Une ressource incontournable pour le marché de l’énergie
Rencontre avec Antoine Rostand (82), CEO & Co-fondateur de Kayrros, qui nous en dit plus sur cette entreprise et la combinaison du monde de l’énergie à celui de l’information quantitative.
Dans quel contexte Kayrros a vu le jour ?
La naissance de Kayrros en 2016 s’inscrit à la confluence de deux constats fondamentaux et complémentaires : d’un côté, la pénurie de données qui frappait alors le secteur de l’énergie ; d’autre part, l’extraordinaire foisonnement de données rendu possible par les technologies nouvelles et l’avènement de l’intelligence artificielle et du machine learning. Tout le projet originel de Kayrros peut être résumé comme une entreprise d’arbitrage des connaissances et de la transparence, un effort pour combler le fossé entre ces deux réalités. L’enjeu est de taille. Les industries de l’énergie sont les plus importantes au monde.
Le secteur entier est à un moment charnière de son histoire, écartelé entre deux exigences contradictoires : répondre aux besoins d’une population en pleine croissance dont une grande partie commence seulement à émerger de la pauvreté, et faire face aux contraintes du changement climatique et de l’inéluctable décarbonisation. Jamais l’industrie n’a fait face à tant d’incertitudes. Et jamais les informations dont elle a tant besoin pour naviguer sur les risques que cela implique n’ont semblé aussi élusives.
En même temps, plusieurs éléments cruciaux ont ouvert toutes grandes les frontières de la connaissance à l’émergence de nouvelles sources de données telles que l’imagerie satellite et les réseaux sociaux, la capacité du cloud computing à stocker et traiter ces ensembles de données, et les nouvelles possibilités d’analyse offertes par l’intelligence artificielle et le Machine Learning.
Dans une société qui ne cesse de repousser l’horizon de l’information, le secteur de l’énergie, notamment les opérations pétrolières et gazières, est longtemps resté en retrait, privé encore de données opérationnelles claires. C’est avec une ambition de remédier à ce manque d’information que les cinq fondateurs de Kayrros ont créé une technologie utilisant notamment l’imagerie satellite haute fréquence pour mesurer et analyser en temps réels les dynamiques fondamentales du secteur (offre et demande).
Vous combinez le monde de l’énergie à celui de l’information quantitative. Dites-nous-en plus sur ce positionnement ? Concrètement, à quels problématiques répondez-vous ?
L’information quantitative et la connaissance du secteur sont complémentaires dans la construction d’une analyse de qualité. On ne comprend bien que ce que l’on mesure bien — et inversement. Et on n’investit à bon escient que dans ce que l’on comprend — et donc mesure — bien. Pendant trop longtemps, les capacités de mesure de l’industrie, et donc la qualité de ses analyses, pour ne rien dire de l’allocation des capitaux, sont restées tributaires de types de collectes de données archaïques, d’une portée restreinte et d’une fiabilité douteuse.
Les agences statistiques gouvernementales ou multi-gouvernementales, malgré tous leurs efforts, dépendent largement de ce que les acteurs privés, avec les limitations qui leur sont propres, veulent bien leur confier.
D’où une visibilité réduite. Face à cela, les nouvelles technologies représentent une révolution dont on ne mesure que peu à peu la portée. Encore faut-il disposer de la connaissance de l’industrie qui permet de calibrer et d’interpréter correctement les nouvelles données.
« Les nouvelles technologies représentent
une révolution dont on ne mesure que peu à peu la portée. »
En conjuguant expertise industrielle et expertise en termes d’imagerie satellite et d’intelligence artificielle, c’est non seulement la fréquence et la qualité des données qui change de fond en comble, mais aussi leur étendue, leur type même, leur granularité. Tout cela ouvre de nouveaux mondes à la compréhension et à l’analyse du secteur.
Les champs d’application de ces informations sont infinis. Par exemple, les données de stockage du pétrole que nous produisons font réaliser des gains importantes aux traders de pétrole.
