Rafale

Une nouvelle politique d’armement

Dossier : La DéfenseMagazine N°529 Novembre 1997
Par Jean-Yves HELMER (65)

La France est enga­gée dans un vaste mou­ve­ment de réforme de son dis­po­si­tif de défense. Les trans­for­ma­tions en cours, avec notam­ment celle qui touche la délé­ga­tion géné­rale pour l’ar­me­ment, veulent appor­ter des réponses aux nou­veaux défis aux­quels la sécu­ri­té de notre pays est confron­tée. Ces défis sont d’ordre stra­té­gique, dans un contexte géo­po­li­tique fon­da­men­ta­le­ment trans­for­mé et mar­qué par des menaces nou­velles, incer­taines et variées. Ils sont aus­si d’ordre éco­no­mique, car les États, confron­tés à des dif­fi­cul­tés bud­gé­taires crois­santes, veulent tirer ce que l’on a appe­lé « les divi­dendes de la paix » en rédui­sant les bud­gets militaires.

Les défis stratégiques

Un poten­tiel mili­taire nucléaire for­mi­dable est issu des arse­naux de la guerre froide. En 2003, dans le cadre des accords Start 2, il devrait res­ter entre 3 000 et 3 500 têtes nucléaires stra­té­giques du côté amé­ri­cain comme du côté russe, sans oublier les armes tac­tiques (mis­siles, roquettes, bombes, obus d’ar­tille­rie, tor­pilles sous-marines) dont le deve­nir n’est régi par aucun accord inter­na­tio­nal juri­di­que­ment contrai­gnant. La per­sis­tance d’un tel ensemble d’ar­me­ments entre­tient, à elle seule, le risque nucléaire. Par ailleurs, il existe dans le monde de nom­breux foyers de vio­lences et de confron­ta­tions armées. Des haines locales trouvent leur sub­stance dans les contes­ta­tions de fron­tières, dans les riva­li­tés eth­niques ou reli­gieuses, ain­si que dans les ambi­tions de supé­rio­ri­té voire de conquête régio­nale. Celles qui avaient été conte­nues par la riva­li­té Est-Ouest ont pu, depuis 1989, s’ex­pri­mer plus ouver­te­ment et, dans cer­tains cas, ont dégé­né­ré en conflits armés. Le pre­mier en date fut celui du Golfe. Plus près de nous, il y eut celui de l’ex-Yougoslavie.

La pro­li­fé­ra­tion consti­tue un autre risque majeur. Actuel­le­ment, et à l’ex­cep­tion de cer­tains domaines très spé­ci­fiques, ce ne sont plus les besoins mili­taires qui tirent le pro­grès des tech­no­lo­gies, mais bien les besoins civils. Cette consta­ta­tion est évi­dente dans des domaines aus­si fon­da­men­taux pour la défense que les moyens de télé­com­mu­ni­ca­tions, l’élec­tro­nique, les maté­riels infor­ma­tiques. L’ex­plo­sion de l’offre de tech­no­lo­gies civiles s’ac­com­pagne d’une dif­fu­sion sans pré­cé­dent et presque sans limites, avec comme consé­quence l’ag­gra­va­tion du risque de prolifération.

Le déve­lop­pe­ment d’un mis­sile balis­tique ou d’un drone doté, grâce au GPS, de per­for­mances de grande pré­ci­sion de loca­li­sa­tion ou de navi­ga­tion est à la por­tée de nom­breux États. Cette capa­ci­té, conju­guée à celle de déve­lop­per des armes chi­miques ou bio­lo­giques, voire nucléaires, donne toute la mesure des risques liés à ce phé­no­mène de dif­fu­sion des technologies.

Com­ment répondre à ces nou­veaux défis ? La réponse appor­tée par la France est triple.

Il est d’a­bord impé­ra­tif de conser­ver un dis­po­si­tif de dis­sua­sion nucléaire, seule pro­tec­tion contre toute résur­gence d’une menace, de quelque nature qu’elle soit, contre nos inté­rêts vitaux.

