Une longue tradition de contribution des polytechniciens
En 1994, à l’occasion du Bicentenaire de l’École polytechnique, une exposition et un catalogue intitulés Le Paris des polytechniciens sont venus rappeler la contribution essentielle des polytechniciens à la modernisation de la Capitale. Celle-ci ne doit pas faire oublier toutefois cet autre versant de l’activité polytechnicienne que constitue l’organisation du territoire qui s’étend aux portes de Paris, territoire longtemps qualifié de banlieue, puis de région à partir des années 1930.
REPÈRES
Depuis le XIXe siècle, les polytechniciens ont été étroitement associés à l’aménagement de Paris. Ils ont tracé et équipé ses rues, construit son système de distribution des eaux et d’assainissement, conçu son métro, participé à la création de ses parcs et jardins.
Les noms de Jean-Charles Alphand (1817−1891), le principal collaborateur d’Haussmann, Eugène Belgrand (1810−1878), l’homme des eaux et des égouts, ou Fulgence Bienvenüe (1852−1936) témoignent, parmi bien d’autres, d’un investissement qui s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui.
Défense et fortification
Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, une conception de Paul Andreu (58).
En remontant au XIXe siècle afin d’évoquer la préhistoire de la région parisienne et du « Grand Paris », on tombe sur des épisodes souvent négligés qui n’en ont pas moins joué un rôle essentiel dans la genèse d’une pensée globale de la région capitale. Il convient par exemple de se rappeler l’importance que revêtent les questions de défense et les problèmes de fortification.
Réalisée au début des années 1840 par des ingénieurs du Génie passés pour la plupart par l’École polytechnique, l’enceinte de Thiers est initialement située en banlieue. Ce n’est qu’avec l’extension de 1860 qu’elle devient la limite officielle de Paris. Tout au long du XIXe siècle, les ingénieurs du Génie vont construire des forts de plus en plus éloignés de la ville afin de s’adapter aux progrès de l’artillerie.
Les réalisations du Génie ont contribué à une approche régionale de l’aménagement parisien
Une dernière ceinture s’inspirant des principes élaborés par le général polytechnicien Raymond Adolphe Séré de Rivières (1815- 1895) verra le jour dans les années 1870–1880. Les forts de Palaiseau ou de Sucy-en-Brie font partie de cette génération d’ouvrages. Au même titre que les routes nationales et départementales construites par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, les réalisations du Génie contribuent à l’émergence d’une approche régionale de l’aménagement parisien.
Service de l’eau potable
Concernant le service de l’eau potable, le réseau à vocation régionale de l’actuel Sedif s’appuie sur l’ossature réalisée par les ingénieurs, en bonne part polytechniciens, de la Compagnie générale des eaux (actuelle Veolia) pour alimenter ces forts, depuis les mêmes lieux de pompage (Choisy-le-Roi, Noisy-le-Grand).
Production et distribution d’électricité
Le mouvement qui porte les polytechniciens à sortir du Paris intra-muros pour envisager les problèmes à une échelle qu’on qualifierait aujourd’hui de régionale s’accélère à la charnière des XIXe et XXe siècles avec la croissance de la banlieue. Là encore, les infrastructures auxquelles on pense spontanément, les routes et les chemins de fer, ne doivent pas faire oublier d’autres réalisations tout aussi essentielles.
La référence régionale
L’échelle régionale devient la référence principale des polytechniciens oeuvrant à la modernisation et à la croissance parisienne sous les trente glorieuses. Parmi leurs multiples contributions, retenons ici leur rôle clef dans les politiques d’aménagement, de la réalisation du quartier de La Défense à celle des villes nouvelles.
Une création comme Cergy-Pontoise doit, par exemple, énormément à la ténacité d’un Bernard Hirsch (1927−1988) qui y consacre dix ans de sa vie, le temps de voir une véritable ville surgir autour d’une boucle de l’Oise qui avait échappé jusqu’alors à l’urbanisation.
Les polytechniciens sont également présents dans les grandes mutations que connaît au même moment le système des transports de la région parisienne, avec des épisodes clefs comme le lancement du Réseau express régional.
L’actuelle région parisienne doit par exemple beaucoup à l’œuvre d’Ernest Mercier (1878−1955), admis à l’École polytechnique en 1897, qui jette les bases de son architecture énergétique en rationalisant la production et la distribution d’électricité. Il conçoit notamment l’usine de Gennevilliers qui sera pendant quelques années la plus grande centrale électrique au monde.
Aéroports
À partir de l’entre-deux-guerres, le changement de focale passe également par de nouvelles infrastructures comme les aéroports.
Du Bourget à Orly, les plateformes parisiennes vont progressivement passer aux mains des polytechniciens. Le mouvement va s’intensifier au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Les noms d’Henri Vicariot (1910−1986), concepteur de l’aérogare d’Orly Sud, et surtout Paul Andreu, né en 1938, auquel on doit l’essentiel des installations de Roissy, illustrent la contribution polytechnicienne à un mode de transport qui ne se conçoit qu’à l’échelle régionale.
Les limites du progrès
Aux différentes étapes de son développement, la région capitale a bénéficié de l’apport des polytechniciens. À la tête respectivement de l’Établissement public de Paris-Saclay et de l’Atelier international du Grand Paris, Pierre Veltz et Bertrand Lemoine apparaissent comme les héritiers d’une longue tradition d’intervention à l’échelle régionale.
De nouveaux défis attendent les anciens élèves de l’École polytechnique
Il reste que les temps ont changé et que de nouveaux défis attendent les anciens élèves de l’École polytechnique. Qu’ils soient au service de l’État ou dans le secteur privé, ceux-ci se sont généralement pensés comme les serviteurs d’un progrès qui devait se traduire par toujours plus d’infrastructures et d’équipements.
Rien ne devait s’opposer à la marche en avant du pays et de sa région capitale. Force est de constater que la question s’est énormément compliquée avec la montée en puissance des enjeux environnementaux et de la thématique du développement durable. Sans renoncer à l’idéal de progrès, il convient à présent de s’interroger sur les limites qu’il convient de lui apporter.
La réalisation du Grand Paris n’est pas seulement une affaire d’échelle et d’efficacité des investissements. Elle soulève également des problèmes de qualité de vie.