Une taxe carbone sur l’électricité ?
Les conclusions d’un rapport demandé pour fixer un prix du carbone aligné avec l’Accord de Paris de la COP 21 se présentent sous la forme de 10 propositions. L’élément clé est qu’il faut d’abord augmenter de façon conséquente le prix du carbone pour dissuader d’utiliser le charbon, source d’énergie la moins chère, mais la plus polluante.
Les auteurs du rapport font 10 propositions pour développer et renforcer la tarification du carbone, leur proposition phare étant de compléter le dispositif actuel du marché européen du carbone par un mécanisme de corridor de prix pour donner plus de visibilité aux acteurs économiques et accélérer les réductions d’émissions en Europe, notamment celles du secteur électrique en réduisant le recours au charbon.
Pour cela, la mission a suggéré que le prix plancher soit compris entre vingt et trente euros en 2020 et le prix plafond de cinquante euros à cet horizon.
REPÈRES
Pascal Canfin, Alain Grandjean et Gérard Mestrallet ont remis, début juillet 2016, les conclusions de la mission qui leur avait été confiée en vue de mettre un prix du carbone aligné avec l’Accord de Paris.
Leur rapport souligne tout d’abord qu’il existe aujourd’hui un large consensus sur le rôle décisif que peuvent jouer les instruments de tarification carbone pour enclencher une transition bas carbone, beaucoup d’entreprises s’étant ralliées à cette cause dans la dynamique créée par la COP 21.
En effet, ces instruments font payer aux émetteurs de gaz à effet de serre les coûts qu’ils font porter à la société ou, de façon symétrique, récompensent ceux qui permettent leur évitement.
Explications et commentaires d’Alain Grandjean et Dominique Bureau.
L’une des propositions du rapport est plus précisément de privilégier la production d’électricité au gaz par rapport à celle du charbon.
Pourquoi cette focalisation sur le charbon ?
A.G. Dans la lutte contre le changement climatique, le charbon est l’ennemi public numéro 1. Sa combustion émet environ 15 milliards de tonnes de CO2 dans le monde soit 30 % des émissions de gaz à effet de serre.
Ayant connu une très forte croissance dans les quinze dernières années, il est à l’origine de 40 % de la production d’électricité. Pourtant, c’est un domaine où il est techniquement aisément remplaçable par d’autres sources beaucoup moins carbonées.
“ Le charbon est malheureusement la source d’énergie la moins chère ”
Mais, malheureusement c’est aujourd’hui la source d’énergie la moins chère. Début 2016, des projets représentant mille gigawatts de puissance installée étaient encore envisagés. Or, une trajectoire énergétique, conforme à l’Accord de Paris et restant sous les deux degrés, suppose au contraire une forte diminution des émissions de CO2, donc du recours au charbon.
D.B. Ce diagnostic fait consensus, ce que l’on peut illustrer par quelques chiffres, dans le domaine de l’électricité. Aussi bien au niveau mondial, qu’au niveau européen, la production d’électricité (y compris cogénération) est responsable de 40 % environ des émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie. Les centrales à charbon en sont la cause principale, à la fois du fait de la part du charbon dans le mix électrique et du facteur d’émissions de ces centrales, plus du double de celles à gaz par exemple (1 tonne CO2/MWh contre 0,4 tonne CO2/MWh environ).
Des possibilités pour réduire ces émissions existent donc, qui placent la substitution charbon-gaz au rang des premières actions à réaliser pour « décarboner » l’économie efficacement, c’est-à-dire en commençant par les moins coûteuses.
Ainsi, alors que, dans les conditions de marché actuelles, l’ordre d’appel des centrales « par ordre de mérite » pour les opérateurs privilégie le charbon, la situation changerait radicalement si le prix du carbone était de l’ordre de trente euros.
La crainte des investisseurs ou actionnaires des opérateurs de voir leurs actifs liés au charbon dévalorisés ne suffit-elle pas pour enclencher le processus ?
A.G. Un mouvement de retrait s’observe en effet dans le monde des grandes banques (en France le Crédit Agricole, la Société Générale) et des acteurs financiers ayant décidé de ne plus en financer.
Pour autant, ce mouvement est encore trop lent et il serait naïf et irresponsable de ne compter que sur l’engagement volontaire des acteurs financiers.
“ Désigner de manière absolue les bonnes technologies conduit souvent à des catastrophes ”
La solution la plus logique est de faire supporter aux émissions de CO2 un coût sous forme de taxe ou de quotas à un niveau suffisant pour rendre le charbon non compétitif. C’est ce que nous avons proposé avec Pascal Canfin et Gérard Mestrallet.
D.B. Le rôle des acteurs financiers en ce domaine est récent et notable car il témoigne d’une prise de conscience de leur part des risques que prendraient les investisseurs en n’anticipant pas la transition énergétique. Le développement des exigences de reporting sur l’exposition carbone des portefeuilles y concourt.
Cependant, l’impact de ces instruments ne sera véritablement important que si la perspective de prix du carbone effectifs est crédible. La mise en place de ceux-ci reste donc nécessaire.
De plus, elle doit se faire dans des conditions aussi lisibles que possible, pour éviter l’introduction d’incertitudes inutiles, génératrices de primes de risque élevées néfastes à l’investissement.
Vous considérez donc que le gaz est le combustible du futur de la transition énergétique ?
A.G. À court terme, notamment en situation de surcapacités électriques en Europe, il est tragique en effet que le gaz passe après le charbon. Il lui est indéniablement préférable. Pour autant, il faut faire attention aux effets de lock-in.
