Portrait Véronique ROUCHON (86)

Véronique Rouchon (86), une vie pour le patrimoine

Dossier : TrajectoiresMagazine N°710 Décembre 2015
Par Pierre LASZLO

On ne la bous­cule pas. Elle sait ce qu’elle veut, et elle le fait. Inté­res­sée depuis tou­jours par le domaine du patri­moine et de sa conser­va­tion, elle main­tient le cap avec détermination.

Ses parents sont un ingé­nieur des Mines d’Alès et une sévrienne, pro­fes­seure de mathé­ma­tiques en ter­mi­nale au lycée de Fir­mi­ny. Sa fra­trie fit aus­si de belles études, avec une sœur aînée for­mée par HEC ; et son frère Pierre, lui aus­si poly­tech­ni­cien (80), du corps des Mines, ensei­gnant ensuite les mathé­ma­tiques appli­quées aux Mines de Paris et à l’X.

Mécanique quantique

Après une pré­pa au lycée Fau­riel de Saint-Étienne, mar­quée par le cours de maths de Jean-Marie Exbrayat (sur­nom­mé le Papex), édu­ca­teur hors-normes, un extro­ver­ti sachant trans­mettre sa pas­sion pour les mathé­ma­tiques, elle inté­gra l’École.

“ Mieux comprendre la dégradation pour mieux conserver ”

D’emblée inté­res­sée par l’histoire de l’art et la conser­va­tion, elle y sui­vit le cours d’Hervé Loi­lier (67).

Par­mi ses autres cours, elle garde le sou­ve­nir de la méca­nique quan­tique, « extra­or­di­naire », de Roger Balian (52) ; qui lui fut bien utile, quelques années plus tard, pour son propre ensei­gne­ment de phy­sique, comme maître de confé­rences à l’université de La Rochelle.

L’atelier Quillet

Au cours de son ser­vice mili­taire, au régi­ment d’artillerie de Dra­gui­gnan, elle ren­con­tra Lio­nel Quillet, un col­lec­tion­neur de docu­ments anciens, pas­sion­né éga­le­ment par tous les aspects liés à leur res­tau­ra­tion et à leur conser­va­tion. Après leur mariage (1990), ils démar­rèrent à l’île de Ré l’Atelier Quillet, une PME spé­cia­li­sée dans la res­tau­ra­tion de docu­ments à plat, pour des col­lec­ti­vi­tés publiques sur­tout (une aven­ture nar­rée dans La Jaune et la Rouge, en février 1997. Véro­nique Rou­chon était alors enceinte de son pre­mier enfant).

Elle s’était don­né un doc­to­rat, sou­te­nu en 1993 à Paris-VII, sous la direc­tion de Michel Schott, qui fut pour elle, comme Jean- Marie Exbrayat ou Roger Balian, « le bon édu­ca­teur au bon moment », sur l’interaction de fais­ceaux d’ions avec des poly­mères, poly­sty­rène et poly­mé­thyl­mé­tha­cry­lates.

Les moyens de rebondir

Elle ensei­gna la phy­sique de 1993 à 2005 à l’université de La Rochelle. Au tour­nant du siècle, son mariage avec Lio­nel Quillet se déli­ta, « la réus­site socio-éco­no­mique fut pour moi un vrai échec. Avec Lio­nel, tout était mélan­gé, le pro­fes­sion­nel et le pri­vé. » Elle vécut deux-trois ans de grande soli­tude, mais « j’avais les moyens de rebon­dir ». Le plus per­son­nel fut la musique, Véro­nique Rou­chon décou­vrit la flûte irlan­daise dans un pub irlan­dais de La Rochelle, et se mit à jouer de cet ins­tru­ment. Elle ren­con­tra son pré­sent com­pa­gnon, un Bri­tan­nique, de qui elle eut un second fils en 2009.

Conserver les manuscrits

Sa recherche en conser­va­tion por­ta d’abord sur les papiers et les encres, notam­ment fer­ro­gal­liques. Aler­tée par les dégâts de res­tau­ra­tions naïves, par exemple lorsqu’un docu­ment ancien est humec­té d’eau, elle axa ses tra­vaux sur les trai­te­ments de conser­va­tion, l’évaluation de leurs effets secon­daires, et elle aida les res­pon­sables à se don­ner davan­tage de recul sur la conser­va­tion des manuscrits.

Après avoir rejoint (2005) le Centre de recherche sur la conser­va­tion des col­lec­tions, un labo­ra­toire du Muséum natio­nal d’histoire natu­relle (MNHN), que dirige Ber­trand Lavé­drine, elle s’intéressa aux col­lec­tions du MNHN, aux fos­siles pyri­teux en par­ti­cu­lier : au contact de l’air, les sul­fures se trans­forment en sul­fates, et le fos­sile s’autodétruit.

