Une initiative européenne pour valoriser les atouts des PME
Après avoir participé, comme entrepreneur dirigeant ou consultant, au développement de nombreuses entreprises italiennes et françaises, Jacques Barache a observé les difficultés majeures que rencontrent aujourd’hui les entreprises de toutes tailles et s’est convaincu que les PME possèdent les meilleurs atouts pour les surmonter. Encore faut-il que ces atouts puissent être correctement joués. À cet effet, Jacques Barache a lancé en 1996 un Forum international pour la moyenne et petite entreprise, où sont engagées des associations représentatives des entreprises françaises, suisses et italiennes. Il est par ailleurs l’un des fondateurs de l’AIMVER.
Quatre défis majeurs à relever
Les problèmes de stratégie et de gestion que rencontrent les entreprises dans le contexte de l’évolution économique mondiale font, à juste raison, l’objet de nombreuses réflexions de grande qualité. Mais l’accent est rarement mis sur quelques difficultés fondamentales qui s’opposent à la résolution des autres problèmes. Nous allons en examiner quatre, en montrant les atouts respectifs de la grande entreprise et de la moyenne ou petite entreprise (MPE) pour y faire face.
Maîtriser la complexité est devenu un casse-tête pour les chefs d’entreprise – et progressivement pour tous leurs collaborateurs – sous l’effet de l’imbrication des techniques, la diversité des marchés accessibles, l’omniprésence du social, la jungle des fiscalités.
Face à cette difficulté, l’entreprise est guettée par deux dangers :
- la « terrible simplification » (1) qui consiste à ignorer les nombreuses interactions qui caractérisent une situation : les décideurs qui s’y adonnent impressionnent par la clarté de leur discours et la rapidité de leurs décisions, comme si tout était simple et connu ; les Français aiment ça ;
- l’autre danger, c’est la « fuite dans l’utopie », c’est-à-dire la recherche, avec ardeur, conviction, obstination, d’une solution qui en fait n’existe pas. On croit la trouver en perfectionnant sans cesse les outils de gestion et les modes opératoires : mais on ne fait que répondre à la complexité par la complication.
Cette deuxième déviance est très fréquente dans la grande entreprise : les techniques du management fournissent des règles, des check-lists, des systèmes d’informations dont les managers sérieux et appliqués sont très friands. C’est normal qu’il en soit ainsi, car l’improvisation et l’adaptation flexible n’y sont pas – ou difficilement – praticables, et si le décideur n’a pas de chemin tracé pour trouver la solution, il est désarmé.
Dans la MPE c’est différent. Le Patron peut se permettre de dire au départ « je ne sais pas ». Il va parler avec ses collaborateurs, bavarder sur le terrain avec les ouvriers, questionner les vendeurs, sans trop se soucier des étages hiérarchiques. De la sorte, il intègre les informations utiles pour saisir la complexité de la situation et pour découvrir, plus intuitivement qu’analytiquement, la voie originale qui permet d’y répondre.
À cet égard il est très instructif d’observer, à l’occasion d’un séminaire de formation, combien un dirigeant de grande entreprise est mal à l’aise lorsqu’il se trouve en minorité, parmi un groupe de patrons de MPE qui discutent de leurs démarches dans diverses situations complexes.
Quant à la tentation de simplification abusive, aucun décideur impulsif n’en est tout à fait protégé. Celui qui, à la tête d’une MPE, est en contact permanent avec toutes les facettes de la réalité en perçoit vite l’inconvenance, et s’il est tenté une fois, la sanction arrivera vite.
Dans les grandes organisations, c’est chacun des spécialistes qui a des oeillères simplificatrices lui donnant l’impression de « voir la solution » ; la décision est donc souvent le résultat d’un arbitrage plus que d’une synthèse originale.
Percevoir les attentes de l’environnement – clients, concurrents, associés, personnel, technologues – est la condition nécessaire pour se placer sur de bons axes.
