Une nouvelle approche de la traduction
Qui sait que Reverso (créée en 1986 sous le nom Softissimo) a été fondée et est toujours dirigée par un de nos camarades ? Il réussit à damer le pion à Google, à conquérir le monde professionnel et à lancer des applications.
Tu crées Softissimo (qui se transforme ensuite en Reverso) quinze ans après l’X. Pourquoi un tel délai entre ta sortie et ton projet de créateur d’entreprise ?
Mon parcours n’est pas aussi simple que cela. J’ai d’abord créé une entreprise de services, juste après l’X, puis j’ai collaboré à deux entreprises travaillant dans le secteur des nouvelles technologies (Lotus et Econocom).
“ Il faudrait donner avant tout le goût des langues ”
Mais, malgré mon ambition et un bon cocktail de compétences générales, je rêvais de me frotter à la stratégie d’entreprise, à la gestion des ressources humaines, bref de relever de nouveaux défis.
Ce n’est que quinze ans après l’X que j’ai découvert la formule nécessaire pour établir un leader d’une industrie, le spécialiste de logiciels et de technologies linguistiques puis une entreprise leader du Web et du mobile.
Pourquoi t’es-tu lancé dans la traduction ?
La traduction est un problème d’ordre très général. Il concerne des populations d’utilisateurs aussi variées que le grand public, les entreprises, les services de renseignement. Le but recherché est compréhensible par tous, mais les méthodes pour y arriver sont très complexes.
C’est très motivant de pouvoir utiliser des compétences variées et d’en faire un business qui concerne une cible très vaste et qui évolue avec les technologies (logiciel, Internet, mobile).
Entre aujourd’hui et les débuts de Reverso, beaucoup de choses ont changé de ce point de vue, et il faut sans cesse s’adapter.
À quoi ressemble ton utilisateur type ?
Il n’en existe pas, en réalité. Cela peut tout aussi bien être un collégien ou une étudiante, un employé ou un cadre dans une entreprise relevant de différents types de métiers et différents secteurs, un retraité, un officier de renseignement, un traducteur. La diversité des profils est étonnante.
Tout comme les besoins opérationnels, qui vont de la traduction de documents professionnels à l’apprentissage du vocabulaire.
Quel regard portes-tu sur l’enseignement des langues en France ?
L’enseignement des langues, en France, manque d’exigence et de méthode : il faudrait donner avant tout le goût des langues, par la visualisation de médias, la lecture, la navigation sur Internet en langues étrangères, par exemple, et être beaucoup plus exigeant sur la formation des professeurs, leur maintien à niveau par rapport à l’évolution de la langue, de la société et des technologies.
Comparativement à certains pays européens, nous sommes vraiment très en retard.
Cela se passe-t-il vraiment mieux ailleurs ?
En fait, c’est encore pire aux États-Unis ou en Angleterre, car le besoin n’est pas aussi important que dans les pays non anglophones. Dans les pays anglophones, parler plusieurs langues relève du luxe ou d’une mode ; on brille en société si on parle français, on se sent proche de ses voisins quand on parle espagnol. Mais l’anglais suffit la plupart du temps.
Dans les pays du nord de l’Europe, c’est évidemment beaucoup mieux, car la motivation est encore plus forte. On a clairement moins de débouchés si on ne parle que suédois ou norvégien, et les films ou la télévision sont en version originale sous-titrée dans ces pays.
L’excellence linguistique s’acquiert au plus jeune âge.
Quelles sont les recettes pour réussir face à Google ?
Il n’y a pas plusieurs solutions. Il faut anticiper, innover, esquiver, se faire des alliés et se battre sur tous les terrains, sans baisser les bras.
“ Anticiper, innover, esquiver, se faire des alliés et se battre sur tous les terrains ”
Contrairement à sa devise, Google n’applique vraiment pas le Don’t be evil (Ne pas faire le mal) et profite de sa position dominante sur le moteur de recherche pour l’étendre partout où il peut : traduction, mais aussi vidéo, publicité, logiciels d’entreprise, mobiles, etc.
On peut parfaitement tirer son épingle du jeu, mais ce n’est pas facile et il vaut mieux éviter la concurrence frontale.
Un autre de nos points forts est la capacité de personnaliser les solutions pour les entreprises, en utilisant leurs documents traduits, leurs glossaires et en s’intégrant dans leur périmètre informatique sécurisé.
Où aimerais-tu voir Reverso dans dix ans ?
Idéalement, je voudrais accentuer notre position dominante dans le domaine très vaste des outils linguistiques, qui couvre de nombreux sous-domaines : traduction, apprentissage, correction, compréhension, réponses automatiques, assistants personnels, etc.
Les applications sont en réalité très nombreuses.
Et, d’un point de vue entrepreneurial, tout en restant indépendant ou adossé à un groupe plus puissant.
Qu’est-ce qui a changé dans le secteur des technologies entre tes débuts et aujourd’hui ?
REVERSO CONTEXT ADOPTÉ PAR QUATRE MILLIONS D’INTERNAUTES
Nous avons créé des concepts innovants comme Reverso Context, le meilleur moyen de traduire des mots et des expressions.
L’outil combine d’énormes bases de données de documents bilingues (big data) couvrant la langue parlée, les documents officiels, des algorithmes puissants et une interface agréable, pour fournir dans une vue synthétique les principales traductions et des exemples variés pour des millions de mots et d’expressions.
Reverso Context est à la fois un outil de référence, de productivité et d’éducation. Reverso Context est gratuit, son évaluation est de 4.5 sur les App Store et il a conquis plus de quatre millions d’utilisateurs en un an.
À la fois tout a changé et rien n’a changé. La technologie est aujourd’hui partout, alors qu’elle était très confidentielle à mes débuts.
Autrefois, lorsqu’on entendait le mot “ logiciel ” dans une conversation, on tendait l’oreille, c’était chose rare, réservée à certains milieux. Aujourd’hui, nos enfants ne comprennent pas comment on pouvait vivre sans Internet (partout et toujours), sans smartphone.
Ce qui n’a pas changé, c’est qu’il faut toujours concevoir des produits utiles, simples à utiliser, fiables, qui tirent au mieux parti des technologies disponibles.
Et ce savoir-faire est loin d’être aussi répandu qu’on pourrait le penser.
L’open source est-il l’avenir du secteur du logiciel ?
C’est un vaste débat. L’open source ne peut pas être la seule option pour le logiciel. L’open source est très utile en soi, on l’utilise fréquemment et on y contribue, mais il ne peut pas être le seul mode de fonctionnement, car on a tous envie qu’une de nos créations nous rapporte sur la durée et pas seulement par l’activité de service associée.
Pour développer le digital en France et ailleurs, il faut des entreprises, du business, des personnes responsables qui gagnent leur vie si ça marche, et pas seulement la promesse que cela continuera à nous donner du travail.
Qu’est-ce que l’X t’a apporté pour ton parcours d’entrepreneur ?
Très sincèrement, je ne sais pas si c’est l’X ou le reste de mon environnement qui m’a le plus aidé à me lancer. Mais en tout cas, j’y ai acquis une très grande curiosité intellectuelle, l’envie de résoudre des problèmes difficiles, l’opiniâtreté, le sens du réseau et de la camaraderie, la recherche de l’excellence.
J’aime notre devise Pour la patrie, les sciences et la gloire. En ajoutant peut-être à la patrie l’humanité.