Isabelle Tanchou partage son expérience d'engagement dans le réseau Espérance banlieues

Une vocation : transmettre

Dossier : SolidaritéMagazine N°802 Février 2025
Par Isabelle TANCHOU (X80)

Témoi­gnage d’Isabelle Tan­chou (X80), active au pôle car­rières de l’AX, enga­gée depuis deux ans et demi dans le réseau Espé­rance ban­lieues. Il faut par­fois attendre pour mettre en évi­dence le sens de ce que l’on a fait avant. En ce qui la concerne, c’est transmettre.

Je suis ingé­nieur de l’armement, ce qui, entre autres, signi­fie une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle à 100 % (ou plus !), le temps par­tiel n’étant pas pos­sible, et ne laisse guère de place à des enga­ge­ments à des heures ouvrables en semaine. Cela a condi­tion­né beau­coup de mes choix. Je crois que, depuis très long­temps, je me sens une voca­tion pour la transmission.

Ce qui a provoqué mon engagement

Je ne peux pas dire que quelque chose en par­ti­cu­lier ait pro­vo­qué mon enga­ge­ment. Il s’agit plu­tôt d’un long che­mi­ne­ment, ponc­tué de petits évé­ne­ments. Étant fille unique, j’avais une vision plu­tôt auto­cen­trée du monde. À l’X, j’ai par­ti­ci­pé à des actions de sou­tien sco­laire au col­lège de Mas­sy et j’ai com­men­cé à décou­vrir un monde que je ne soup­çon­nais pas.

Plus tard, à l’ENSTA, avec quelques amis nous avons mon­té le pre­mier par­te­na­riat de l’école avec le lycée Camille-Sée, dans le quin­zième arron­dis­se­ment. J’ai décou­vert plus tard que ce par­te­na­riat avait dis­pa­ru, puis avait été recréé dans les années 2000 ; comme quoi, quand une idée est bonne, elle a la vie dure… Bizar­re­ment, les freins sont appa­rus où on ne les atten­dait pas : le lycée n’arrivait pas à com­prendre que nous nous pro­po­sions béné­vo­le­ment et des élèves de l’école crai­gnaient une concur­rence avec des petits cours rému­né­rés. Il a fal­lu bien expli­quer, pour mon­trer qu’il n’y avait pas de risque de concur­rence et que notre démarche était gra­tuite. La gra­tui­té peut déranger.

Concilier vie familiale et engagement

Plus tard, à la nais­sance de mes enfants, que j’ai reçue comme un cadeau, m’étant arrê­tée pour me consa­crer à eux, j’ai res­sen­ti le besoin de rendre une par­tie de ce que j’avais reçu. Je me suis donc pro­po­sée pour du sou­tien sco­laire, d’abord auprès d’une asso­cia­tion chez laquelle je n’ai eu aucun écho, puis à l’école pri­maire du vil­lage où nous habi­tions : là aus­si il a fal­lu convaincre l’école et le rec­to­rat que ma démarche était pure­ment gra­tuite, sans aucun sous-enten­du ni mili­tan­tisme. Mais cela a mar­ché et mon aide auprès d’enfants ayant des dif­fi­cul­tés de lec­ture m’a mon­tré que le fran­çais était pro­ba­ble­ment la pre­mière matière à sou­te­nir. Un peu dif­fi­cile à accep­ter par la matheuse que je suis. 

Lorsque j’étais en poste à la DGA, j’ai regar­dé avec inté­rêt ce que le minis­tère de la Défense (qui était le nom de l’actuel minis­tère des Armées) avait lan­cé en s’associant à la créa­tion de l’établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), mais mon acti­vi­té pro­fes­sion­nelle était trop loin­taine pour que je puisse prendre part à cette aven­ture. Ce qui m’a frap­pée, cepen­dant, était que les valeurs du minis­tère des Armées y étaient impor­tantes et que les notions de vie en col­lec­ti­vi­té, de res­pect, de bien­veillance, de res­pon­sa­bi­li­té et de dis­ci­pline y étaient néces­saires. Il ne s’agissait donc pas d’une simple bonne volon­té, mais d’une démarche struc­tu­rée et exi­geante : ne pas faire pour mais faire avec.