Des grandes banques (en France le Crédit Agricole, la Société Générale) et des acteurs financiers ont décidé de ne plus financer la production d’électricité au charbon. © KIEV.VICTOR / SHUTTERSTOCK.COM
En effet, une trajectoire deux degrés au niveau mondial nécessite de réduire très fortement le recours aux énergies fossiles d’ici 2050 et conduira donc à réduire les durées d’utilisation de ces moyens. Leur rentabilité s’en trouvera affectée, du moins avec les mécanismes de rémunération actuelle. Certains équipements fossiles seront à fermer définitivement.
Il faut donc plutôt accélérer le passage aux EnR en convergeant vers l’usage du gaz comme moyen de pointe et de gestion de l’intermittence. À ce sujet, il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité du mécanisme de rémunération de capacité accepté pour la France par la Commission européenne.
D.B. Il n’y a pas de doute que le gaz est un élément de l’équation, au moins à court et moyen termes. Ainsi l’étude réalisée par RTE et l’Ademe début 2016 sur l’impact du signal-prix du CO2 sur le système électrique européen montrait qu’immédiatement, c’est-à-dire à parcs inchangés mais utilisés différemment en termes de durées d’appel, un prix du carbone fixé à trente euros permettrait de réduire les émissions européennes de 100 millions de tonnes de CO2 par an, en inversant l’ordre d’appel des centrales gaz et charbon par les opérateurs.
Évidemment, l’enjeu est, au-delà, de changer aussi la composition du mix électrique en termes de parcs installés. Pour autant, il faut être prudent. Les centrales à gaz ne sont pas exemptes d’émissions de CO2, qui devront être supprimées à plus long terme, d’où des arbitrages délicats à faire par rapport au risque de « fausse manœuvre » par rapport à d’autres technologies.
De plus, on ne peut ignorer les éventuelles autres externalités ou coûts sociaux liés à la production de certains gaz.
“ La CGT s’est opposée à la taxe carbone sous le motif qu’elle menace des emplois ”
De manière générale, cela conduit à souligner que les coûts environnementaux sont multiples et donc que les approches qui chercheraient à désigner de manière absolue les bonnes technologies conduisent souvent à des catastrophes.
Le rôle des politiques publiques n’est pas de désigner les vainqueurs mais d’établir des cadres (level-playing-field) pour orienter les choix des opérateurs et des marchés, et ainsi faire émerger les meilleures solutions, non de s’y substituer.
La situation des marchés électriques montre d’ailleurs à quel point ceux-ci perdent toute boussole face aux différents chocs et pressions si l’on cherche à décarboner ce secteur sans prix directeur du carbone. Le même prix de la tonne de carbone doit donc s’appliquer à tout le secteur et, en fait, à l’ensemble des secteurs émetteurs, les éventuels problèmes de compétitivité induits pouvant être mieux traités par d’autres moyens.
Faut-il mettre en place un dispositif national pour accélérer la sortie du charbon en France ?
A.G. La France exploite encore 5 centrales au charbon qui ont produit en 2015 8,6 TWh et émis environ 9 millions de tonnes de CO2 (35 % des émissions de CO2 pour moins de 2 % de la production d’électricité…).
Une taxe carbone à trente euros la tonne de CO2 (qui est aujourd’hui appliquée, à un niveau qui sera de trente euros en 2017, sur les combustibles et les carburants mais dont le charbon utilisé pour l’électricité est exonéré) conduirait à accélérer la fermeture de ces centrales, fermeture inéluctable à terme.
Sa mise en œuvre pose cependant de difficiles problèmes juridiques, économiques et sociaux. Si elle n’est appliquée qu’au charbon (par exemple par le biais d’une suppression de l’exonération sus-indiquée), elle pourrait se voir opposer par le Conseil constitutionnel un argument d’inégalité devant l’impôt.
Les centrales à gaz ne sont pas exemptes de CO2. Ici, celle de Düsseldorf en Allemagne. © MITIFOTO / FOTOLIA.COM
Si elle est appliquée sur tous les combustibles fossiles utilisés pour faire de l’électricité en France, elle conduirait à pénaliser la compétitivité relative des centrales au gaz françaises contre leurs concurrentes européennes, à réduire leur durée d’utilisation déjà faible et probablement à conduire à leur fermeture.
Or, ces outils sont aujourd’hui indispensables à la gestion du réseau électrique et notamment pour faire face aux aléas de production ou de consommation. On pourrait envisager de mettre en place une taxe carbone à niveau plus faible (quinze euros la tonne) qui serait moins pénalisante pour le gaz et échapperait aux foudres du Conseil constitutionnel. Mais il serait difficile de justifier un niveau plus bas que celui qui est appliqué sur les autres vecteurs énergétiques.
Par ailleurs et sur le plan social, la CGT s’est opposée à la taxe carbone sous le motif qu’elle menace des emplois et c’est, semble-t- il, ce qui a fait reculer le gouvernement en octobre. Si le chiffre de 5 000 emplois a été évoqué, ce sont sans doute moins de 1 000 emplois directs et indirects qui sont concernés.
D.B. La remarque sur l’acceptabilité rappelle que la mise en place d’un prix du carbone nécessite toujours de bien analyser les impacts redistributifs pour identifier les groupes vis-à-vis desquels des mesures d’accompagnement ou de compensation sont nécessaires. L’expérience signale aussi la difficulté d’une approche nationale s’agissant d’émissions provenant d’un secteur dont le marché et le niveau de régulation du marché sont européens.
Cela ne signifie pas l’impossibilité de résoudre les problèmes de « fuites du carbone » associés, mais cela nécessiterait des instrumentations plus complexes, et de second rang.
En tout état de cause, la remise en ordre sans attendre – c’est-à-dire le rétablissement d’une capacité à produire un prix en ligne avec l’Accord de Paris – du marché européen du carbone, qui était précurseur mais en passe d’être dépassé par le Québec et la Californie, voire la Chine, apparaît donc comme la priorité numéro 1.