Une révolution industrielle est nécessaire
REPÈRES
L’industrie nucléaire traverse une époque cruciale. On peut débattre indéfiniment du déclencheur de cette situation : Fukushima, crise économique, prix du gaz aux États-Unis ou retards rencontrés lors des premières constructions des nouvelles générations de réacteurs.
REPÈRES
L’industrie nucléaire traverse une époque cruciale. On peut débattre indéfiniment du déclencheur de cette situation : Fukushima, crise économique, prix du gaz aux États-Unis ou retards rencontrés lors des premières constructions des nouvelles générations de réacteurs.
Quoi qu’il en soit on ne concevra plus, on ne construira plus et on n’exploitera plus un réacteur nucléaire comme avant. Notre modèle industriel et économique doit changer, et il a, dans les faits, déjà changé.
La transformation en route dans l’industrie nucléaire doit, sans aucun doute, s’inspirer de celle qu’ont vécue et vivent encore les industries liées à l’activité de transport aérien.
Fournir une électricité à un prix abordable dans des conditions de sûreté acceptables
Celles-ci ont été capables de faire face à une activité multipliée par un facteur 5 depuis les années 1970, tout en diminuant le taux d’accident kilomètre par passager (en le gardant bien meilleur que tous les autres moyens de transport), et de plus en diminuant leurs coûts de manière importante, ce qui a permis de démocratiser le transport aérien dans des proportions importantes.
C’est ce même type de défi que les industries de l’énergie, et l’industrie nucléaire au premier chef, doivent relever. Nous devons arriver à fournir une électricité à un prix économiquement abordable pour le plus grand nombre, dans des conditions de sûreté et d’innocuité pour l’environnement socialement acceptables : c’est ce que les ingénieurs de l’aéronautique ont été capables de réaliser en cinquante ans, sans jamais sacrifier la sûreté.
Des réacteurs plus sûrs et moins chers
Développer le renouvellement du parc de réacteurs et implanter de nouveaux réacteurs dans les pays émergents, augmenter la sûreté de ceux-ci de manière à ce que les accidents de type Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima ne soient plus que des mauvais souvenirs, et surtout réduire les coûts de cette énergie de manière à rendre l’électricité accessible au plus grand nombre.
Comme dans toute activité industrielle, la baisse des coûts ne peut être réalisée que par une analyse de la valeur préalable, une simplification des concepts sur la base de celle-ci et une standardisation accrue dans la réalisation des projets. C’est ce que les ingénieurs de Westinghouse ont fait, tout d’abord en concevant l’AP600, précurseur révolutionnaire des années 1990, puis l’AP1000, dont la conception a reçu le « certificat de conception » de l’autorité américaine de sûreté, la NRC (Nuclear Regulatory Commission), en décembre 1999.
Pose du couvercle de l’AP1000 de Sanmen 1 (Chine) en janvier 2013.
De nouvelles bases conceptuelles
Les prochaines générations de réacteurs, telles que l’AP1000, reposent sur de nouvelles bases. Leur puissance est adaptée au marché : ni trop faible pour obtenir un coût compétitif du kilowatt, ni trop forte pour pouvoir s’intégrer dans les réseaux existants, soit 1 100 MWe.
Sécurité renforcée
Pour le réacteur AP1000 , la sûreté a été repensée sur des bases nouvelles en donnant naissance au concept nouveau de sûreté passive, dont la performance n’est pas liée à l’addition en série d’un certain nombre de dispositifs classiques, mais en faisant appel à des lois physiques inaliénables (gravité, convexion, condensation, évaporation) qui ne peuvent être mises en défaut.
Ce réacteur peut ainsi assurer son propre refroidissement sans intervention humaine pendant soixante-douze heures.
Leur conception est l’objet d’un re-engineering sur la base des spécifications fonctionnelles et réglementaires, grâce au retour d’expérience du terrain.
Avec un parti pris de simplicité ainsi que la facilité de maintien en condition opérationnelle, la conception et la construction modulaires – en s’inspirant d’une méthodologie déjà éprouvée dans d’autres types de constructions industrielles – permettent de maximiser la fabrication en atelier, évitant les aléas et les non-qualités du chantier et facilitant, par la standardisation, les conditions de construction.
Les qualités intrinsèques et uniques des réacteurs de ce type font qu’ils possèdent une courbe d’apprentissage de construction beaucoup plus rapide que les modèles non modulaires dont la courbe plafonne très vite après les premiers exemplaires, du fait des aléas inhérents au chantier. Huit AP1000 sont du reste en construction active.
Investir sur un marché perturbé
Les marchés de l’énergie sont devenus très complexes et, par là même, les modèles économiques qui en découlent. L’application erratique de la taxation du CO2, le prix bas du gaz aux États-Unis lié à l’extraction du gaz de schiste, la politique de subvention effrénée et incohérente de l’Union européenne aux énergies renouvelables, les difficultés à obtenir des capitaux pour l’investissement ont contribué à perturber fortement la logique « traditionnelle » du prix de l’électricité.
L’augmentation de la durée de vie et de la puissance des réacteurs existants a déjà apporté une première réponse à l’économie de l’électricité nucléaire. Elle permet de maintenir , voire d’améliorer la sûreté des centrales existantes tout en maintenant un prix compétitif de l’électricité nucléaire.
De même, le modèle économique de réalisation de nouveaux réacteurs est en train de changer profondément depuis quelques années, de manière à apporter des réponses aux questions que se posent les investisseurs financiers au sujet du risque de leur investissement.
Revenir à une situation plus saine
Une des solutions consiste, pour le vendeur, à garder chez lui une grande partie du risque de la construction en étant lui-même actionnaire du projet jusqu’à sa mise en route. Les investisseurs y verront un signe que le vendeur engage fortement sa responsabilité et, très souvent, son existence même, et seront donc eux-mêmes davantage enclins à investir.
Apporter des réponses aux questions que se posent les investisseurs financiers
On peut penser que cette situation est temporaire et imposée par un marché favorable aux acheteurs. En effet, une prolongation de cette situation conduirait à capturer les ressources financières des vendeurs en les gelant dans la mise en route de leurs produits au détriment de l’investissement dans l’innovation et la technologie, ce qui est leur réelle vocation.
Coulée du radier du réacteur AP1000 de
VC Summer (USA), le 6 mars 2013.
Il serait bon de revenir à une situation plus saine où chacun fait son métier : le vendeur innove, le financier prend des risques calculés et raisonnables, l’électricien vend l’électricité produite par ses réacteurs.
Quoi qu’il en soit, entre-temps, les vendeurs doivent s’adapter rapidement à ces nouvelles conditions de marché et l’innovation reste la clef du futur. Les industries liées à l’énergie sont, de manière générale, grandes consommatrices de capitaux à investir sur de longues durées.
La crise financière que nous traversons, les évolutions technologiques rapides dans l’industrie gazière ainsi que l’interventionnisme institutionnel dans les politiques énergétiques vont radicalement transformer le paysage énergétique dans le monde.
En conséquence, l’industrie nucléaire est en profonde mutation et devra dans les années à venir travailler sur des modèles complètement nouveaux dans les domaines économiques et même réglementaires.
Son défi sera également de continuer à être soutenue par les États (qui sont les seules instances capables d’apporter la vision dans la durée), sans pour autant sombrer dans le nationalisme dans lequel elle s’est parfois réfugiée dans le passé. C’est un défi que les grands industriels sont prêts à relever.