Une terre européenne en Amérique du Sud : la Guyane française
Malgré le retentissement mondial des activités spatiales et des lancements d’Ariane à Kourou, la Guyane demeure une terre bien mal connue.
Terre française en Amérique du Sud depuis le début du XVIIe siècle, la Guyane a subi une histoire mouvementée, malgré son éloignement de la métropole et sa faible densité de population. Et pourtant ce pays mal connu recèle des trésors d’originalité que l’on a plaisir à découvrir et à apprécier.
La nature d’abord, sous ses diverses formes, relief contrasté, omniprésence de l’eau : rivières, criques, cascades et marais, et surtout cette forêt tropicale, si riche, si dense et si variée. Ensuite la flore, incomparable entremêlement d’essences diverses, large éventail de fleurs multicolores et changeantes au gré des saisons, et la faune qui présente aussi bien des spécimens des grands fauves de l’Amérique du Sud jusqu’à une incroyable variété d’insectes piqueurs (dont certains fort désagréables), en passant par une richesse ornithologique exceptionnelle et les fameux papillons de Guyane dont le célèbre » morpho « .
L”histoire a été marquée de nombreux épisodes sombres tels que l’expédition de Kourou en 1763, terminée en désastre, ou le bagne, plus récent (1852) mais tout aussi tragique, qui fut supprimé en 1938 dans le principe, mais dans les faits ne ferma qu’en 1947. La déportation d’Alfred Dreyfus est encore dans toutes les mémoires. Pourtant, dans le passé, les jésuites avaient entrepris une première tentative d’envergure de mise en valeur de la Guyane, mais ils furent chassés par Louis XV en 1762. Plus récemment, à la suite d’une décision gouvernementale prise en 1964, le Centre spatial guyanais a été créé et n’a cessé de se développer depuis avec succès.
Département d’outre-mer depuis 1946, la Guyane est représentée au Parlement par un sénateur et deux députés.
La population, mosaïque de groupes ethniques très diversifiés, depuis les Amérindiens ou les Noirs descendants d’esclaves d’origine africaine jusqu’aux Blancs descendants des premiers colons européens ou provenant des Antilles, les » békés « , en passant par tous les degrés de métissage, y compris avec des groupes en provenance d’Asie : Chinois, Eurasiens, Indonésiens, Hmongs, ou du Moyen-Orient, Libanais entre autres, mais tous avec un dénominateur commun, le passeport français, donc des citoyens de l’Union européenne.
Mais la Guyane, c’est aussi un pays moderne de 91 000 km2, entré dans le XXIe siècle avec son héritage du passé, et vivant le présent avec intensité. Son PIB est de 7,5 milliards de francs, dont 30 % pour le spatial. Les autres activités sont la pêche industrielle (crevettes), la forêt, l’agriculture (riz), l’or (2 470 kg en 1995), le tourisme. Les chiffres du commerce extérieur en 1998 sont 3 500 MF d’importations pour seulement 597 MF d’exportations. Économiquement, c’est le pays d’Amérique du Sud dont le niveau de vie par habitant est le plus élevé.
Mais à quel prix ! Les facteurs économiques et démographiques du département sont impressionnants et préoccupants : on estime à 12 000 le nombre d’emplois générés en Guyane par le spatial, contre 16 000 dans une fonction publique hypertrophiée, et de l’ordre de 12 000 seulement dans le reste de l’économie, avec un effectif impressionnant de 12 000 chômeurs, soit, en pourcentage, le double de la métropole. Et ceci dans un contexte de croissance démographique galopante qui fait craindre le pire : en Guyane, la population double tous les douze ans. Actuellement, on compte environ 170 000 habitants : 90 000 français et 80 000 étrangers (dont 30 000 clandestins). À ce rythme, ce sont 30 000 emplois qu’il faudrait créer dans les dix années à venir, soit plus de deux fois l’activité spatiale d’aujourd’hui. Comment relever ce difficile défi pour que cette belle contrée ne sombre pas dans l’anarchie et le désordre ?
Caractéristiques dominantes de la Guyane
Aide de l’État et » valeur ajoutée »
On vient de voir qu’une grande partie de la population active guyanaise, de l’ordre des trois quarts, dépend des fonds publics sous diverses formes. Cette situation ne peut et ne doit pas perdurer : elle engendre en effet des retombées pernicieuses, notamment un état d’esprit d’assistance, selon lequel l’État dans sa grande mansuétude doit veiller au bien vivre de la population, quelles que soient les circonstances.
Pour sortir de ce cercle vicieux, la démarche proposée consiste à chercher à rééquilibrer le département par création d’activités nouvelles porteuses de valeur ajoutée, et non dévoreuses de subventions. On peut admettre d’aider les activités à se créer et à s’implanter, mais il est impératif que ces entreprises créent des plus-values, et ne nécessitent pas, comme ce fut trop souvent le cas dans le passé, de subventionner la vente des produits en raison de leur non-compétitivité sur le marché mondial.