Ces données donnent en effet une indication directe de l’équilibre ou du déséquilibre entre l’offre et la demande, et permettent ainsi de prévoir l’évolution des prix. Mais elles montrent aussi que cette relation a ses hauts et ses bas et que d’autres éléments peuvent influer sur les prix, tels que les facteurs géopolitiques.
Fort de son expertise dans le secteur, Kayrros a construit un outil fondé sur le Natural Language Processing qui permet d’identifier avec précision les périodes pendant lesquelles de tels facteurs suscitent un changement de “sentiment“ du marché et l’emportent, pour un temps, sur les éléments dits “fondamentaux“ (c’est-à-dire l’offre et la demande). Nette capacité à différencier entre divers “régimes“ de prix fournit aux acteurs du marché pétrolier et de l’énergie des signaux précieux pour l’optimisation de leurs achats et la mise en place de leurs “hedges“. Dans une toute autre perspective, l’imagerie satellite fournit des indications importantes en termes d’émissions de gaz à effet de serre et va permettre d’évaluer l’empreinte carbone des acteurs industriel.
Comment définiriez-vous votre valeur ajoutée sur le marché de l’énergie ?
Différents types d’acteurs trouvent différents usages à nos données en fonction de leurs besoins propres, de leurs portefeuilles et de leurs stratégies. Kayrros publie des renseignements qui sont à la fois précis, traçables et fiables. À partir de notre expertise du monde de l’énergie et du traitement des informations recueillies, Kayrros améliore la performance des acteurs du secteur. ȕn autre exemple est l’attaque sur Abkaik. Il y a quelques années, le marché aurait flambé. Avec nos technologies, les traders ont pu estimer très précisément l’impact des drones et la vitesse de réparation.
Nos technologies ont permis d’éviter une flambée des cours. Les bénéfices ne s’arrêtent pas là. L’approche systémique que nous avons développée dans le secteur pétrolier s’applique à tout type d’énergie, comme la construction de panneaux solaires, la disponibilité de l’énergie éolienne ou le niveau des barrages. Dans cette optique, nous venons de mettre au point une technologie de suivi des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Nette technologie va permettre d’attribuer les émissions aux pollueurs et donc de les faire payer, notamment avec une taxe carbone aux frontières.
Quels sont les enjeux auxquels vous êtes confrontés ? Comment y faites-vous face ?
Aujourd’hui, le plus grand défi auquel nous sommes confrontés est de choisir nos marchés prioritaires. Nos technologies seront utilisées par tout le monde d’ici ˤ ou 10 ans. Il nous faut bien choisir les cas d’usage qui est prioritaires. ȕn autre défi ʲ trouver les talents de haut niveau dont nous avons besoin. Kayrros veille en permanence à développer des solutions à la fois viables commercialement et innovantes scientifiquement. L’association de talents aux caractéristiques complémentaires, c’est-à-dire de spécialistes du secteur de l’énergie et d’ingénieurs et chercheurs tant en mathématiques qu’en informatique, nous permettra de relever ce défi.
En trois ans, vous êtes passés de cinq personnes à 150. Aujourd’hui, quels sont les profils que vous recherchez pour accompagner votre développement ? Quelles sont les opportunités de carrière qui peuvent intéresser nos lecteurs ?
Aujourd’hui, nous recherchons deux types de profil. D’une part, comme évoqué précédemment, nous construisons une équipe qui puisse concevoir des applications pour nos initiatives de R&D, ce qui nécessite des spécialistes de l’analyse de données, des ingénieurs et des développeurs. Dans un second temps, introduire ces produits sur le marché exige des experts en matière de développement commercial et de marketing partout dans le monde. Nous faisons 90% de notre business en dehors de France.
Et pour conclure, votre actualité ? Vos perspectives ?
Kayrros continue son ascension pour devenir une ressource incontournable pour les acteurs et opérateurs du marché de l’énergie. À l’avenir, nous allons travailler à appliquer notre technologie, qui permet de suivre n’importe quel actif industriel dans le monde, à une multitude de secteurs : l’agriculture, la construction, l’assurance et à la finance verte grâce au suivi des émissions de gaz à effet de serre.