Une place croissante pour le capital-risque et les entrepreneurs

Dossier : Europe et énergieMagazine N°629 Novembre 2007Par Grégoire ALADJIDI (93)

Le sec­teur de l’éner­gie fait désor­mais par­tie inté­grante de la stra­té­gie d’in­ves­tis­se­ment des grands fonds inter­na­tio­naux. Au-delà de la prise de conscience sur les enjeux du déve­lop­pe­ment durable, l’in­no­va­tion et la recherche de rup­tures sont deve­nues une voie pri­vi­lé­giée qui dépasse les dis­cours usuels.
Cette révo­lu­tion des Nou­velles tech­no­lo­gies de l’éner­gie est avant tout une révo­lu­tion entre­pre­neu­riale qui pour­rait s’a­vé­rer aus­si fon­da­men­tale que celle de l’Internet.

Les records des sommes inves­ties dans le sec­teur de l’éner­gie sont bat­tus chaque année, quels que soient les seg­ments consi­dé­rés : inves­tis­se­ment en capi­tal-risque (inno­va­tion), inves­tis­se­ment de type pri­vate equi­ty (non coté), inves­tis­se­ment en capi­tal dans des socié­tés pro­jet liées aux éner­gies renou­ve­lables, pla­ce­ments pri­vés dans des entre­prises cotées (PIPE), cota­tion directe d’en­tre­prises nou­velles sur les dif­fé­rents mar­chés libres (voir gra­phiques ci-dessous).

Par­mi ces seg­ments, la crois­sance des inves­tis­se­ments de type « capi­tal-risque » est par­ti­cu­liè­re­ment remar­quable. Elle montre la convic­tion crois­sante que l’in­no­va­tion et la recherche de rup­tures tech­no­lo­giques sont des élé­ments de réponse cré­dible face à la hausse des prix du pétrole ou du réchauf­fe­ment climatique.

La révolution des Nouvelles technologies de l’énergie

Après l’in­for­ma­tique, les télé­coms ou la méde­cine (bio­tech­no­lo­gies), c’est toute la chaîne entre­pre­neu­riale qui s’est mise en mou­ve­ment autour de ces ques­tions de nou­velles tech­no­lo­gies de l’éner­gie et de déve­lop­pe­ment durable. Ce sont les mêmes ingré­dients qui ont per­mis l’ex­plo­sion de nou­velles acti­vi­tés dans les semi-conduc­teurs ou les télé­coms qui sont à l’œuvre dans le domaine des tech­no­lo­gies de l’énergie.

Éolien, pho­to­vol­taïque, bio­masse, bio­car­bu­rants, nou­veaux ser­vices liés aux ques­tions d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique, maté­riaux inno­vants, les inves­tis­se­ments suivent dans cha­cun de ses domaines.

Des « success stories » dans tous les domaines


L’innovation en matière d’énergie s’inscrit dans la logique des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té comme ici en région Rhône-Alpes où l’on a ins­tal­lé à Val Tho­rens des pan­neaux solaires photovoltaïques

Les gou­ver­ne­ments les plus atten­tifs réagissent en favo­ri­sant le même modèle que pour les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion : des inno­va­tions tech­no­lo­giques ou de mar­ché por­tées par un trip­tyque recherche, entre­pre­neu­riat, capital-risque.

Les « suc­cess sto­ries » se mul­ti­plient, aux États-Unis, au Japon, en Europe (Alle­magne), en Chine ou en Inde. Les Micro­soft, Cis­co, Google de ce domaine ont déjà ger­mé. On peut se deman­der si l’en­tre­prise qui attein­dra le mil­liard de dol­lars de reve­nu le plus vite après sa créa­tion ne sera pas rapi­de­ment une entre­prise du domaine. La place long­temps occu­pée par Sie­bel, édi­teur de logi­ciel de la Sili­con Val­ley, détrô­née par Google, devrait être prise cette année par Q‑Cells, fabri­cant alle­mand de cel­lules photovoltaïques.

Enfin, de la même manière que l’ac­qui­si­tion d’une grande dame de la vieille éco­no­mie, Time War­ner, par une start-up de la Nou­velle éco­no­mie, AOL, avait mar­qué l’a­po­gée de l’In­ter­net, on peut se deman­der com­bien de temps il fau­dra pour qu’une jeune entre­prise du domaine rachète un groupe éner­gé­tique éta­bli, parce que centenaire.

Le retard français

Dans ce contexte, la France affiche un retard para­doxal. Les choix exclu­sifs en matière de pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té et l’ab­sence de régle­men­ta­tion favo­rable ont empê­ché le déve­lop­pe­ment de mar­chés domestiques.

L’écologie, der­nière manière de lut­ter contre le capitalisme

Le constat est par­ti­cu­liè­re­ment cin­glant pour trois sec­teurs phares : le pho­to­vol­taïque, les piles à com­bus­tible et la cogénération.

Le pho­to­vol­taïque est un mar­ché mon­dial de 7 mil­liards d’eu­ros en crois­sance de 30 à 40 % par an. Cette filière est domi­née par des groupes pétro­liers (BP Solar), des fabri­cants de semi-conduc­teurs (Sharp, Kyo­ce­ra, Cypress), ou des entre­prises alle­mandes (Solar­World, Solon AG, Q‑Cells, Coner­gy). En France, Pho­to­watt, ex-filiale d’Elf et Alca­tel, reven­due au Cana­dien ATS, est pas­sée du 2e au 15e rang mon­dial, alors que Tene­Sol, joint-ven­ture entre Total et EDF, n’a pu inves­tir signi­fi­ca­ti­ve­ment que très récemment.