La haute technologie
Afin de faire face aux éléments défavorables de certains des facteurs économiques locaux : coût de la main-d’œuvre, charges sociales de niveau » métropolitain « , coût du Kwh, des transports, des communications, etc., il semble judicieux de rechercher l’implantation d’activités de haute technologie, seules véritablement génératrices de valeur ajoutée.
Pour cela, on sera bien sûr amené à faire venir de l’extérieur, au moins au début, des cadres qualifiés capables de conduire ces activités : la réussite des activités spatiales en Guyane démontre à l’évidence que c’est possible.
Les débouchés
Il ne suffit pas de produire à bon prix, il faut aussi vendre, et force est de constater que le marché guyanais est très limité, et en aucun cas compatible avec des productions importantes à forte valeur ajoutée. Cependant, la proximité de marchés potentiels importants – Amérique du Sud et Caraïbes – doit être explorée et exploitée, dans le but d’encourager fortement les investisseurs à » miser » sur cette région qui est aussi un trait d’union entre l’Europe et l’Amérique du Sud.
Mais ceci suppose un effort considérable et concerté des pouvoirs publics et des industriels, pour créer de nouvelles relations qui n’existent pratiquement pas aujourd’hui. Les » réseaux » doivent être mobilisés, et les communications développées entre la Guyane et son environnement géographique en Amérique du Sud et en Amérique centrale.
La formation
Le développement économique doit bien entendu être accompagné par le développement universitaire. Un mouvement de fond s’est amorcé depuis quelques années et devrait aboutir très bientôt à la décision attendue de créer un pôle universitaire en Guyane, dont le financement sera assuré dans le cadre du Contrat de Plan État Région couvrant la période 2000–2006. Ce pôle universitaire devra non seulement former les cadres guyanais indispensables au développement harmonieux de l’activité économique, mais aussi représenter un pôle culturel d’attraction pour les jeunes gens d’Amérique du Sud d’origine hispanophone ou lusophone, et de contrebalancer l’influence anglo-saxonne et le pouvoir attractif des universités nord-américaines.
La recherche
Il faut également tenir compte – et tirer profit – de la présence en Guyane française des quelque vingt-six centres de recherche, tels que l’Institut Pasteur, l’IRD (ex-Orstom), le Cirad, l’Inra, l’Ifremer, le BRGM, l’Inserm et bien d’autres. Ceci est remarquable et représente une force de connaissances et de culture tout à fait considérable, pour peu que l’on sache valoriser ces centres et en dégager les synergies, ce que le pôle universitaire en projet devrait être à même de faire. Ce sont autant d’axes de développement privilégiés qui, s’appuyant sur les interactions université-recherche-industrie, devraient favoriser l’implantation des industries de haute technologie à forte valeur ajoutée souhaitées.
Les communications
Principales dates
1492 : Découverte de l’Amérique.
1604 : Jean Moquet et La Ravardière accostent dans » l’île de Cayenne « .
1614 : Destruction de la colonie par le Portugal.
1643 : Poncet de Brétigny débarque en Guyane.
1652 : Compagnie de France équinoxiale.
La France délaisse la Guyane.
1654 : Les Hollandais occupent la région.
1664 : Arrivée de de Tracy avec Antoine Lefebvre de la Barre.
Par la suite, les Anglais attaquent et ravagent la colonie sans pour cela s’y installer.
1676 : L’amiral d’Estrées reprend Cayenne.
1679–1705 : Le gouverneur Pierre Éléonore Lefebvre défend le territoire contre les Portugais.
1762 : Louis XV décide de chasser les jésuites. Cette expulsion fut un désastre économique pour la Guyane.
1763 : Expédition de Kourou.
1794 : La Convention thermidorienne abolit l’esclavage.
1802 : Abolition de l’esclavage, occupation portugaise.
1814 : La colonie revient à la France.
Mère Anne-Marie Javouhey arrive à Mana.
1848 : Abolition définitive de l’esclavage.
1852 : Naissance du bagne.
1895 : Déportation d’Alfred Dreyfus.
1900 : Arbitrage de la question territoriale franco-portugaise.
Le Conseil fédéral suisse tranche en faveur du Brésil.
1906 : Jean Galmot arrive en Guyane.
1938 : Le bagne est supprimé.
1946 : La colonie devient un département.
1947 : Le bagne est désaffecté.
1955 : D’importantes quantités d’or sont découvertes.
1965 : La base spatiale est créée.
1974 : Le plan vert est mis en place.
1982 : La Guyane devient une région.
