qu’il avait comme vocation initiale de régler les conflits entre industriels – surtout chimistes – et propriétaires fonciers et immobiliers.
Des débats toujours actuels
Pour Jérôme Goellner, les débats autour de la prévention des risques et de l’environnement qui ont eu lieu depuis deux cents ans restent d’actualité : quel doit être le rôle régulateur des pouvoirs publics pour protéger les tiers tout en donnant à l’industrie le cadre stable et homogène dont elle a besoin ? Ingénieurs et public ont souvent des vues divergentes.
Pour les réconcilier, trois voies sont à suivre : faire la synthèse entre l’expertise technique et les préoccupations de la société (ce qui amène à organiser de bonne manière le travail de pédagogie et d’appropriation) ; assurer impérativement l’indépendance entre exploitants et régulateurs ; faire preuve d’humilité, car bien des morts auraient pu être évitées par une approche plus précautionneuse des risques émergents.
Le poids des structures
En rappelant l’histoire du corps des Télécommunications, Philippe Picard a montré l’importance des options politiques. Le rattachement de ces activités aux PTT a conduit à un sous-développement préjudiciable à l’ensemble de l’économie. Mais les ingénieurs des Télécoms se sont mobilisés pour sortir de cette situation, et les réformes structurelles, qui ont permis de leur donner une grande autonomie d’action, ont permis à la France, non seulement de combler son retard, mais d’être en pointe dans de nombreux domaines. Mais la dérégulation crée un contexte nouveau qui remet en question le rôle du corps tel qu’il se concevait vingt ans plus tôt : d’où la fusion avec le corps des Mines.
Éclairer l’avenir
Pascal Griset fait observer qu’en matière d’innovation la durée est essentielle. Il faut également tenir compte de ces réalités que sont les réseaux, les industriels, les marchés, les hommes. « Qui contrôle les réseaux contrôle les territoires » (Saint-Simon).
Tirer les leçons de l’histoire quand tout va très vite implique de s’éloigner du court terme et de raisonner plus territoires, régions, Europe, et de considérer la dimension stratégique des décisions. Il faut aussi intéresser les parties prenantes – producteurs, mais aussi consommateurs et citoyens – en développant l’enseignement, la communication et en créant des espaces de réflexion. P. Griset s’inquiète de la disparition de l’histoire en terminale scientifique.
Excellence et service du bien commun
Traits communs
Si les deux corps récemment fusionnés ont des histoires différentes, de nombreux traits rapprochent leurs membres. Tout d’abord ce sont des ingénieurs, au sens large du terme, qu’ils soient savants, chimistes, économistes ou hommes d’action. Les corps ont non seulement su s’adapter au changement, mais en être les moteurs. Enfin, ces ingénieurs se sont montrés souvent plus doués pour faire et démontrer que pour convaincre.
Bruno Belhoste constate que les corps constituent une réalité unique au monde, mais difficile à définir. Des ingénieurs des Mines savants et sans mines, c’est rare ! Au cours des années, les évolutions ont été considérables, avec des oscillations entre colbertisme et libéralisme.
L’ingénieur des Mines est d’abord au service de l’État, mission qui peut amener des tensions avec le souci de servir l’idéal des Lumières et le sens de la responsabilité sociale. Il privilégie une approche pédagogique des problèmes, approche qui est compatible avec le libéralisme. Son pouvoir et son influence restent élevés : esprit de corps, souci de l’excellence, sens de l’État, politique fondée sur la raison y contribuent largement.
Un avenir dans la continuité
Les corps constituent une réalité unique au monde
En 1794, Charles Coquebert, alors rédacteur en chef du Journal des Mines, a écrit sur le corps des ingénieurs des Mines des propos que Pierre Couveinhes reprend à son compte : sa mission est de servir l’État en mobilisant la science au profit du bien public et en diffusant le savoir.
L’État a besoin d’ingénieurs car le marché ne règle pas tout et la sous-traitance ne répond pas à tous les besoins. Dans un monde où la science et la technique sont vues comme des menaces, la diffusion des savoirs est un impératif. Et, dans un contexte d’information surabondante, il faut trier pour éclairer les décideurs.