Une rareté qui donne du prix
Il y a quarante ans, donc, des jeunes filles ont eu la possibilité de participer au concours d’entrée de l’École polytechnique et prouvé, avec brio – mais qui en doutait ? –, qu’elles étaient tout à fait en mesure d’y être admises, d’y entrer et d’en sortir dans les meilleurs rangs, avant de connaître ensuite des carrières brillantes et de tenir dans notre pays, ou dans d’autres, des rôles éminents : par souci d’équité, je ne citerai pas de noms ici, mais j’en ai de nombreux dans mon encrier. 1972 restera donc une date un peu spéciale dans l’histoire de notre collectivité.
REPÈRES
On dénombre aujourd’hui plus de 1 800 polytechniciennes. La première promotion de 1972 comptait 7 filles, sur un effectif total de 315 élèves. Dix ans plus tard, elles étaient 28 sur 345. Vingt ans après, on en dénombrait 32 sur 420. En 2002, on recensait 79 filles pour 499 élèves. En 2011, 95 jeunes filles, françaises et internationales sur 503 élèves ont été admises.
En septembre 2012, 61 jeunes filles françaises sur 400 élèves intègrent l’École. À l’heure où nous bouclons, nous ne connaissons pas encore le nombre de jeunes filles internationales qui seront admises.
Sophie, alias Auguste
Apprenant que La Jaune et la Rouge allait écrire quelques lignes sur cet événement, notre camarade Gilbert Lamboley (50) nous a signalé que, peut-être, nos polytechniciennes d’aujourd’hui avaient été précédées par une jeune femme de grand talent, dès la fin du XVIIIe siècle, et celle-ci, je vais la nommer : Sophie Germain.
Nos polytechniciennes d’aujourd’hui ont été précédées par Sophie Germain
En effet, née en 1776 et attirée par les mathématiques dès son plus jeune âge, elle avait réussi à se procurer les cours de l’École polytechnique, en théorie réservée aux hommes, en empruntant l’identité d’un ancien élève, Antoine Auguste Le Blanc. À force de recevoir de bonnes copies signées de cet élève dont l’administration ignorait qu’il avait en fait quitté Paris, Lagrange décide de « le » convoquer et a la surprise de « la » rencontrer. Il devint l’ami de la jeune fille et l’aida à progresser. On sait que ses travaux ultérieurs, comme sa place parmi les mathématiciens européens et en particulier aux côtés de Gauss lui firent honneur, et honneur à l’X.
Mais quel dommage, pourtant. Notre communauté, qui a bien raison d’inscrire parmi ses anciens des élèves de l’X qui n’ont pas tous terminé leurs études, par exemple ceux nombreux renvoyés pour raisons politiques ou ceux tombés pendant les guerres après avoir rejoint le front à partir de l’École, a oublié d’inscrire la grande Sophie dans notre annuaire.
Un demi-progrès
L’X n’a pas donc saisi cette opportunité, qui se présentait pourtant de manière précoce, et c’est dommage. Elle n’a pas non plus utilisé les velléités féministes de ses saint-simoniens pour proposer l’ouverture de l’École aux filles : il est vrai que l’instauration en 1848 du suffrage universel, par un gouvernement où notre camarade Arago jouait un rôle éminent, a certes pu être considérée comme un éclatant progrès, mais fut seulement un demi-progrès puisque réservé aux hommes.
Nous savons que d’autres institutions d’enseignement supérieur ont parfois institué des établissements parallèles réservés, qui aux garçons, qui aux filles. Ou encore, avec plus ou moins d’entrain, institué la mixité et admis des jeunes femmes sur leurs bancs avant l’X dont le statut militaire et l’objectif, en tout état de cause, ne se prêtaient pas aussi bien à cette mesure au XIXe siècle ou au début du XXe.
Plus de 1 800 filles à l’X
Notre École a donc, depuis 1972, vu entrer dans ses amphis, dans ses listes d’élèves, ses compagnies défilant les jours de cérémonie, un grand nombre de filles (plus de 1 800).
Pourquoi, sur 500 élèves, n’y aurait-il pas 250 filles ?
Bien entendu, ce nombre peut donner lieu à toutes sortes d’analyses, qui dépassent le cadre de notre propos et s’accrochent à cette question élémentaire : pourquoi, sur 500 élèves, n’y a‑t-il pas, n’y aurait-il pas 250 filles ? Beaucoup de prose a déjà été écrite sur le prétendu moindre appétit des filles pour les études scientifiques et certaines carrières qui en résultent, comme sur leur moindre désir de s’inscrire dans le circuit des classes préparatoires, et je n’en rajouterai pas dans ce bref papier.
Honneur aux polytechniciennes
Nous, les garçons, pourrions nous consoler en pensant que cette rareté donne d’autant plus de prix aux jeunes femmes qui ont revêtu le Grand U, un Grand U légèrement redessiné mais néanmoins très grand.
Avec respect et tendresse, nous avions pris l’habitude de les appeler les Xettes, en hésitant d’ailleurs sur la meilleure manière d’orthographier cette abréviation. Certaines camarades nous ont fait remarquer, assez récemment, que cette dénomination ne leur semblait pas convenable, et qu’elles souhaitaient imposer l’usage du beau terme de polytechnicienne. Alors, honneur aux polytechniciennes.
3 Commentaires
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Je m’étonne que vous ne
Je m’étonne que vous ne citiez pas Claude Marie Bunelle, promo 1950, dont la mention, dans l’annuaire, comporte aussi un point noir indiquant le sexe féminin. Pourquoi la communauté polytechnicienne n’aurait-elle pas des transgenres en son sein ?
Généalogie polytechnicienne
En tant qu’époux de Marie-Hélène Adam-Ravel (78) et père de Sophie Ravel (2010), je serais très curieux de connaitre une autre statistique : combien y a‑t-il de polytechniciennes mères d’une polytechnicienne ?
Quelqu’un saurait-il répondre à cette question ?
Merci d’avance
@ François Ravel : Le
@ François Ravel : Le service de l’Annuaire de l’AX nous informe qu’il n’a pas les moyens de connaître cette statistique, mais qu’il faudrait aussi se renseigner auprès de la Bibliothèque de l’École polytechnique.