Paradoxalement, malgré le développement de l’informatique et la croissance des dépenses de marketing, ces attentes sont encore mal perçues par un grand nombre d’entreprises qui se polarisent presque exclusivement sur la réduction des coûts, et se contraignent à dégraisser, débaucher, serrer les écrous…
À l’inverse, d’autres entreprises de la même branche d’activité – même dans la chaussure et la confection -, qui ont mieux perçu les attentes du marché et les modes de pénétration possibles, peuvent combiner l’inévitable effort sur le prix de revient avec une offre et une organisation nouvelle qui leur assurent une réelle prospérité.
Elles ont fait une lecture fine de l’environnement, avec une information bien sélectionnée, et perçu de très nombreux signaux – dont certains très faibles – qui les ont mises sur la voie d’opérations réussies.
La MPE est capable de s’intéresser avec passion à son environnement, à ses produits, ses marchés, ses technologies. Dans l’effort d’écoute des signaux faibles, l’ensemble du personnel peut s’impliquer : si l’exemple vient d’en haut tous ceux qui détiennent des informations signifiantes et des relations extérieures utilisables contribuent spontanément à la recherche de bonnes solutions. C’est ainsi que les petites entreprises des régions industrieuses d’Italie parviennent à des réussites impressionnantes, sans appareils d’enquête ni d’exploration très lourds.
Mobiliser les énergies du personnel et des partenaires qui participent au combat de l’entreprise est le secret commun à toutes les réussites. Or malgré les efforts laborieux et intelligents qui ont été dépensés, particulièrement dans les grandes entreprises, pour la gestion des ressources humaines, le personnel employé est dans sa majorité très peu mobilisé pour la réussite économique et sociale de son entreprise (2). Le fond des choses est que la polarisation sur la réduction des coûts, donc des effectifs, n’est pas compatible avec le développement de la motivation. On a beau invoquer le progrès technique, la nécessaire productivité, la concurrence mondiale, la guerre économique : un salarié qui se demande s’il fera partie du prochain « plan de restructuration » ne peut pas avoir envie de partir à l’assaut.
Quand cette menace n’existe pas – c’est-à-dire dans les entreprises qui s’ingénient à compenser les « gains de productivité » par des poussées d’activités nouvelles – la mobilisation des énergies peut être considérable.
Or la pression pour cette politique d’effectifs non décroissants est très forte dans les PME. Certes elle peut conduire à des ajustements d’effectifs trop tardifs – qui suscitent immédiatement des pertes – mais surtout, elle déclenche des suggestions et des projets nouveaux rapidement mis en oeuvre. Chacun y est conscient d’avoir dans cette affaire sa part de responsabilité et un pouvoir de proposition. Dans ce nouveau contexte la logique des coûts minima et la recherche des hautes productivités changent de nature. On est dans un autre univers.
Savoir se connecter avec le pouvoir politique n’est pas toujours perçu comme une nécessité et c’est pourtant indispensable.
Le « rôle du politique » est d’obtenir que les populations puissent vivre ensemble. Cela concerne principalement la sécurité, la justice, la police, la solidarité, la protection (militaire, économique, aux frontières, etc.), l’éducation des jeunes.
Le rôle de l’entrepreneur c’est la création des richesses sous forme de biens et services pour satisfaire les besoins solvables de la population.
L’interface entre le politique et la création des richesses comprend la fiscalité, la monnaie, le chômage, les réglementations, la protection économique, l’apprentissage dans l’entreprise. Or les hommes politiques se limitent généralement à leurs vieilles recettes : subventions, dégrèvement fiscaux, aides financières. Pour obtenir de meilleurs résultats, notamment en matière d’emploi, leur coopération avec l’entreprise et la population doit aller plus loin et sortir du pur économique.
Au niveau des grandes entreprises, il existe des pratiques triangulaires classiques entre le gouvernement central, les grands syndicats patronaux d’entreprises et les grands syndicats de travailleurs.
Au niveau des MPE, les gouvernements centraux sont paralysés par la multitude des interlocuteurs dispersés sur l’ensemble du territoire national. C’est donc localement que le « vivre ensemble » peut se construire. Le sens de la solidarité y est plus spontané :
- l’homme politique peut apprendre à découvrir la MPE, les impératifs de sa prospérité et les interférences entre écoles, habitats, fiscalité, apprentissage, embauche…
- de son côté l’entrepreneur doit exercer son influence pour une bonne utilisation de l’argent public, pour des pratiques efficaces concernant l’aménagement territorial, la solidarité locale, les aides financières.