Nous devons ensuite nous doter des moyens de contri­buer à la pré­ven­tion et à la réso­lu­tion des crises. Il s’a­git certes des crises qui pour­raient mettre en cause la sta­bi­li­té et la sécu­ri­té du monde ou por­ter atteinte au droit inter­na­tio­nal. Mais, il s’a­git aus­si, bien sûr, de celles qui pour­raient tou­cher nos res­sor­tis­sants vivant dans des pays de grande insta­bi­li­té ou affec­ter nos inté­rêts éco­no­miques ou politiques.

Deux grandes caté­go­ries de conflits conven­tion­nels peuvent être ima­gi­nées dans le futur. Ce sont d’a­bord les affron­te­ments dont l’en­jeu sera clai­re­ment la neu­tra­li­sa­tion ou la des­truc­tion d’un agres­seur régio­nal. L’exemple type est celui de la guerre du Golfe qui a mon­tré toute l’im­por­tance de la puis­sance de feu, de la mobi­li­té, de la pro­tec­tion. Ce sont ensuite des opé­ra­tions où l’ac­tion mili­taire ne sera pas pré­do­mi­nante ; elles vise­ront par exemple à créer les condi­tions de sta­bi­li­té néces­saires à un règle­ment poli­ti­co-diplo­ma­tique des conflits ou encore à assu­rer les condi­tions de sécu­ri­té requises par une inter­ven­tion huma­ni­taire. Les fac­teurs clés du suc­cès seront la sur­veillance des accès, le qua­drillage du ter­rain, la mani­fes­ta­tion constante d’une force mili­taire mesu­rée. De telles opé­ra­tions, dis­sua­sives par essence, qui veulent pré­ve­nir, gérer ou maî­tri­ser des crises d’in­ten­si­té variable, diver­ge­ront dans cer­tains cas en confron­ta­tions armées.

La troi­sième réponse est celle qui s’at­tache à la pré­ven­tion des risques de pro­li­fé­ra­tion. Le ren­for­ce­ment du régime inter­na­tio­nal de non-pro­li­fé­ra­tion et de maî­trise des arme­ments est indis­pen­sable. L’en­trée en vigueur, le 29 avril der­nier, de la conven­tion d’in­ter­dic­tion des armes chi­miques a consti­tué une étape signi­fi­ca­tive. Mais les contrôles inter­na­tio­naux, même très rigou­reux, ont leurs limites. La France doit se doter des outils de ren­sei­gne­ment et d’in­for­ma­tion qui per­mettent de détec­ter des acti­vi­tés de déve­lop­pe­ment d’armes de des­truc­tion mas­sive, ces outils pou­vant aller des sys­tèmes de satel­lite aux moyens clas­siques de ren­sei­gne­ment. Notre pays doit aus­si avoir, avec ses alliés, les capa­ci­tés de per­sua­sion ou d’ac­tion mon­trant une déter­mi­na­tion à ne pas lais­ser se consti­tuer des armes sus­cep­tibles de repré­sen­ter à terme une menace majeure.

Une telle ana­lyse de risques et de conflits poten­tiels ne doit pour­tant pas faire illu­sion. La réa­li­té est que nous sommes plon­gés dans un monde incer­tain, mar­qué par la diver­si­té. Nous sor­tons d’un monde où la menace était claire, iden­ti­fiée et connue, pour entrer dans un uni­vers de risques et d’incertitudes.

Mal­gré ces carac­té­ris­tiques qui appellent à de grandes flexi­bi­li­té et adap­ta­bi­li­té, il est pos­sible de déga­ger des orien­ta­tions pour gui­der nos choix sur les arme­ments futurs.

