Une vocation : transmettre
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Témoignage d’Isabelle Tanchou (X80), active au pôle carrières de l’AX, engagée depuis deux ans et demi dans le réseau Espérance banlieues. Il faut parfois attendre pour mettre en évidence le sens de ce que l’on a fait avant. En ce qui la concerne, c’est transmettre.
Je suis ingénieur de l’armement, ce qui, entre autres, signifie une activité professionnelle à 100 % (ou plus !), le temps partiel n’étant pas possible, et ne laisse guère de place à des engagements à des heures ouvrables en semaine. Cela a conditionné beaucoup de mes choix. Je crois que, depuis très longtemps, je me sens une vocation pour la transmission.
Ce qui a provoqué mon engagement
Je ne peux pas dire que quelque chose en particulier ait provoqué mon engagement. Il s’agit plutôt d’un long cheminement, ponctué de petits événements. Étant fille unique, j’avais une vision plutôt autocentrée du monde. À l’X, j’ai participé à des actions de soutien scolaire au collège de Massy et j’ai commencé à découvrir un monde que je ne soupçonnais pas.
Plus tard, à l’ENSTA, avec quelques amis nous avons monté le premier partenariat de l’école avec le lycée Camille-Sée, dans le quinzième arrondissement. J’ai découvert plus tard que ce partenariat avait disparu, puis avait été recréé dans les années 2000 ; comme quoi, quand une idée est bonne, elle a la vie dure… Bizarrement, les freins sont apparus où on ne les attendait pas : le lycée n’arrivait pas à comprendre que nous nous proposions bénévolement et des élèves de l’école craignaient une concurrence avec des petits cours rémunérés. Il a fallu bien expliquer, pour montrer qu’il n’y avait pas de risque de concurrence et que notre démarche était gratuite. La gratuité peut déranger.
Concilier vie familiale et engagement
Plus tard, à la naissance de mes enfants, que j’ai reçue comme un cadeau, m’étant arrêtée pour me consacrer à eux, j’ai ressenti le besoin de rendre une partie de ce que j’avais reçu. Je me suis donc proposée pour du soutien scolaire, d’abord auprès d’une association chez laquelle je n’ai eu aucun écho, puis à l’école primaire du village où nous habitions : là aussi il a fallu convaincre l’école et le rectorat que ma démarche était purement gratuite, sans aucun sous-entendu ni militantisme. Mais cela a marché et mon aide auprès d’enfants ayant des difficultés de lecture m’a montré que le français était probablement la première matière à soutenir. Un peu difficile à accepter par la matheuse que je suis.
Lorsque j’étais en poste à la DGA, j’ai regardé avec intérêt ce que le ministère de la Défense (qui était le nom de l’actuel ministère des Armées) avait lancé en s’associant à la création de l’établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), mais mon activité professionnelle était trop lointaine pour que je puisse prendre part à cette aventure. Ce qui m’a frappée, cependant, était que les valeurs du ministère des Armées y étaient importantes et que les notions de vie en collectivité, de respect, de bienveillance, de responsabilité et de discipline y étaient nécessaires. Il ne s’agissait donc pas d’une simple bonne volonté, mais d’une démarche structurée et exigeante : ne pas faire pour mais faire avec.
Rester en phase avec mes proches
Bien des années plus tard, enfin, j’ai été interpellée par l’engagement de mes proches. Mon mari (également X80), qui arrêtait sa vie professionnelle, s’est immédiatement engagé comme bénévole aux Apprentis d’Auteuil et au Secours catholique, en y consacrant une grande énergie. J’ai vu ce que pouvait faire une structure comme les Apprentis et j’ai mesuré un peu mieux les besoins. Enfin, l’engagement de ma fille au Rocher, dans une banlieue de Lyon, m’a donné un coup de fouet : comment, ma fille pourrait s’engager à ce point et moi je resterais bien au chaud à la maison, préservée des difficultés du monde ? Il fallait que je m’engage dès que j’arrêterais mon activité professionnelle !
Est arrivé alors le moment de ma retraite du corps de l’armement. Je savais que je voulais consacrer une partie non négligeable de mon temps à du soutien scolaire et à une action en faveur des jeunes. J’avais repéré depuis quelque temps les actions menées par Espérance banlieues, pour installer des écoles en banlieue afin de créer ou recréer un lien social et donner aux enfants les moyens de trouver leur place dans la société. Par conséquent, lorsque la mission de retour à la vie civile des officiers généraux (MIRVOG) du ministère des Armées a publié une offre d’emploi dans le réseau Espérance banlieues, j’ai immédiatement sauté sur l’occasion pour prendre contact.
![L’équipe du cours La Boussole à la rentrée 2023.](https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2025/01/equipe-permanents-et-benevoles-1024x576.jpg)
Qu’est-ce que le réseau Espérance banlieues ?