Une telle coopération fonctionne dans certains secteurs géographiques, elle peut se généraliser si, de part et d’autre, on est convaincu de son importance.
Pour valoriser les atouts potentiels des MPE
Ce potentiel est déjà une réalité pour un certain nombre d’entreprises tout à fait à la hauteur de leur vocation. Mais il faut reconnaître que la majorité des MPE ont besoin d’être soutenues sur deux points majeurs :
– la reconnaissance par leur environnement de leur importance et de leur spécificité,
– la capacité de leurs dirigeants à élargir leur champ de vision. C’est sur chacun de ces points que des initiatives nouvelles doivent être prises.
Figure emblématique du Valais suisse où est né le Forum international des PME. |
1) La reconnaissance des MPE
Que ce soit dans leurs relations avec les médias, avec les administrations ou avec les grandes entreprises donneurs d’ordre, les MPE ont longtemps été traitées en minoritaires. Les réglementations économiques, fiscales, sociales, tiennent encore très peu compte de leur mode de fonctionnement ; les écoles de management diffusent un enseignement et une culture très orientés vers les grandes organisations ; et la grande presse donne à croire aux jeunes gens qu’ils n’ont d’avenir professionnel que dans les entreprises « mammouth ».
Pour redresser cette erreur d’optique, des syndicats et associations dédiés aux PME se sont constitués (en France citons la CGPME et l’ETHIC) et ont fait avancer la reconnaissance de leur poids économique.
L’audience de ces organisations, et des entreprises qui les mandatent, doit en permanence être relancée, sans verser dans la banale revendication catégorielle.
À cet effet, il est apparu en 1994–1995 que la meilleure relance consistait à additionner les messages en provenance des divers pays d’Europe et à montrer ainsi l’universalité des valeurs qu’apportent les MPE dans le monde actuel.
Un projet a donc été élaboré avec la participation de l’ETHIC en France, de la Fondation Château Mercier en Suisse (Valais) et d’associations d’entreprises pour la province de Lecco (Italie).
Il en est sorti le 1er janvier 1996 le Forum international pour la moyenne et petite entreprise (FIMPE), qui a immédiatement établi une liaison avec la Chambre de commerce du Bade-Wurtemberg pour préparer une participation allemande. Le FIMPE a adopté le statut d’une fondation à laquelle participent l’État du Valais et plusieurs collectivités locales, françaises et suisses.
La finalité de cette fondation est de valoriser les MPE, et de mettre en lumière leurs conditions de développement. Elle donne une place privilégiée :
- à la réflexion scientifique sur la conduite spécifique des divers modèles de MPE,
- au dialogue entre hommes politiques et créateurs de richesse,
- au redressement des dérives de la pensée économique qui portent tort à la petite entreprise,
- aux échanges d’expériences internationaux impliquant les politiques et les entrepreneurs,
- et au total à la construction de l’Europe des entrepreneurs.
La première manifestation du Forum, prévue à l’automne 1997, est un congrès à Crans-Montana (Valais suisse), réunissant des chefs d’entreprise européens, des associations d’entreprises et des dirigeants politiques.