Là encore, l’objectif de ses tra­vaux est de mieux com­prendre la dégra­da­tion pour mieux conserver.

Transmettre le legs du passé

Être morale est pour elle un abso­lu. À ce titre, elle veille non seule­ment à recueillir le legs du pas­sé, à le trans­mettre tel quel à nos suc­ces­seurs qui, mieux que nous on peut l’espérer, veille­ront à son intégrité.

“ Le bonheur de se savoir entendue et comprise, de savourer l’existence et, surtout, de se sentir utile ”

Elle déplore les res­tau­ra­tions mal­en­con­treuses : « Je res­sens de la frus­tra­tion devant cer­taines méthodes appli­quées aux manus­crits. À court terme, elles paraissent bonnes, mais engendrent à long terme de vrais dommages.

Bien sûr, les res­tau­ra­teurs agissent en toute bonne foi, mais il y a un réel déca­lage entre cer­taines pra­tiques et les connais­sances acquises ces vingt der­nières années. Il fau­dra pro­ba­ble­ment une géné­ra­tion pour le résorber. »

Le rôle de l’outsider

Son approche, tant de la phase scien­ti­fique d’étude, que des tech­niques mises en œuvre dans une res­tau­ra­tion est « très appli­quée, empi­rique et phé­no­mé­no­lo­gique, mais aborde aus­si des ques­tions fon­da­men­tales ». Et elle ajoute, un rien nar­quoise, « mon rôle est plu­tôt celui de l’outsider ».

Son visage, même au repos, montre une amorce de sou­rire. Lorsqu’il se déploie, elle est plein bon­heur : de se savoir enten­due et com­prise, de savou­rer l’existence et, sur­tout, de se sen­tir utile.

Des­sin : Laurent Simon


POUR EN SAVOIR PLUS

  • V. Rouchon, B. Durocher, E. Pellizzi, J. Stordiau-Pallot, The Water Sensitivity of Iron Gall Ink and its Risk Assessment, Studies in Conservation 54 (2009), 236–254.
  • V. Rouchon, H. Badet, O. Belhadj, O. Bonnerot, J. Dejax, D. de Franceschi, B. Lavédrine, J.-G. Michard, S. Miska. Raman and FTIR Spectroscopy Applied to the Conservation Report of Paleontological Collections : Identification of Raman and IRTF Signatures of Several Iron Sulfate Species Such as Ferrinatrite and Sideronatrite, Journal of Raman Spectrometry, 43 (2012), 1265–1274.
  • G. P. Odin, D. Chabard, V. Rouchon, Étude de collections de paléontologie : de la caractérisation à la reproduction des altérations de fossiles pyriteux, CeROArt, De l’art et de la nature [en ligne], 2013, mis en ligne le 14 août 2013, : http://ceroart.revues.org/3409

RETOUCHE

article mis à jour le 13 mars 2020

Véro­nique Rou­chon (86) offre un exemple accom­pli de civisme cultu­rel. Les musées pré­sentent des objets patri­mo­niaux. Des impé­ra­tifs de pré­sen­ta­tion, de lisi­bi­li­té, conduisent trop sou­vent à des inter­ven­tions irré­ver­sibles qui, bien inten­tion­nées, ajoutent leurs effets délé­tères à la mor­sure du temps.

De plus l’intervention humaine, lors des fouilles entre autres, est nocive. Ain­si, la pyrite, sul­fure de fer des plus com­muns et donc pré­sent dans de nom­breux sites fos­si­li­fères, est par­ti­cu­liè­re­ment emblé­ma­tique de ces phé­no­mènes d’altération. Les fos­siles dits « pyri­teux », lorsqu’ils sont enfouis sous terre, géné­ra­le­ment dans des condi­tions réduc­trices, se conservent des mil­lions d’années. En revanche, dès leur extrac­tion, ils ont ten­dance à s’oxyder en don­nant lieu à des crois­sances cris­tal­lines de dif­fé­rents types de sul­fates qui altèrent la lisi­bi­li­té de l’empreinte fos­sile et fra­gi­lisent l’encaissant.

Véro­nique Rou­chon s’est don­née comme mis­sion d’intervenir pour une conser­va­tion-res­tau­ra­tion, res­tant neutre et réver­sible. Pour cela, elle met à pro­fit son acquis de phy­si­co-chi­miste, un savoir qu’elle com­men­ça de se don­ner à l’École.

Pro­fes­seure au Muséum natio­nal d’histoire natu­relle, elle dirige à pré­sent une équipe d’une tren­taine de per­sonnes au CRC, Centre de recherche de la conser­va­tion, à Paris, joux­tant le Jar­din des Plantes.

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