Une identité européenne pour le XXIe siècle
On ne naît pas européen, on le devient. La France doit apprendre à aimer l’Europe, à former une identité européenne qui ne se substituera pas à l’identité nationale, mais l’enrichira et l’enveloppera. C’est un combat culturel, un espace de paix et le moyen de restaurer sa force face à la mondialisation.
L’Europe a été présente dans le débat de l’élection présidentielle mais, quand on examine de près les programmes des candidats, trois seulement affichaient une volonté raisonnable d’engagement de la France en Europe.
“ Cette évolution est inacceptable ! ”
Le Président Macron est de ceux-là et il est déterminé.
Mais si une nette majorité de Français veut rester dans l’euro, c’est par prudence : les deux tiers sont eurosceptiques. Cette évolution est inacceptable.
D’ABORD UN COMBAT CULTUREL
Aimer l’Europe, c’est d’abord un combat culturel. Il y a un immense besoin d’éducation, d’universités populaires, de jumelages, pour que la France choisisse réellement son devenir en Europe dans la longue trace de ses pionniers : Sully, Rousseau, Saint- Simon, Briand, Schuman, de Gaulle…
KANT ET LA FÉDÉRATION DES PEUPLES
Pour concevoir une paix durable, Emmanuel Kant avait fait surgir une nouvelle idée d’Europe : fédérer des peuples, les réunir dans une alliance d’un type nouveau.
La civilisation européenne a précédé la création de nos États-nations. Elle est un espace de circulations, de créations et de conflits, où s’est formée une civilisation multiséculaire entre des peuples très différents.
D’abord chrétienne, elle est devenue celle des Lumières. Cette Europe de près de deux millénaires a engendré des valeurs de portée universelle : l’égale dignité de la personne (depuis saint Paul), la liberté et la justice, la pensée critique et la recherche de vérité.
Elle a voulu faire l’histoire, alors qu’aujourd’hui nous sommes tombés dans le présentisme qu’analyse l’historien François Hartog.
UN ESPACE ENFIN DE PAIX
L’Europe a été aussi l’espace de guerres récurrentes entre les États-nations et d’aventures impériales allant jusqu’à l’autodestruction au XXe siècle.
La création de la Communauté européenne après la Seconde Guerre mondiale a été une renaissance. Elle a été fondée sur un compromis limité – le marché et le droit –, mais il était impossible de mieux faire compte tenu des haines réciproques.
Soixante ans après, le bilan n’est pas mince : la paix ; une certaine prospérité ; des élargissements qui ont permis aux peuples du Sud et de l’Est d’émerger des ténèbres.
TOUT CHANGE AVEC LA MONDIALISATION
Mais depuis la mondialisation, tout a changé. Il faut régénérer la civilisation ou périr. Or, nous n’avons pas pris soin de notre Europe, nous la dénigrons et beaucoup en font un bouc émissaire de nos manquements. Or, le mal est en nous-mêmes.
“ Je préfère faire appel à la conscience des gens et susciter leur engagement pour une refondation ”
Ce ne sont pas les carences de l’Union qui sont d’abord en cause, mais nous-mêmes, nos États, nos mentalités. L’Union européenne nous a à la fois exposés et protégés dans la mondialisation.
Mais dans le nouveau monde des puissances, celui des Trump, Xi Jinping, Poutine…, l’Europe doit impérativement redéfinir son rôle et restaurer sa force. C’est l’heure des choix, et ils sont libres.
Quitter l’Union (il y a plusieurs façons de le faire), c’est clôturer la nation et déboucher sur une tragédie. Refonder l’Union, c’est possible et nécessaire, mais ce n’est possible que si l’on sort d’une culture nationale introvertie.
Beaucoup veulent combattre les « populismes », mais ils oublient que l’élitisme des dirigeants nourrit le populisme des peuples.
Les élites masquent trop souvent leurs propres responsabilités dans les maux du pays et paraissent ignorer les souffrances populaires. Je préfère faire appel à la conscience des gens et susciter leur engagement pour une refondation.
RENVERSER NOTRE VISION SUR L’EUROPE
Il est absolument crucial de renverser l’optique : l’Europe ne doit pas garder le visage d’une pléthore de directives qui descendent de Bruxelles, elle doit être vécue dans la vie quotidienne de chacun, dans nos entreprises et nos localités, comme une source d’opportunités nouvelles.
Refonder l’Union n’est possible que si l’on sort d’une culture nationale introvertie. © NEYDTSTOCK / SHUTTERSTOCK.COM
L’Europe de demain, c’est apprendre dès l’école la langue et l’histoire par un maître venu d’un autre pays d’Europe ; ce sont les programmes européens d’apprentissage pour tous ; le ferroutage pour le transport des marchandises transfrontières, les bibliothèques numériques européennes, les coopérations interrégionales…
La France doit comprendre que l’Allemagne ne paiera pas pour ses dettes. Mais aucun État, même l’Allemagne, ne peut ignorer les biais de l’Union actuelle.
Le grand marché n’est un atout que si la compétition est équilibrée par la coopération et s’il est accompagné d’une stratégie de compétitivité industrielle. Il doit être beaucoup plus accessible aux PME, aux collectivités territoriales, et il faut créer une Union pour l’investissement et le financement.
N’OPPOSONS PLUS FÉDÉRALISME ET SOUVERAINISME !
Pour accomplir ces tâches, l’Union doit acquérir certains attributs de puissance publique et dépasser la « méthode Monnet ». Conduite par des dirigeants coupés des citoyens, elle devra reposer sur la participation de ses peuples.
Il faut réhabiliter les élections européennes, créer un espace public transeuropéen d’information et de communication. « Ou nous parvenons à forger une identité européenne, ou le vieux continent disparaît de la scène mondiale », écrit Jürgen Habermas.
Il est temps de commencer à dépasser le clivage historique qui oppose les souverainistes et les fédéralistes. Les États-Unis d’Europe, c’était le monde d’hier. Kant lui-même visait une Confédération et non pas un État fédéral. Mais « la souveraineté une et indivisible », c’était la France de Louis XIV et de 1789.
POUR ALLER PLUS LOIN
Philippe Herzog, L’identité de l’Europe, Vers une refondation, Essai pour King’s College London, mai 2016. Édité par ASCPE – les Entretiens Européens et Eurafricains.
Nous devons enlever nos œillères pour choisir de partager des liens et des politiques dans une Union politique différenciée. Il ne s’agit pas d’une Union à plusieurs vitesses – ce serait accepter la désintégration et la France n’est certainement pas en état de faire partie de l’avant-garde –, mais d’une Union de projets et de solidarités qui préférera la coopération à l’uniformité.
Après l’époque des pionniers et en dépit de nos efforts, ma génération a failli. Le choix de la rupture serait tragique, mais l’indifférence ne l’est pas moins. Il faut aider notre jeunesse à acquérir une conscience européenne et à s’engager, c’est un combat de civilisation.