Les drapeaux des pays de l'Europe

Une identité européenne pour le XXIe siècle

Dossier : ExpressionsMagazine N°726 Juin 2017
Par Philippe HERZOG (59)

On ne naît pas euro­péen, on le devient. La France doit apprendre à aimer l’Europe, à for­mer une iden­ti­té euro­péenne qui ne se sub­sti­tue­ra pas à l’identité natio­nale, mais l’enrichira et l’enveloppera. C’est un com­bat cultu­rel, un espace de paix et le moyen de res­tau­rer sa force face à la mondialisation. 

L’Europe a été pré­sente dans le débat de l’élection pré­si­den­tielle mais, quand on exa­mine de près les pro­grammes des can­di­dats, trois seule­ment affi­chaient une volon­té rai­son­nable d’engagement de la France en Europe. 

“ Cette évolution est inacceptable ! ”

Le Pré­sident Macron est de ceux-là et il est déterminé. 

Mais si une nette majo­ri­té de Fran­çais veut res­ter dans l’euro, c’est par pru­dence : les deux tiers sont euros­cep­tiques. Cette évo­lu­tion est inacceptable. 

D’ABORD UN COMBAT CULTUREL

Aimer l’Europe, c’est d’abord un com­bat cultu­rel. Il y a un immense besoin d’éducation, d’universités popu­laires, de jume­lages, pour que la France choi­sisse réel­le­ment son deve­nir en Europe dans la longue trace de ses pion­niers : Sul­ly, Rous­seau, Saint- Simon, Briand, Schu­man, de Gaulle… 

KANT ET LA FÉDÉRATION DES PEUPLES

Pour concevoir une paix durable, Emmanuel Kant avait fait surgir une nouvelle idée d’Europe : fédérer des peuples, les réunir dans une alliance d’un type nouveau.

La civi­li­sa­tion euro­péenne a pré­cé­dé la créa­tion de nos États-nations. Elle est un espace de cir­cu­la­tions, de créa­tions et de conflits, où s’est for­mée une civi­li­sa­tion mul­ti­sé­cu­laire entre des peuples très différents. 

D’abord chré­tienne, elle est deve­nue celle des Lumières. Cette Europe de près de deux mil­lé­naires a engen­dré des valeurs de por­tée uni­ver­selle : l’égale digni­té de la per­sonne (depuis saint Paul), la liber­té et la jus­tice, la pen­sée cri­tique et la recherche de vérité. 

Elle a vou­lu faire l’histoire, alors qu’aujourd’hui nous sommes tom­bés dans le pré­sen­tisme qu’analyse l’historien Fran­çois Hartog. 

UN ESPACE ENFIN DE PAIX

L’Europe a été aus­si l’espace de guerres récur­rentes entre les États-nations et d’aventures impé­riales allant jusqu’à l’autodestruction au XXe siècle. 

La créa­tion de la Com­mu­nau­té euro­péenne après la Seconde Guerre mon­diale a été une renais­sance. Elle a été fon­dée sur un com­pro­mis limi­té – le mar­ché et le droit –, mais il était impos­sible de mieux faire compte tenu des haines réciproques. 

Soixante ans après, le bilan n’est pas mince : la paix ; une cer­taine pros­pé­ri­té ; des élar­gis­se­ments qui ont per­mis aux peuples du Sud et de l’Est d’émerger des ténèbres. 

TOUT CHANGE AVEC LA MONDIALISATION

Mais depuis la mon­dia­li­sa­tion, tout a chan­gé. Il faut régé­né­rer la civi­li­sa­tion ou périr. Or, nous n’avons pas pris soin de notre Europe, nous la déni­grons et beau­coup en font un bouc émis­saire de nos man­que­ments. Or, le mal est en nous-mêmes. 

“ Je préfère faire appel à la conscience des gens et susciter leur engagement pour une refondation ”

Ce ne sont pas les carences de l’Union qui sont d’abord en cause, mais nous-mêmes, nos États, nos men­ta­li­tés. L’Union euro­péenne nous a à la fois expo­sés et pro­té­gés dans la mondialisation. 

Mais dans le nou­veau monde des puis­sances, celui des Trump, Xi Jin­ping, Pou­tine…, l’Europe doit impé­ra­ti­ve­ment redé­fi­nir son rôle et res­tau­rer sa force. C’est l’heure des choix, et ils sont libres. 