La filière hydro­gène et les piles à com­bus­tible figurent par­mi les sujets les plus ani­més outre-Atlan­tique et au Japon. Plug Power, Bal­lard, Fuel­cell Ener­gy pèsent près de 500 mil­liards d’eu­ros de capi­ta­li­sa­tion. Au Royaume-Uni, le pétro­lier Shell, les chi­mistes John­son Mat­they et Sol­vay, Mit­su­bi­shi et Dan­foss ont consti­tué un fonds dédié, Conduit Ven­tures, doté de plus de 100 mil­liards d’eu­ros. En France, la démarche de réseau public a été pri­vi­lé­giée et on ne peut que consta­ter les faibles résultats.

La cogé­né­ra­tion cor­res­pond à une logique de pro­duc­tion décen­tra­li­sée dif­fé­rente de la tra­di­tion fran­çaise. Les incer­ti­tudes nées de nou­velles régle­men­ta­tions ont tari ce mar­ché en Europe, pro­vo­quant la qua­si-dis­pa­ri­tion des acteurs. L’op­por­tu­ni­té s’est confir­mée dans le monde, au plus grand béné­fice d’en­tre­prises amé­ri­caines comme Caps­tone Turbine.

Des atouts significatifs

À la pointe de la recherche
La recherche publique fran­çaise conserve une très forte com­pé­tence : bat­te­ries au lithium, piles à com­bus­tible pour la micro­co­gé­né­ra­tion, pro­duc­tion d’hydrogène à par­tir de bio­masse, nou­veaux pro­cé­dés de fabri­ca­tion de cel­lules pho­to­vol­taïques. Le CEA est actif dans cha­cune de ces dis­ci­plines. Plu­sieurs labo­ra­toires du CNRS sont en pointe en matière de couches minces ou de recyclage

Mal­gré cela, les tech­no­lo­gies de l’éner­gie béné­fi­cient d’a­touts pour se déve­lop­per en France, enga­gée dans une poli­tique d’in­dé­pen­dance éner­gé­tique depuis le pre­mier choc pétro­lier. Beau­coup d’en­tre­prises sont issues de ces années-là. Cer­taines, comme Ver­gnet, Clip­sol ou Gior­da­no Indus­tries, béné­fi­cient aujourd’­hui d’une très forte crois­sance. L’A­deme pro­meut cette poli­tique de maî­trise de la consom­ma­tion avec com­pé­tence depuis sa création.

Les grands groupes fran­çais devraient com­prendre aus­si pro­gres­si­ve­ment l’in­té­rêt de l’in­no­va­tion et des start-up pour leur acti­vi­té. Enfin, on com­mence à voir des « serial entre­pre­neurs » se relan­cer ou finan­cer de nou­veaux projets.

Ces atouts s’ins­crivent dans la logique des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té. Les trois pôles éner­gie et envi­ron­ne­ment, sou­te­nus par les régions Rhône-Alpes (Tenerr­dis), Lan­gue­doc-Rous­sillon (Der­bi) ou PACA (Cap­Éner­gie) sont deve­nus deux ans après leur lan­ce­ment de véri­tables usines à projet.

Le Chi­nois le plus riche de Chine conti­nen­tale est un entre­pre­neur de l’énergie : Shi Zen­drong, fon­da­teur de Sun­tech, fabri­cant chi­nois de cel­lules photovoltaïques

La seule vraie réponse

La stra­té­gie actuelle menée contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique repose sur un trip­tyque très simple : créer la mau­vaise conscience, se ser­rer la cein­ture, entrer volon­tai­re­ment dans l’ère de la modération.

Al Gore, Nico­las Hulot, s’ils sont utiles pour mobi­li­ser les consciences, ne sont-ils pas in fine les tenants de cette ver­sion pre­mière de cette stra­té­gie qui a abou­ti au fameux pro­to­cole de Kyo­to : impo­ser des res­tric­tions chif­frées de CO2, en stig­ma­ti­sant une prise de conscience qui n’est pas assez haute dans la hié­rar­chie des États, et des indus­triels qui refusent de pro­duire autrement.
L’in­no­va­tion et l’en­tre­pre­neu­riat sont donc les seules véri­tables réponses face aux pré­oc­cu­pa­tions légi­times des citoyens et des États.

Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique menace peut-être la crois­sance mon­diale comme l’a démon­tré le rap­port Stern. Mais l’é­vo­lu­tion des tech­no­lo­gies éner­gé­tiques, vraie réponse face à la situa­tion actuelle, est, elle, un for­mi­dable levier de crois­sance et de développement.

À la base de la révo­lu­tion indus­trielleSi la ges­tion du cli­mat pose une ques­tion inédite, les ques­tions éner­gé­tiques se sont posées tout au long du déve­lop­pe­ment humain. À la fin du XVIIIe siècle, le recul des res­sources fores­tières faci­le­ment exploi­tables, et les pre­miers tra­vaux sur l’utilisation du char­bon, ont conduit à la créa­tion de l’école des Mines, pre­mier pas vers la recherche et l’innovation en matière d’extraction et d’exploitation minière. Cette pre­mière révo­lu­tion éner­gé­tique depuis l’utilisation du feu au néo­li­thique a été à la base de la révo­lu­tion industrielle.

Poster un commentaire