Une pre­mière orien­ta­tion s’at­tache au carac­tère inter­al­lié et inter­ar­mées de la plu­part des inter­ven­tions que nos forces auront à mener. L’in­te­ro­pé­ra­bi­li­té ou mieux la com­mu­nau­té d’é­qui­pe­ments, notam­ment entre les Euro­péens, sera un fac­teur fort d’ef­fi­ca­ci­té. Une deuxième orien­ta­tion repose sur l’im­por­tance fon­da­men­tale du sys­tème de ren­sei­gne­ment et de com­man­de­ment. La supré­ma­tie se joue­ra dans la capa­ci­té d’ap­pré­cier les situa­tions, d’an­ti­ci­per les évé­ne­ments et de prendre, au bon moment, les bonnes ini­tia­tives. Les moyens d’aide à la déci­sion pren­dront une impor­tance capi­tale, dans des situa­tions où, de plus en plus, le temps sera comp­té et où il fau­dra déci­der vite. Cette supré­ma­tie dans l’in­for­ma­tion et le trai­te­ment de l’in­for­ma­tion doit se mani­fes­ter au niveau stra­té­gique, aus­si bien pour pré­ve­nir un conflit que pour lut­ter contre la pro­li­fé­ra­tion, mais éga­le­ment au niveau tac­tique : il s’a­git, là aus­si, de main­te­nir l’as­cen­dant sur l’ad­ver­saire dési­gné, de manœu­vrer plus vite que lui.

Tout État qui se veut sou­ve­rain doit conser­ver les moyens de pou­voir por­ter sa propre appré­cia­tion des situa­tions ; il n’en sera éga­le­ment que mieux armé pour gagner cette forme par­ti­cu­lière de guerre, mais qui prend tou­jours plus d’im­por­tance et qu’on appelle la guerre de l’information.

Une troi­sième orien­ta­tion porte sur la capa­ci­té de pro­jec­tion et de déploie­ment des forces. Celles-ci devront inter­ve­nir dans des délais tels qu’ef­fec­ti­ve­ment leur pré­sence dis­sua­sive per­met­tra d’é­touf­fer le conflit dans l’œuf ou, à défaut, de rame­ner le calme et de rendre pos­sibles les actions huma­ni­taires. L’en­jeu sera de limi­ter les pertes humaines et d’é­vi­ter le risque d’un enga­ge­ment mili­taire prolongé.

Une qua­trième orien­ta­tion est rela­tive à la capa­ci­té de neu­tra­li­sa­tion. Les actions cor­res­pon­dantes relè­ve­ront de la guerre élec­tro­nique ou de la pro­jec­tion de puis­sance en pro­fon­deur ; la mise en œuvre de raids ou de mis­siles de croi­sière tirés à dis­tance de sécu­ri­té avec une très grande pré­ci­sion contri­bue­ra à signi­fier la déter­mi­na­tion poli­tique vis-à-vis de tel ou tel per­tur­ba­teur et à don­ner ain­si un coup d’ar­rêt au déve­lop­pe­ment d’un conflit poten­tiel. Ce seront aus­si des actions sur le ter­rain, adap­tées au type de conflit, au théâtre d’o­pé­ra­tions, à des menaces aus­si diverses que le mis­sile balis­tique ou le sni­per, où il fau­dra gra­duer la riposte, limi­ter les effets col­la­té­raux, épar­gner le maxi­mum de vies humaines.

Une cin­quième orien­ta­tion est le néces­saire déve­lop­pe­ment des moyens de simu­la­tion, comme outils de déve­lop­pe­ment ou comme moyens d’a­na­lyse des conflits poten­tiels et d’en­traî­ne­ment des forces.

En quoi la réor­ga­ni­sa­tion de la DGA aide­ra-t-elle à mieux rele­ver ces défis stratégiques ?

L’un des volets fon­da­men­taux de la réor­ga­ni­sa­tion de la DGA a consis­té à déve­lop­per, au sein même de la délé­ga­tion, une capa­ci­té de réflexion pros­pec­tive sur nos armes futures.

Cette réflexion est étayée par une approche sys­tème, inter­ar­mées, au plus près de l’u­ti­li­sa­tion opé­ra­tion­nelle : elle se réfère aux sys­tèmes de forces. Un sys­tème de forces est consti­tué par l’en­semble des sys­tèmes d’armes concou­rant à la satis­fac­tion d’une même grande fonc­tion opé­ra­tion­nelle. La dis­sua­sion nucléaire, la pro­jec­tion de forces, la frappe en pro­fon­deur ou tout ce qui s’at­tache à l’in­for­ma­tion, au ren­sei­gne­ment et au com­man­de­ment consti­tuent des sys­tèmes de forces.