Quit­ter l’Union (il y a plu­sieurs façons de le faire), c’est clô­tu­rer la nation et débou­cher sur une tra­gé­die. Refon­der l’Union, c’est pos­sible et néces­saire, mais ce n’est pos­sible que si l’on sort d’une culture natio­nale introvertie. 

Beau­coup veulent com­battre les « popu­lismes », mais ils oublient que l’élitisme des diri­geants nour­rit le popu­lisme des peuples. 

Les élites masquent trop sou­vent leurs propres res­pon­sa­bi­li­tés dans les maux du pays et paraissent igno­rer les souf­frances popu­laires. Je pré­fère faire appel à la conscience des gens et sus­ci­ter leur enga­ge­ment pour une refondation. 

RENVERSER NOTRE VISION SUR L’EUROPE

Il est abso­lu­ment cru­cial de ren­ver­ser l’optique : l’Europe ne doit pas gar­der le visage d’une plé­thore de direc­tives qui des­cendent de Bruxelles, elle doit être vécue dans la vie quo­ti­dienne de cha­cun, dans nos entre­prises et nos loca­li­tés, comme une source d’opportunités nouvelles. 


Refon­der l’Union n’est pos­sible que si l’on sort d’une culture natio­nale intro­ver­tie. © NEYDTSTOCK / SHUTTERSTOCK.COM

L’Europe de demain, c’est apprendre dès l’école la langue et l’histoire par un maître venu d’un autre pays d’Europe ; ce sont les pro­grammes euro­péens d’apprentissage pour tous ; le fer­rou­tage pour le trans­port des mar­chan­dises trans­fron­tières, les biblio­thèques numé­riques euro­péennes, les coopé­ra­tions interrégionales… 

La France doit com­prendre que l’Allemagne ne paie­ra pas pour ses dettes. Mais aucun État, même l’Allemagne, ne peut igno­rer les biais de l’Union actuelle. 

Le grand mar­ché n’est un atout que si la com­pé­ti­tion est équi­li­brée par la coopé­ra­tion et s’il est accom­pa­gné d’une stra­té­gie de com­pé­ti­ti­vi­té indus­trielle. Il doit être beau­coup plus acces­sible aux PME, aux col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales, et il faut créer une Union pour l’investissement et le financement. 

N’OPPOSONS PLUS FÉDÉRALISME ET SOUVERAINISME !

Pour accom­plir ces tâches, l’Union doit acqué­rir cer­tains attri­buts de puis­sance publique et dépas­ser la « méthode Mon­net ». Conduite par des diri­geants cou­pés des citoyens, elle devra repo­ser sur la par­ti­ci­pa­tion de ses peuples. 

Il faut réha­bi­li­ter les élec­tions euro­péennes, créer un espace public tran­seu­ro­péen d’information et de com­mu­ni­ca­tion. « Ou nous par­ve­nons à for­ger une iden­ti­té euro­péenne, ou le vieux conti­nent dis­pa­raît de la scène mon­diale », écrit Jür­gen Habermas. 

Il est temps de com­men­cer à dépas­ser le cli­vage his­to­rique qui oppose les sou­ve­rai­nistes et les fédé­ra­listes. Les États-Unis d’Europe, c’était le monde d’hier. Kant lui-même visait une Confé­dé­ra­tion et non pas un État fédé­ral. Mais « la sou­ve­rai­ne­té une et indi­vi­sible », c’était la France de Louis XIV et de 1789. 

POUR ALLER PLUS LOIN

Philippe Herzog, L’identité de l’Europe, Vers une refondation, Essai pour King’s College London, mai 2016. Édité par ASCPE – les Entretiens Européens et Eurafricains.

Nous devons enle­ver nos œillères pour choi­sir de par­ta­ger des liens et des poli­tiques dans une Union poli­tique dif­fé­ren­ciée. Il ne s’agit pas d’une Union à plu­sieurs vitesses – ce serait accep­ter la dés­in­té­gra­tion et la France n’est cer­tai­ne­ment pas en état de faire par­tie de l’avant-garde –, mais d’une Union de pro­jets et de soli­da­ri­tés qui pré­fé­re­ra la coopé­ra­tion à l’uniformité.

Après l’époque des pion­niers et en dépit de nos efforts, ma géné­ra­tion a failli. Le choix de la rup­ture serait tra­gique, mais l’indifférence ne l’est pas moins. Il faut aider notre jeu­nesse à acqué­rir une conscience euro­péenne et à s’engager, c’est un com­bat de civilisation.

Poster un commentaire