2) L’élévation des compétences des chefs d’entreprise
L’ASSOCIATION POUR LE PROGRES DU MANAGEMENTL’Association pour le progrès du management (A.P.M.) a été lancée il y a dix ans par le CNPF pour susciter, à partir des chefs d’entreprise les plus dynamiques, un rajeunissement des méthodes de direction des moyennes et petites entreprises françaises (50 à 1 000 salariés). Elle compte aujourd’hui, à travers la France, 130 clubs de chefs d’entreprise (une vingtaine par club), chaque club étant un lieu d’échange où chacun apporte ses problèmes très concrets de management. Le club se constitue par cooptation entre entreprises d’activités très variées, non concurrentes. Les membres du club sont dans leur entreprise numéro 1 ou 1 bis et s’engagent avec une cotisation annuelle de 20 000 F (1996) sur un calendrier de 10 journées de travail en équipe au cours de l’année. Ces rencontres obéissent à quelques règles communes :
En outre, chaque club est sous la garde d’un président, coopté par ses pairs, qui en assure la bonne évolution et garantit la fidélité à l’éthique commune de l’Association. Les clubs constituent un réseau dans lequel ils diffusent leurs acquis, sans contrainte ni hiérarchie. Le Secrétariat national fournit la documentation et les outils audiovisuels souhaités par chaque club. L’APM se développe au rythme de 10 à 15 clubs nouveaux par an. Son objectif en France est de toucher un bon tiers des entreprises qui emploient 50 à 1 000 salariés (soit 500 clubs). En outre, elle fait école en Europe et à travers la Fédération internationale des APM. Plusieurs clubs ont été lancés en Belgique, Italie, Grande-Bretagne. Meilleur indice d’utilité : l’assiduité des participants aux rencontres mensuelles et la pérennité des clubs lancés depuis 1986. G.L. |
Les patrons des MPE françaises ont, malgré leur environnement défavorable, une ténacité remarquable et une belle capacité de rebondissement. Mais, sauf exception, leurs entreprises plafonnent vite et la moitié d’entre eux n’ont pas d’ambition de croissance. Cela provient pour une large part du niveau relativement bas de leur formation de base et des faibles possibilités de perfectionnement personnel qui leur sont offertes.
Tout en reconnaissant qu’ils auraient beaucoup à apprendre dans le domaine « managerial », ils fréquentent peu les sessions de formation continue parce que celles-ci répondent mal à leurs attentes, tant par leur contenu que par leurs horaires et par l’hétérogénéité de leurs participants. Depuis une dizaine d’années sont heureusement apparus de nouveaux modes de perfectionnement, à base d’échanges d’expériences entre confrères, qui ont un meilleur impact.
Les groupes d’échanges de l’APM (Association pour le progrès du management) et du CJD (Centre des jeunes dirigeants) sont les plus connus.
Mais au total, moins de 10 % des chefs d’entreprise ouverts à la formation sont touchés. Le mouvement doit donc être accéléré et le Forum MPE se doit bien évidemment d’y contribuer.
D’où le projet d’un Institut européen pour les dirigeants de MPE, qui apportera aux groupes d’échanges existants des possibilités d’élargissement aux expériences étrangères, et proposera aux chefs d’entreprise des ouvertures complémentaires sur les problèmes communs à toutes les entreprises européennes (notamment ceux que nous avons évoqués dans la première partie de cet article).
La forme et le contenu précis des apports de cet Institut découleront des enquêtes et des réflexions qui seront organisées dans les prochains mois avec les entreprises et les associations adhérant au Forum.
Pour des raisons pratiques, il est d’ores et déjà prévu de faire appel, pour les deux tiers des thèmes de perfectionnement, aux techniques de l’enseignement à distance, et pour un tiers à des rencontres entre chefs d’entreprise. Cette formule utilisera l’aptitude des entrepreneurs à se prendre en charge eux-mêmes et à progresser en auto-apprentissage sans pour autant être isolés.
Pour l’Europe des entrepreneurs
Beaucoup de bonnes initiatives ont été prises en France, depuis une vingtaine d’années, pour valoriser les MPE et pour susciter des entrepreneurs dotés des moyens de formation nécessaires.
Des actions analogues ont été lancées dans d’autres pays d’Europe, et malgré la diversité des situations, il apparaît que l’addition de toutes ces initiatives est possible. Les messages qui en résulteront gagneront en richesse de contenu et en force de percussion.
Les valeurs que propulsent les MPE – esprit d’entreprise, indépendance, solidarité d’équipe – reprendront progressivement la place qu’elles méritent. L’édification d’un Forum des MPE européennes, doublé d’un Institut de promotion et de formation, arrive au bon moment pour réaliser cette mise en commun des valeurs et des savoir-faire des MPE, et pour préparer ainsi une Europe dont on ne parle pas assez : celle des entrepreneurs.
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(1) Cette expression se trouve en français dans plusieurs textes américains et allemands.
(2) Particulièrement en France, si l’on en croit H. TADDEI dans Made in France.