Rester en phase avec mes proches

Bien des années plus tard, enfin, j’ai été inter­pel­lée par l’engagement de mes proches. Mon mari (éga­le­ment X80), qui arrê­tait sa vie pro­fes­sion­nelle, s’est immé­diatement enga­gé comme béné­vole aux Appren­tis d’Auteuil et au Secours catho­lique, en y consa­crant une grande éner­gie. J’ai vu ce que pou­vait faire une struc­ture comme les Appren­tis et j’ai mesu­ré un peu mieux les besoins. Enfin, l’engagement de ma fille au Rocher, dans une ban­lieue de Lyon, m’a don­né un coup de fouet : com­ment, ma fille pour­rait s’engager à ce point et moi je res­te­rais bien au chaud à la mai­son, pré­ser­vée des dif­fi­cul­tés du monde ? Il fal­lait que je m’engage dès que j’arrêterais mon acti­vi­té professionnelle !

Est arri­vé alors le moment de ma retraite du corps de l’armement. Je savais que je vou­lais consa­crer une par­tie non négli­geable de mon temps à du sou­tien sco­laire et à une action en faveur des jeunes. J’avais repé­ré depuis quelque temps les actions menées par Espé­rance ban­lieues, pour ins­tal­ler des écoles en ban­lieue afin de créer ou recréer un lien social et don­ner aux enfants les moyens de trou­ver leur place dans la socié­té. Par consé­quent, lorsque la mis­sion de retour à la vie civile des offi­ciers géné­raux (MIRVOG) du minis­tère des Armées a publié une offre d’emploi dans le réseau Espé­rance ban­lieues, j’ai immé­dia­te­ment sau­té sur l’occasion pour prendre contact.

L’équipe du cours La Boussole à la rentrée 2023.
L’équipe du cours La Bous­sole à la ren­trée 2023.

Qu’est-ce que le réseau Espérance banlieues ?

C’est ain­si que je suis deve­nue béné­vole au cours La Bous­sole au cœur de la cité du Val Four­ré à Mantes-la-Jolie. Quelques mots sur cette école très atta­chante. Il s’agit d’une école pri­maire qui fait par­tie d’un réseau plus vaste d’écoles, le réseau Espé­rance ban­lieues. En fait ce n’est pas le réseau qui crée l’école, mais l’école qui demande à être rat­ta­chée au réseau. 

Le cours La Bous­sole existe depuis la ren­trée 2016 et a été créé à l’origine par des Man­tois qui croyaient à la néces­si­té d’une telle struc­ture. Ils sont d’ailleurs tou­jours très pré­sents et je les retrouve aux évé­ne­ments de l’école. Comme les autres écoles du réseau, le cours La Bous­sole pro­pose un ensei­gne­ment apo­li­tique et acon­fes­sion­nel, je tiens à le pré­ci­ser, car la presse a par­fois affir­mé le contraire. La plu­part des enfants habitent le quar­tier du Val Four­ré, mais il est impor­tant pour l’école d’étendre sa pro­po­si­tion à d’autres quar­tiers, pour mixer les popu­la­tions et les cultures. 

Je suis émer­veillée par le dyna­misme et l’engagement des ensei­gnants, tous jeunes. Ils croient en leur mis­sion et sont atta­chés à leurs élèves, tout en fai­sant preuve de fer­me­té. J’ai aus­si sou­vent enten­du le témoi­gnage de parents, fiers d’avoir don­né à leurs enfants une chance de voir leurs pers­pec­tives s’élargir au-delà du quar­tier, d’apprendre les valeurs de leur pays et d’avoir une bonne édu­ca­tion qui leur per­met­tra de trou­ver des débou­chés hors de la cité. Tout cela est concré­ti­sé par des moments forts : remise des uni­formes (un sweat avec le logo de l’école), ras­sem­ble­ment mati­nal rap­pe­lant les objec­tifs de la semaine et de la jour­née, par­ti­ci­pa­tion à des cérémonies.


