Véronique Rouchon (86), une vie pour le patrimoine
On ne la bouscule pas. Elle sait ce qu’elle veut, et elle le fait. Intéressée depuis toujours par le domaine du patrimoine et de sa conservation, elle maintient le cap avec détermination.
Ses parents sont un ingénieur des Mines d’Alès et une sévrienne, professeure de mathématiques en terminale au lycée de Firminy. Sa fratrie fit aussi de belles études, avec une sœur aînée formée par HEC ; et son frère Pierre, lui aussi polytechnicien (80), du corps des Mines, enseignant ensuite les mathématiques appliquées aux Mines de Paris et à l’X.
Mécanique quantique
Après une prépa au lycée Fauriel de Saint-Étienne, marquée par le cours de maths de Jean-Marie Exbrayat (surnommé le Papex), éducateur hors-normes, un extroverti sachant transmettre sa passion pour les mathématiques, elle intégra l’École.
“ Mieux comprendre la dégradation pour mieux conserver ”
D’emblée intéressée par l’histoire de l’art et la conservation, elle y suivit le cours d’Hervé Loilier (67).
Parmi ses autres cours, elle garde le souvenir de la mécanique quantique, « extraordinaire », de Roger Balian (52) ; qui lui fut bien utile, quelques années plus tard, pour son propre enseignement de physique, comme maître de conférences à l’université de La Rochelle.
L’atelier Quillet
Au cours de son service militaire, au régiment d’artillerie de Draguignan, elle rencontra Lionel Quillet, un collectionneur de documents anciens, passionné également par tous les aspects liés à leur restauration et à leur conservation. Après leur mariage (1990), ils démarrèrent à l’île de Ré l’Atelier Quillet, une PME spécialisée dans la restauration de documents à plat, pour des collectivités publiques surtout (une aventure narrée dans La Jaune et la Rouge, en février 1997. Véronique Rouchon était alors enceinte de son premier enfant).
Elle s’était donné un doctorat, soutenu en 1993 à Paris-VII, sous la direction de Michel Schott, qui fut pour elle, comme Jean- Marie Exbrayat ou Roger Balian, « le bon éducateur au bon moment », sur l’interaction de faisceaux d’ions avec des polymères, polystyrène et polyméthylméthacrylates.
Les moyens de rebondir
Elle enseigna la physique de 1993 à 2005 à l’université de La Rochelle. Au tournant du siècle, son mariage avec Lionel Quillet se délita, « la réussite socio-économique fut pour moi un vrai échec. Avec Lionel, tout était mélangé, le professionnel et le privé. » Elle vécut deux-trois ans de grande solitude, mais « j’avais les moyens de rebondir ». Le plus personnel fut la musique, Véronique Rouchon découvrit la flûte irlandaise dans un pub irlandais de La Rochelle, et se mit à jouer de cet instrument. Elle rencontra son présent compagnon, un Britannique, de qui elle eut un second fils en 2009.
Conserver les manuscrits
Sa recherche en conservation porta d’abord sur les papiers et les encres, notamment ferrogalliques. Alertée par les dégâts de restaurations naïves, par exemple lorsqu’un document ancien est humecté d’eau, elle axa ses travaux sur les traitements de conservation, l’évaluation de leurs effets secondaires, et elle aida les responsables à se donner davantage de recul sur la conservation des manuscrits.
Après avoir rejoint (2005) le Centre de recherche sur la conservation des collections, un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), que dirige Bertrand Lavédrine, elle s’intéressa aux collections du MNHN, aux fossiles pyriteux en particulier : au contact de l’air, les sulfures se transforment en sulfates, et le fossile s’autodétruit.
Là encore, l’objectif de ses travaux est de mieux comprendre la dégradation pour mieux conserver.
Transmettre le legs du passé
Être morale est pour elle un absolu. À ce titre, elle veille non seulement à recueillir le legs du passé, à le transmettre tel quel à nos successeurs qui, mieux que nous on peut l’espérer, veilleront à son intégrité.
“ Le bonheur de se savoir entendue et comprise, de savourer l’existence et, surtout, de se sentir utile ”
Elle déplore les restaurations malencontreuses : « Je ressens de la frustration devant certaines méthodes appliquées aux manuscrits. À court terme, elles paraissent bonnes, mais engendrent à long terme de vrais dommages.
Bien sûr, les restaurateurs agissent en toute bonne foi, mais il y a un réel décalage entre certaines pratiques et les connaissances acquises ces vingt dernières années. Il faudra probablement une génération pour le résorber. »
Le rôle de l’outsider
Son approche, tant de la phase scientifique d’étude, que des techniques mises en œuvre dans une restauration est « très appliquée, empirique et phénoménologique, mais aborde aussi des questions fondamentales ». Et elle ajoute, un rien narquoise, « mon rôle est plutôt celui de l’outsider ».
Son visage, même au repos, montre une amorce de sourire. Lorsqu’il se déploie, elle est plein bonheur : de se savoir entendue et comprise, de savourer l’existence et, surtout, de se sentir utile.
Dessin : Laurent Simon
POUR EN SAVOIR PLUS
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V. Rouchon, B. Durocher, E. Pellizzi, J. Stordiau-Pallot, The Water Sensitivity of Iron Gall Ink and its Risk Assessment, Studies in Conservation 54 (2009), 236–254.
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V. Rouchon, H. Badet, O. Belhadj, O. Bonnerot, J. Dejax, D. de Franceschi, B. Lavédrine, J.-G. Michard, S. Miska. Raman and FTIR Spectroscopy Applied to the Conservation Report of Paleontological Collections : Identification of Raman and IRTF Signatures of Several Iron Sulfate Species Such as Ferrinatrite and Sideronatrite, Journal of Raman Spectrometry, 43 (2012), 1265–1274.
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G. P. Odin, D. Chabard, V. Rouchon, Étude de collections de paléontologie : de la caractérisation à la reproduction des altérations de fossiles pyriteux, CeROArt, De l’art et de la nature [en ligne], 2013, mis en ligne le 14 août 2013, : http://ceroart.revues.org/3409
RETOUCHE
article mis à jour le 13 mars 2020
Véronique Rouchon (86) offre un exemple accompli de civisme culturel. Les musées présentent des objets patrimoniaux. Des impératifs de présentation, de lisibilité, conduisent trop souvent à des interventions irréversibles qui, bien intentionnées, ajoutent leurs effets délétères à la morsure du temps.
De plus l’intervention humaine, lors des fouilles entre autres, est nocive. Ainsi, la pyrite, sulfure de fer des plus communs et donc présent dans de nombreux sites fossilifères, est particulièrement emblématique de ces phénomènes d’altération. Les fossiles dits « pyriteux », lorsqu’ils sont enfouis sous terre, généralement dans des conditions réductrices, se conservent des millions d’années. En revanche, dès leur extraction, ils ont tendance à s’oxyder en donnant lieu à des croissances cristallines de différents types de sulfates qui altèrent la lisibilité de l’empreinte fossile et fragilisent l’encaissant.
Véronique Rouchon s’est donnée comme mission d’intervenir pour une conservation-restauration, restant neutre et réversible. Pour cela, elle met à profit son acquis de physico-chimiste, un savoir qu’elle commença de se donner à l’École.
Professeure au Muséum national d’histoire naturelle, elle dirige à présent une équipe d’une trentaine de personnes au CRC, Centre de recherche de la conservation, à Paris, jouxtant le Jardin des Plantes.