Une piste pour l’emploi : des Projets de Développement mis au concours, avec obligation d’embauche
Les analyses que le groupe X‑Action présentait dans La Jaune et la Rouge de août-septembre 1996 sont empreintes de réalisme. Nous ne croyons plus qu’une solution miracle tirera en un instant notre société de la spirale mortelle où elle est engagée, ni que les aides à l’embauche actuelles permettront, toutes choses égales d’ailleurs, de créer suffisamment d’emplois.
À court terme, il faut tout faire pour éviter l’exclusion – ou la disqualification sociale, comme l’appelle J. Werquin. À long terme, la clef de la compétitivité est dans l’éducation, comme le soulignent F. Behr et M. Bonvalet.
Mais nous sommes bien forcés de reconnaître l’urgence de la situation, et aussi certaines réalités sociales et économiques fondamentales qui ne changeront pas de si tôt.
Pour longtemps, l’exercice d’un emploi véritable, qui produit un bien ou service commercialisable ou reconnu utile par la collectivité, est le moyen presque unique de l’intégration à cette société, pour les adultes en âge de travailler. L’assistance, même plus ou moins déguisée, est un pis-aller, indispensable certes dans les situations difficiles, mais à terme destructeur pour le bénéficiaire. Elle maintient la fracture sociale entre assistés et pourvus d’emplois. Il faut trouver le moyen de procurer de vrais emplois à tous ou presque, sinon la société se séparera en deux morceaux haineux et retranchés, et explosera.
Le partage du travail et des revenus qu’il procure, associé à des changements de mentalité et d’organisation de la société tout entière, représentera sans doute une partie de la solution. Mais les difficultés économiques et sociales sont telles qu’on ne peut en attendre beaucoup et rapidement. Ne pourrait-on plutôt, ne pourrait-on aussi, augmenter le nombre total d’heures à travailler et donc d’emplois ?
Le seul moteur qui puisse sur le moyen ou long terme provoquer la création d’emplois est l’augmentation de la demande de biens ou services – du moins en régime libéral, mais nous avons vu que les autres régimes se payaient très cher en privation de liberté, inefficacité à moyen terme, et catastrophe finale.
Malheureusement la demande solvable n’augmente guère. En France d’abord, les inclus (pour ne pas dire les nantis) constatent la fracture sociale, ont peur pour leur avenir, réclament davantage, et épargnent plutôt qu’ils ne consomment. De plus, leurs besoins raisonnables (sécurité, santé…) et solvables – voire remboursables – de population stationnaire et vieillissante ne peuvent pas beaucoup augmenter, étant déjà satisfaits pour l’essentiel. Les exclus d’autre part consomment peu faute de moyens, puisque l’aide financière qu’on peut leur accorder est et ne peut rester que faible.
À l’exportation aussi, la compétition extrême fait que nos parts de marché solvable ne croissent que très peu – vendre un TGV ou des Airbus au prix d’efforts considérables est un beau résultat, mais ne créera que quelques milliers d’emplois très qualifiés, cela ne résoudra pas le problème de nos 6 millions de précaires ou même 15 millions en comptant leurs familles.
Au total, les gains de productivité possibles – et donc indispensables dans cet environnement compétitif mondial – font face sans difficulté aux faibles accroissements du marché solvable qui se produisent quand nous exportons un peu plus ou quand nous réussissons quelques réinsertions.
Cette impasse résiste à la fois au traitement libéral et au traitement social. La soumission libérale au marché préconise de diminuer les aides à l’embauche, ce qui, joint à la recherche de compétitivité, provoque une perte d’emplois immédiate, qu’on ne récupérera pas car les gains de productivité se poursuivront. Le traitement social maintient la coupure de la société en camp des donateurs et camp des assistés, et charge la barque, ce qui provoque des faillites et pertes d’emploi. Notre société ne pourra faire face aux dépenses toujours croissantes du traitement social du chômage, actuellement 150 milliards par an, 400 milliards de coût indirect.
Il est alors peu probable qu’un panachage de ces deux traitements à vocation d’échec ait quelque chance de réussir à moyen terme, si on ne change pas les données du problème et ne trouve pas une demande solvable nouvelle à satisfaire.