Pour réaliser concrètement ces ambitions, il faut que les communications de toutes natures se développent. Par voie aérienne, c’est assez simple, car les compagnies aériennes opératrices dans la région renforceront ou créeront les lignes nécessaires en fonction de la demande, avec un temps de réponse très court, à partir de l’aéroport international de Cayenne-Rochambeau, parfaitement équipé et de grande capacité. La voie maritime répond à peu près au même critère : la présence d’un port en eau profonde assorti d’un parc d’activités économiques à Cayenne au Dégrad-des-Cannes est un atout de premier ordre dans ce domaine. Par contre les relations routières sont très faibles. S’il est possible d’aller par la route au Surinam en traversant le Maroni par bac à Saint-Laurent, il n’est par contre pas possible de se rendre au Brésil, la route de l’est n’existant à l’heure actuelle que jusqu’à Regina. Et même si l’on relie un jour Saint-Georges-de-l’Oyapock, on ne débouchera de toute façon que sur la province d’Amapa, la plus reculée du Brésil, non reliée au Brésil moderne, sauf à faire des milliers de kilomètres de pistes et à traverser l’Amazone en paquebot entre Macapa, capitale de l’Amapa, et Belém dans l’État de Para… Autrement dit une aventure.
Enfin les télécommunications. Déjà bien structurées au profit du Centre spatial guyanais, elles se développeront à mesure de l’augmentation de la demande, sans que cela ne pose de problèmes insurmontables, grâce notamment aux satellites et aux câbles sous-marins.
Les structures d’accueil et le tourisme
Tout développement économique et social doit être accompagné de celui des infrastructures et des structures d’accueil. Certaines sont du ressort de la puissance publique : moyens de communications, établissements d’enseignement, de santé, administration, mais d’autres relèvent de l’initiative privée. C’est le cas de l’hôtellerie et du tourisme. S’il est vrai que l’on trouve maintenant à Cayenne et à Kourou des hôtels de classe internationale, il n’en demeure pas moins que le nombre de chambres disponibles est encore insuffisant.
À côté de cela, pour satisfaire les exigences d’une clientèle de plus en plus internationale, il faut offrir au visiteur des produits touristiques cohérents à caractère plus culturel et de dépaysement qu’orientés vers le tourisme dit » de masse « . Il existe maintenant des tour-opérateurs en Guyane qui proposent des prestations de bon niveau, avec un réel souci de progrès.
La Guyane, terre européenne
Outre le fait que, légalement, un département français est partie intégrante de l’Union européenne, il faut souligner que le Centre spatial guyanais a été depuis longtemps mis à la disposition de l’Europe, en l’occurrence de l’Agence spatiale européenne, pour être la base de lancement de la famille de fusées européennes Ariane.
Les services de lancement commercialisés sur le marché international par la Société Arianespace sont maintenant reconnus comme étant parmi les meilleurs au monde, ce qui se traduit par une remarquable pénétration du marché » accessible « . Ces succès sont dus, non seulement à l’excellence du lanceur en termes de qualité, fiabilité, précision d’injection en orbite, mais aussi à la position géographique du site de Kourou à 5,3° N., donc très proche de l’équateur, et à la qualité des installations de la base de lancement.
La technopole régionale de la Guyane
En synergie avec les activités spatiales, les centres de recherche déjà présents et le pôle universitaire en création est née l’idée de créer en Guyane une technopole régionale, dont l’objectif premier sera d’aider à la création d’activités nouvelles créatrices d’emplois et génératrices de valeur ajoutée. Cette initiative a très rapidement recueilli l’assentiment et le soutien des élus locaux et des pouvoirs publics.
Maintenant décidée dans son principe, la mise en place de la technopole est en cours. Une concertation entre la Région, l’État, la Chambre de commerce et d’industrie de la Guyane, et les représentants de l’industrie et de la recherche élabore les éléments caractéristiques de la technopole régionale de la Guyane, ses statuts, sa forme juridique et ses moyens d’action. Le Centre national d’études spatiales, en raison du poids important des activités spatiales dans le département, est associé à la démarche, et contribue financièrement et en nature à l’effort collectif. Une » Mission Guyane » concrétisant cette contribution a d’ailleurs été récemment créée, animée par un directeur éminent du CNES, Michel Mignot, qui a été directeur du CSG de 1992 à fin 1999, après avoir passé toute sa carrière au service du CNES et de la Guyane.
La technopole aura entre autres objectifs une vocation de rayonnement et d’exportation. Elle favorisera l’offre de services et produits réalisés ou valorisés en Guyane et correspondant à la demande de l’environnement sud-américain et caraïbe dans de nombreux domaines : éducation et enseignements supérieurs, formations, recherches, technologies avancées, maintenance technique, produits locaux spécifiques, services et produits touristiques, accueil et mise aux normes de produits sud-américains, ingénierie de technologies liées à l’environnement, la télédétection, le téléenseignement, la télémédecine, la biologie, la médecine et la pharmacopée tropicales, la société de l’information, etc.
La création de la technopole donne un signal fort de dynamisme et de modernité en direction de l’Europe et de l’Amérique latine. Avec ses atouts de formations universitaires, de cultures régionales, de recherches, de hautes technologies, au service de la Guyane et de sa jeunesse, de la France et de l’Europe dans le grand bassin amazonien et sud-américain, la technopole régionale de la Guyane devrait être un des indispensables éléments fédérateurs du développement local réel et durable.
C’est une des grandes chances de la Guyane de demain, si elle le veut !