Rafale
© SIRPA/ECPA

Une fonc­tion nou­velle a été créée à la DGA : celle d’ar­chi­tectes de sys­tèmes de forces. Les archi­tectes de sys­tèmes de forces sont au nombre de huit. Une orga­ni­sa­tion ana­logue a été mise en place à l’é­tat-major des armées avec la nomi­na­tion de huit offi­ciers de concept opérationnel.

Ces archi­tectes vont élar­gir le champ des ana­lyses qui fondent nos déci­sions sur les armes futures, avec l’é­la­bo­ra­tion d’un plan pros­pec­tif à trente ans. Cet hori­zon est celui de la durée de vie des grands pro­grammes d’ar­me­ment (sous-marin nucléaire lan­ceur d’en­gins, avion de com­bat, char, etc.) depuis la concep­tion jus­qu’au retrait de ser­vice. Une pro­jec­tion à une telle échelle de temps per­met d’a­bor­der dans les meilleures condi­tions la ques­tion du renou­vel­le­ment des maté­riels et du main­tien des com­pé­tences et savoir-faire indus­triels. Elle per­met aus­si d’en­vi­sa­ger les évo­lu­tions tech­no­lo­giques, celles qui peuvent don­ner nais­sance à des armes nou­velles aux­quelles il fau­dra faire face, celles qui peuvent faire appa­raître des défenses et des dis­po­si­tifs affec­tant l’ef­fi­ca­ci­té de nos arme­ments, celles qui, au contraire, peuvent nous appor­ter une supé­rio­ri­té dans la pré­ven­tion ou l’ac­tion. Le plan pros­pec­tif aborde prin­ci­pa­le­ment les aspects liés aux menaces iden­ti­fiées ou nou­velles, aux capa­ci­tés opé­ra­tion­nelles à acqué­rir et aux équi­pe­ments, c’est-à-dire à la tech­no­lo­gie qui les déter­mine et aux outils indus­triels qui les réalisent.

Notre effort de recherche sera réorien­té. Le plan pros­pec­tif est l’ins­tru­ment prin­ci­pal d’o­rien­ta­tion des études amont. Celles-ci seront lan­cées de manière plus sélec­tive, tirée par les besoins, selon une approche réso­lu­ment top down, en concen­trant les moyens sur les enjeux prio­ri­taires. Les études seront, chaque fois que pos­sible, regrou­pées en pro­jets fédé­ra­teurs de recherche, dont chaque action inté­grée cor­res­pon­dra à un objec­tif tech­nique et éco­no­mique. L’or­ga­ni­sa­tion de ces pro­jets devra pri­vi­lé­gier l’ac­qui­si­tion des savoir-faire par les entre­prises. Alors que les contraintes bud­gé­taires se réper­cutent sur les cré­dits de recherche et qu’elles obligent à une sélec­ti­vi­té tou­jours plus grande, c’est le sou­ci de l’ef­fi­ca­ci­té qui doit prévaloir.

Le lan­ce­ment des nou­veaux pro­grammes est désor­mais orga­ni­sé par réfé­rence aux sys­tèmes de forces. Les archi­tectes de sys­tèmes de forces sont char­gés de pré­pa­rer les déci­sions sur les nou­veaux pro­grammes d’ar­me­ment. Ils sont éga­le­ment char­gés d’as­su­rer la cohé­rence tech­nique, finan­cière et calen­daire des pro­grammes exis­tant au sein de cha­cun des sys­tèmes de forces.

Les défis économiques

De fortes contraintes pèsent sur nos bud­gets d’é­qui­pe­ment de défense. Elles sont bien connues.