Les X dans le réseau Espérance banlieues

  • Sophie Mer­ce­ron (X99), res­pon­sable admi­nis­tra­tive et finan­cière du réseau, 
  • Patrice Brès (X78), pré­sident de l’association de ges­tion du cours Charles-Péguy à Sartrouville, 
  • Pierre-Yves Letour­nel (X80), res­pon­sable des sys­tèmes d’information du réseau,
  • Chris­tophe Bois­sier (X80), pré­sident de l’association de ges­tion du cours Éric-Tabar­ly à Toulon,
  • Lio­nel Huber (X80), tré­so­rier de l’association de ges­tion du cours Guillau­met à Olivet,
  • et tous les élèves de l’X qui effec­tuent leur FHM dans une des écoles du réseau, en par­ti­cu­lier Ous­se­ma Ran­nen (X20), qui a effec­tué sa for­ma­tion à La Bous­sole, ain­si que Luc Pas­se­mard, de la même pro­mo­tion, qui est venu ani­mer un ate­lier à La Bous­sole et avait effec­tué sa FHM à Toulon.

Atelier animé par Oussema, qui a fait sa FHM à La Boussole, lors de la fête de la science.
Ate­lier ani­mé par Ous­se­ma, qui a fait sa FHM à La Bous­sole, lors de la fête de la science.

Comment mon bénévolat a évolué…

Lorsque je me suis enga­gée, je vou­lais avoir « les mains dans le cam­bouis », au plus près des enfants. En fait, un jour par semaine, régu­liè­re­ment pen­dant deux ans, j’étais à la dis­po­si­tion des ensei­gnants pour faire appro­fon­dir cer­taines notions, faire lire les enfants, être en double dans la classe avec l’enseignant pen­dant cer­taines séances, en maths par exemple, afin de gui­der les élèves dans leurs exer­cices. Para­doxa­le­ment, après avoir pen­sé que je serais plus à l’aise avec les plus grands, j’ai décou­vert qu’en réa­li­té je pré­fé­rais m’occuper des enfants de CP ou CE1. J’ai pro­po­sé aus­si un ate­lier de lec­ture pen­dant la pause de midi, tous les enfants ne sou­hai­tant pas jouer au foot : j’ai ain­si décou­vert des enfants très atta­chants, rap­pe­lant dès le matin à « Madame Isa­belle » qu’elle était atten­due pour un ate­lier de lecture !

“Je voulais avoir les mains dans le cambouis.”

L’école ayant fêté les dix ans du réseau lors d’une fête de la science, j’ai contri­bué à l’organisation de la jour­née et aux rela­tions avec les entre­prises sol­li­ci­tées pour des démons­tra­tions. Là aus­si de très bons moments, où ont pu se retrou­ver élèves, parents d’élèves, équipe des per­ma­nents, béné­voles et repré­sen­tants du réseau ! Appar­te­nir au réseau poly­tech­ni­cien m’a été d’un grand secours et, par exemple, Bru­no Ber­thet (X78), pré­sident du groupe des indus­tries métal­lur­giques (GIM), m’a aidée à éta­blir des contacts avec deux centres de for­ma­tion d’apprentis implan­tés à Mantes-la-Jolie. À noter l’animation d’un ate­lier « vol­cans » par deux élèves de l’X, Ous­se­ma et Luc, ayant effec­tué leur for­ma­tion humaine et mili­taire (FHM) dans une des écoles du réseau.

… et comment j’ai dû le doser

Je consacre une jour­née par semaine à ce béné­vo­lat. Il est par­fois dif­fi­cile de conju­guer cela avec les deux jour­nées que je consacre au pôle car­rières de l’AX. Par ailleurs, j’interviens en tant qu’experte pour la CTI (Com­mis­sion des titres d’ingénieur) et suis des cours de langue. Entre autres. Conju­guer tout cela est par­fois acro­ba­tique. D’autant plus que je veux conser­ver du temps pour ma famille, notam­ment mes deux petits-enfants tout neufs.

Depuis la ren­trée de sep­tembre, j’ai chan­gé la nature de mon enga­ge­ment, notam­ment en rai­son des tra­jets. J’aide à pré­sent la res­pon­sable des par­te­na­riats à trou­ver de nou­veaux sou­tiens. En effet, l’école étant hors contrat et béné­fi­ciant de peu de sub­ven­tions, il est indis­pen­sable de trou­ver des par­te­naires au long cours, ne serait-ce que pour garan­tir le salaire des ensei­gnants. De plus, le tis­su man­tois est beau­coup moins déve­lop­pé que les sec­teurs plus proches de la région pari­sienne. J’ai donc moins « les mains dans le cam­bouis » et m’intéresse plus aux ques­tions de stra­té­gie et de déve­lop­pe­ment de l’école.