Or une demande énorme mais non solvable existe. Les exclus de France ou des pays en développement manquent de toutes sortes de biens et services élémentaires – pas tellement de high tech. Il y a donc des besoins, il y a des fonds (les montants que nous consacrons déjà au traitement du chômage ou à l’aide aux pays en développement), il y a des bras et des cerveaux pour travailler, et nous n’arrivons pas à les faire se rencontrer !
Pour que cette rencontre ait lieu, pas besoin de mécanisme très compliqué. Les associations et organisations diverses (organisations non gouvernementales, culturelles, locales, etc.) ne demandent qu’à exécuter des programmes d’aide pourvu qu’elles aient les fonds. Et les entreprises aussi ne demandent qu’à exécuter de tels programmes.
La proposition est donc que l’État – qui dispose des fonds d’aide à l’emploi et aux pays en développement, au moins jusqu’à un certain point – mette au concours des projets de développement qu’il (par ses administrations locales en général) spécifiera, avec obligation d’embauche. Obligation de créer un emploi pendant un an pour chaque tranche de financement de 100 000 francs (environ) d’un projet de développement. 10 milliards amènent alors 100 000 emplois. Avec de plus certaines aides et dégrèvements déjà en place, l’obligation d’embauche est parfaitement supportable, et l’efficacité immédiate sur l’emploi sera garantie.
Les projets de développement seront des projets sociaux, au sens large, en France, des projets d’aide, au sens plus large encore, dans les pays en développement, qui ne se feraient pas sans ce financement. On évitera ainsi de perturber le marché des besoins solvables. Les entreprises et les associations devraient être fort nombreuses à soumissionner, l’initiative privée ayant donc un grand rôle dans l’affaire. Un contrôle des projets, de l’obtention de résultats, de la réalité des embauches, sera exercé par les administrations adéquates.
Ainsi on pourrait transformer des chômeurs en salariés du développement. Il n’y a pas d’activité plus motivante. Les besoins à satisfaire étant relativement simples pour une bonne partie (logements, soins, éducation, etc., élémentaires), des personnes sans qualification considérable, très motivées et après peut-être une formation, pourront y travailler, retrouvant un but, une utilité, un espoir. Les immigrés, par exemple, connaissent les besoins réels, le contexte culturel, de groupes en difficulté dans leur pays d’origine ou en France. Certains pourraient donc travailler utilement à ces projets.
On peut espérer toute une série de bénéfices. L’amélioration de la situation des démunis en France par les résultats des projets (équipements sociaux, services). Une contribution à la réduction du menaçant et insupportable déséquilibre Nord Sud et la création de liens de solidarité avec ces pays en développement, nos futurs clients. Immédiatement, la création d’emplois réels, pour satisfaire des besoins réels et non couverts actuellement. La remotivation et l’espoir pour beaucoup, en comblant la fracture sociale qui actuellement s’élargit.
La loi de cohésion sociale, longtemps attendue et enfin en finalisation, prévoit la création de 300 000 contrats d’initiative locale, en réaffectant différemment le montant des allocations de minima sociaux. Elle représente un pas dans cette voie. Mais elle risque encore de manquer son but. Il faut que ces emplois soient vraiment des emplois utiles, pas d’assistance. La procédure de mise au concours citée ci dessus, avec spécification des objectifs et contrôle des résultats, paraît une des meilleures pour éviter que ces aides ne deviennent un type d’assistance de plus.
Enfin, 300 000 emplois c’est bien, mais ce n’est pas encore assez. C’est une grande partie des fonds de l’aide à l’emploi, pas uniquement ceux des allocations minima, qu’il faudrait mobiliser. Et comme les besoins rendus solvables des résidents français réinsérés ne suffiront pas à maintenir à moyen terme une demande suffisante, il faut élargir l’application au seul réservoir quasi infini (hélas) de besoins peu sophistiqués qui existe dans le monde, les besoins des pays en développement.
Bien sûr il y a des difficultés, des risques : concurrence déloyale, suradministration, détournements, trucages.… Ils paraissent beaucoup plus faibles que ceux que court actuellement notre société dans les impasses où elle est engagée. Il faut mettre au point de nombreux détails. Mais on peut démarrer progressivement par quelques projets. Pourquoi pas ?