Porte-avions Charles de Gaulle
Porte-avions Charles de Gaulle
© SIRPA/ECPA

L’in­dis­pen­sable maî­trise des dépenses publiques a induit une réduc­tion forte et durable de nos bud­gets de défense. Cette réduc­tion est inter­ve­nue alors qu’aug­men­taient les besoins finan­ciers de très nom­breux pro­grammes de renou­vel­le­ment de nos équi­pe­ments de défense. Ce sont les pro­grammes qui ont été lan­cés dans la période 1985–1990 (porte-avions Charles de Gaulle, sous-marin nucléaire lan­ceur d’en­gins de nou­velle géné­ra­tion, char Leclerc, héli­co­ptère Tigre, avion Rafale, mis­siles futurs, sys­tèmes de com­man­de­ment, etc.) et qui, pour la plu­part, entrent actuel­le­ment en phase de production.

Le défi éco­no­mique qui se pré­sente au minis­tère de la Défense consiste clai­re­ment à mener de front la moder­ni­sa­tion de nos équi­pe­ments de défense et la pro­fes­sion­na­li­sa­tion des armées. Il rend plus impé­ra­tive que jamais la néces­si­té de réduire le coût de nos pro­grammes d’ar­me­ment et d’a­voir des objec­tifs très ambi­tieux dans ce domaine.

Il nous faut aus­si assu­rer l’a­ve­nir de notre indus­trie d’ar­me­ment. Celle-ci est une indus­trie forte, la pre­mière d’Eu­rope. Par­tie inté­grante de notre dis­po­si­tif de défense, elle a été dimen­sion­née en consé­quence ; elle est née du for­mi­dable effort tech­no­lo­gique décré­té au début des années 60 pour assu­rer l’in­dé­pen­dance du pays.

Notre indus­trie d’ar­me­ment a, bien évi­dem­ment, été direc­te­ment affec­tée par la réduc­tion des bud­gets natio­naux d’é­qui­pe­ment de nos armées. Elle a aus­si été tou­chée à l’ex­por­ta­tion par l’of­fen­sive com­mer­ciale et poli­tique des États-Unis qui ont dou­blé leur part, entre 1990 et 1996, sur un mar­ché mon­dial réduit de moi­tié dans la même période.

Elle doit se redi­men­sion­ner. Le mou­ve­ment cor­res­pon­dant a été lar­ge­ment enga­gé, puisque près de 100 000 emplois ont été sup­pri­més en dix ans. Elle doit aus­si se restruc­tu­rer et elle doit le faire dans un cadre européen.

Là encore, en quoi la réor­ga­ni­sa­tion de la DGA aide­ra-t-elle à mieux rele­ver ces défis économiques ?

La DGA veut jouer un rôle moteur dans la construc­tion de l’Eu­rope de l’armement.

Porte-avions Charles de Gaulle
Récu­pé­ra­tion d’un drone
© SIRPA/ECPA

Ce grand chan­tier consti­tue une prio­ri­té poli­tique pour notre pays. Il répond à des besoins opé­ra­tion­nels liés à la néces­saire inter­opé­ra­bi­li­té des équi­pe­ments. Il répond aus­si à des inté­rêts éco­no­miques, puisque la coopé­ra­tion per­met théo­ri­que­ment de par­ta­ger les coûts de déve­lop­pe­ment et d’in­dus­tria­li­sa­tion, ain­si qu’à des néces­si­tés indus­trielles : des entre­prises trans­na­tio­nales, béné­fi­ciant de pro­grammes com­muns à plu­sieurs pays euro­péens, peuvent ain­si dis­po­ser d’un mar­ché inté­rieur suf­fi­sant pour asseoir leur compétitivité.