Isabelle Tanchou en pleine séance de remédiation en mathématiques au sein du réseau Espérance banlieues. Avec doigts et boulier !
Séance de remé­dia­tion en mathé­ma­tiques. Avec doigts et boulier !

« Retex » sur mon parcours

On est for­cé­ment trans­for­mé par une telle expé­rience, qui bous­cule les idées toutes faites que l’on peut avoir. On découvre déjà qu’on est capable d’expliquer des choses qui peuvent nous paraître évi­dentes, par exemple la dif­fé­rence entre l’addition et la mul­ti­pli­ca­tion. Être béné­vole, c’est aus­si se mettre au ser­vice et néces­site d’aborder sa mis­sion avec humi­li­té : ce n’est pas parce qu’on est ingé­nieur, avec une longue expé­rience der­rière soi, qu’on est en droit de don­ner des leçons et de s’imposer. J’ai aus­si été émer­veillée par l’immense enga­ge­ment de l’équipe édu­ca­tive, des autres béné­voles, de l’encadrement. Là aus­si, cela rend humble et pousse à s’engager. Ça fait plai­sir de voir de tels témoi­gnages, à une époque que l’on nous dit mar­quée par la démis­sion et l’individualisme. Cela me donne foi en l’avenir.

Ce qui m’a mar­quée par ailleurs, au cours de toutes les expé­riences que j’ai eues avant La Bous­sole, c’est d’expliquer la gra­tui­té de ma démarche. La gra­tui­té est par­fois mal com­prise. Pour­tant, elle per­met de ne pas quan­ti­fier son enga­ge­ment en attente d’une rétri­bu­tion. Elle est un don et non un dû. Elle pro­cède donc plus du cœur que de la raison.

“La gratuité est un don et non un dû.”

De plus, cette expé­rience m’a confir­mé la néces­si­té de tels lieux où « faire socié­té ». Un des slo­gans de l’école est d’ailleurs : « L’école, pre­mière petite socié­té ». Et, pour bâtir cette socié­té, se connaître mutuel­le­ment, un lan­gage com­mun est néces­saire : n’oublions pas que les construc­teurs de Babel se sont divi­sés lorsqu’ils n’avaient plus de langue com­mune. L’apprentissage du fran­çais est donc une néces­si­té. Enfin, j’ai décou­vert que les besoins en béné­vo­lat sont immenses et qu’il n’y a pas de risque de se mar­cher sur les pieds. Le champ à labou­rer est vaste et manque de labou­reurs. Inter­ve­nir comme béné­vole est très dif­fé­rent d’un enga­ge­ment comme sala­rié per­ma­nent. Il ne s’agit pas de pal­lier un manque de per­son­nel ou faire faire des éco­no­mies, mais d’apporter quelque chose de dif­fé­rent. Le béné­vole peut créer des ponts, le tout sous le signe de la gratuité.

Cela me gêne tou­jours de par­ler du sens d’une acti­vi­té. Pour moi, toute acti­vi­té a un sens, cela dépend de la façon dont on l’exerce et des rela­tions que l’on tisse. Le pour­quoi est plus impor­tant que le quoi, en résu­mé. Donc oui, cette acti­vi­té a du sens, tout comme ma vie pro­fes­sion­nelle pas­sée et bien sûr ma vie fami­liale. Cette acti­vi­té contri­bue à l’unifier.


Le cours La Boussole en bref 

  • https://courslaboussole.esperancebanlieues.org
  • École hors contrat du réseau Espé­rance ban­lieues (https://esperancebanlieues.org).
  • Méthodes péda­go­giques inno­vantes : méthodes Sin­ga­pour, Mon­tes­so­ri, Nuyts.
  • Orga­ni­sa­tion en équi­pages com­po­sés d’un enfant pour chaque niveau, ce qui res­pon­sa­bi­lise chacun.
  • Adhé­sion des parents au pro­jet péda­go­gique par la signa­ture d’une charte.
  • Six classes de la petite sec­tion au CM2.
  • 74 élèves.
  • 15 élèves par classe au maximum.
  • 10 membres de l’équipe éducative.
  • 8 béné­voles.

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