C’est bien en agis­sant à la fois sur la demande et sur l’offre que la coopé­ra­tion euro­péenne pour­ra don­ner, en pra­tique, tous les effets escomp­tés. La ratio­na­li­sa­tion de la demande passe par une expres­sion com­mune de besoins par les états-majors et par une amé­lio­ra­tion de l’ef­fi­ca­ci­té de la conduite des pro­grammes en coopé­ra­tion. Une conduite inté­grée de ces pro­grammes est pré­ci­sé­ment l’un des objec­tifs prin­ci­paux de l’OC­CAR, l’or­ga­nisme conjoint pour la coopé­ra­tion en matière d’ar­me­ment, créé en novembre 1996 par la France, l’Al­le­magne, l’I­ta­lie et le Royaume-Uni. La ratio­na­li­sa­tion de l’offre implique, quant à elle, la consti­tu­tion d’en­tre­prises trans­na­tio­nales éga­le­ment véri­ta­ble­ment inté­grées. Pour la France, cette restruc­tu­ra­tion passe, dans cer­tains sec­teurs, d’a­bord par une étape natio­nale, à l’ins­tar de ce qu’ont fait le Royaume-Uni, avec BAe et GEC, et l’Al­le­magne avec DASA.

Le pro­ces­sus de conduite des pro­grammes d’ar­me­ment a été réso­lu­ment orien­té vers la réduc­tion des coûts et des délais. Ce pro­ces­sus se carac­té­rise désor­mais par la géné­ra­li­sa­tion de nou­velles méthodes de tra­vail, ins­pi­rées par celles qui ont fait leurs preuves dans l’in­dus­trie pour la conduite de pro­jets com­plexes : la concep­tion à coût objec­tif, l’a­na­lyse fonc­tion­nelle, la spé­ci­fi­ca­tion au juste néces­saire, le tra­vail en équipe inté­grée (DGA/é­tats-majors/in­dus­trie) pluridisciplinaire.

Il devient éga­le­ment néces­saire de recou­rir de manière plus volon­ta­riste à des normes ou équi­pe­ments civils. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour les télé­com­mu­ni­ca­tions et l’es­pace. Ne pas le faire revien­drait à se pri­ver des avan­tages, tech­no­lo­giques et éco­no­miques des sys­tèmes civils ; certes, il res­te­ra des sys­tèmes spa­tiaux spé­ci­fi­que­ment mili­taires de télé­com­mu­ni­ca­tions et d’ob­ser­va­tion de la Terre, mais leur effi­ca­ci­té pour­ra être consi­dé­ra­ble­ment ren­for­cée par la recherche d’une com­plé­men­ta­ri­té avec les sys­tèmes commerciaux.

Une nou­velle poli­tique d’ac­qui­si­tion, don­nant toute l’ef­fi­ca­ci­té néces­saire, a été mise en place. Elle se fonde sur une exi­gence de com­pé­ti­ti­vi­té for­mu­lée auprès de l’in­dus­trie à un niveau iden­tique à celui des autres sec­teurs indus­triels com­pa­rables. Elle pri­vi­lé­gie la mise en concur­rence, fac­teur d’é­mu­la­tion et de pro­grès. Elle se tra­duit aus­si par l’é­ta­blis­se­ment d’un nou­veau par­te­na­riat avec les entre­prises. Des com­mandes plu­ri­an­nuelles glo­bales veulent don­ner aux entre­prises la visi­bi­li­té de plan de charge et la garan­tie d’en­chaî­ne­ment des tra­vaux qui leur per­mettent de s’or­ga­ni­ser, en contre­par­tie d’une baisse sub­stan­tielle des prix. L’al­lé­ge­ment des contraintes tech­niques et admi­nis­tra­tives et l’op­ti­mi­sa­tion des inter­faces entre la DGA et l’in­dus­trie vont dans le même sens.

La réno­va­tion de la conduite des pro­grammes et la nou­velle poli­tique d’ac­qui­si­tion com­mencent à por­ter leurs fruits. Avec la mise sous contrôle de ges­tion de tous les pro­grammes d’ar­me­ment, effec­tive dès cette année, des éco­no­mies consi­dé­rables, dépas­sant 27 mil­liards de francs, ont déjà été acquises.

La DGA doit éga­le­ment ren­for­cer le sou­tien de nos entre­prises à l’ex­por­ta­tion. Le suc­cès est indis­pen­sable pour sou­te­nir leur acti­vi­té et bien les posi­tion­ner dans les restruc­tu­ra­tions euro­péennes. Les actions d’ex­por­ta­tion sont désor­mais menées dans le cadre d’un plan stra­té­gique qui com­prend plu­sieurs volets. Le pre­mier est consti­tué par la déter­mi­na­tion des mar­chés prio­ri­taires. Le deuxième est le ren­for­ce­ment de notre orga­ni­sa­tion pour mener des actions offen­sives et beau­coup mieux orga­ni­sées ; ces actions passent par une mobi­li­sa­tion poli­tique, par une démarche de coopé­ra­tion mili­taire et par une orga­ni­sa­tion plus cohé­rente et mieux coor­don­née de la « mai­son France », s’ap­puyant sur la direc­tion des rela­tions inter­na­tio­nales de la DGA. Le troi­sième volet s’at­tache à l’a­mé­lio­ra­tion des mesures de sou­tien finan­cier des entre­prises. Le qua­trième et der­nier volet porte sur la pro­cé­dure de contrôle des expor­ta­tions ; dans le res­pect de nos enga­ge­ments inter­na­tio­naux, l’a­mé­na­ge­ment de cette pro­cé­dure doit don­ner plus de sou­plesse à nos indus­triels dans l’ap­proche des marchés.

La nou­velle orga­ni­sa­tion rete­nue pour la DGA a pour voca­tion de faci­li­ter la mise en œuvre de ces poli­tiques et la pra­tique de ces nou­velles méthodes. La DGA a été fon­da­men­ta­le­ment trans­for­mée et décloi­son­née. Au lieu d’être orga­ni­sée par direc­tions de milieu (terre, mer, air, espace), la nou­velle DGA est orga­ni­sée non seule­ment par acti­vi­tés (conduite des pro­grammes, acti­vi­tés indus­trielles, res­pon­sa­bi­li­tés d’es­sais) mais aus­si par métiers, dont cer­tains sont iden­ti­fiés en tant que tels : achat, contrôle de ges­tion, sou­tien logis­tique, etc. Une sépa­ra­tion très claire a été ins­tau­rée entre les régu­la­teurs, par exemple les ser­vices de pro­grammes, et les opé­ra­teurs : la direc­tion des centres d’ex­per­tise et d’es­sais, la direc­tion des construc­tions navales et le ser­vice de la main­te­nance aéro­nau­tique. Le mode de fonc­tion­ne­ment matri­ciel a été géné­ra­li­sé dans les ser­vices de pro­grammes pour assu­rer la cohé­sion de leurs actions. Le mode de mana­ge­ment rete­nu se fonde sur des méthodes modernes de contrôle de ges­tion et sur une ges­tion des res­sources humaines qui se veut motivante.

La DGA sera d’au­tant plus forte et convain­cante pour faire valoir ses posi­tions sur la réduc­tion des coûts qu’elle aura elle-même don­né l’exemple. Elle rédui­ra ses propres dépenses de fonc­tion­ne­ment d’un tiers d’i­ci 2002.

C’est bien d’une trans­for­ma­tion pro­fonde dont il s’a­git. Elle touche un des grands orga­nismes de l’ad­mi­nis­tra­tion dans son orga­ni­sa­tion, dans ses modes de fonc­tion­ne­ment, dans ses méthodes de travail.

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La réor­ga­ni­sa­tion de la DGA et la réno­va­tion de la poli­tique et du pro­ces­sus d’ac­qui­si­tion ont été réso­lu­ment enga­gées. Elles consti­tuent, avec la pro­fes­sion­na­li­sa­tion et les réduc­tions de for­mat des armées, et la restruc­tu­ra­tion de l’in­dus­trie de défense, les trois piliers de la réforme de notre sys­tème de défense.

Seul, le suc­cès de ces actions per­met­tra, dans des bud­gets réduits, à la fois d’as­su­rer un équi­pe­ment des forces conforme aux besoins de notre défense et de conser­ver une indus­trie d’ar­me­ment com­pé­ti­tive, garante de la sou­ve­rai­ne­té de notre pays.

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