C’est ainsi que je suis devenue bénévole au cours La Boussole au cœur de la cité du Val Fourré à Mantes-la-Jolie. Quelques mots sur cette école très attachante. Il s’agit d’une école primaire qui fait partie d’un réseau plus vaste d’écoles, le réseau Espérance banlieues. En fait ce n’est pas le réseau qui crée l’école, mais l’école qui demande à être rattachée au réseau.
Le cours La Boussole existe depuis la rentrée 2016 et a été créé à l’origine par des Mantois qui croyaient à la nécessité d’une telle structure. Ils sont d’ailleurs toujours très présents et je les retrouve aux événements de l’école. Comme les autres écoles du réseau, le cours La Boussole propose un enseignement apolitique et aconfessionnel, je tiens à le préciser, car la presse a parfois affirmé le contraire. La plupart des enfants habitent le quartier du Val Fourré, mais il est important pour l’école d’étendre sa proposition à d’autres quartiers, pour mixer les populations et les cultures.
Je suis émerveillée par le dynamisme et l’engagement des enseignants, tous jeunes. Ils croient en leur mission et sont attachés à leurs élèves, tout en faisant preuve de fermeté. J’ai aussi souvent entendu le témoignage de parents, fiers d’avoir donné à leurs enfants une chance de voir leurs perspectives s’élargir au-delà du quartier, d’apprendre les valeurs de leur pays et d’avoir une bonne éducation qui leur permettra de trouver des débouchés hors de la cité. Tout cela est concrétisé par des moments forts : remise des uniformes (un sweat avec le logo de l’école), rassemblement matinal rappelant les objectifs de la semaine et de la journée, participation à des cérémonies.
Les X dans le réseau Espérance banlieues
- Sophie Merceron (X99), responsable administrative et financière du réseau,
- Patrice Brès (X78), président de l’association de gestion du cours Charles-Péguy à Sartrouville,
- Pierre-Yves Letournel (X80), responsable des systèmes d’information du réseau,
- Christophe Boissier (X80), président de l’association de gestion du cours Éric-Tabarly à Toulon,
- Lionel Huber (X80), trésorier de l’association de gestion du cours Guillaumet à Olivet,
- et tous les élèves de l’X qui effectuent leur FHM dans une des écoles du réseau, en particulier Oussema Rannen (X20), qui a effectué sa formation à La Boussole, ainsi que Luc Passemard, de la même promotion, qui est venu animer un atelier à La Boussole et avait effectué sa FHM à Toulon.
![Atelier animé par Oussema, qui a fait sa FHM à La Boussole, lors de la fête de la science.](https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2025/01/2X-animant-un-atelier-a-la-fete-de-la-science-copie-1024x576.jpg)
Comment mon bénévolat a évolué…
Lorsque je me suis engagée, je voulais avoir « les mains dans le cambouis », au plus près des enfants. En fait, un jour par semaine, régulièrement pendant deux ans, j’étais à la disposition des enseignants pour faire approfondir certaines notions, faire lire les enfants, être en double dans la classe avec l’enseignant pendant certaines séances, en maths par exemple, afin de guider les élèves dans leurs exercices. Paradoxalement, après avoir pensé que je serais plus à l’aise avec les plus grands, j’ai découvert qu’en réalité je préférais m’occuper des enfants de CP ou CE1. J’ai proposé aussi un atelier de lecture pendant la pause de midi, tous les enfants ne souhaitant pas jouer au foot : j’ai ainsi découvert des enfants très attachants, rappelant dès le matin à « Madame Isabelle » qu’elle était attendue pour un atelier de lecture !
“Je voulais avoir les mains dans le cambouis.”
L’école ayant fêté les dix ans du réseau lors d’une fête de la science, j’ai contribué à l’organisation de la journée et aux relations avec les entreprises sollicitées pour des démonstrations. Là aussi de très bons moments, où ont pu se retrouver élèves, parents d’élèves, équipe des permanents, bénévoles et représentants du réseau ! Appartenir au réseau polytechnicien m’a été d’un grand secours et, par exemple, Bruno Berthet (X78), président du groupe des industries métallurgiques (GIM), m’a aidée à établir des contacts avec deux centres de formation d’apprentis implantés à Mantes-la-Jolie. À noter l’animation d’un atelier « volcans » par deux élèves de l’X, Oussema et Luc, ayant effectué leur formation humaine et militaire (FHM) dans une des écoles du réseau.
… et comment j’ai dû le doser
Je consacre une journée par semaine à ce bénévolat. Il est parfois difficile de conjuguer cela avec les deux journées que je consacre au pôle carrières de l’AX. Par ailleurs, j’interviens en tant qu’experte pour la CTI (Commission des titres d’ingénieur) et suis des cours de langue. Entre autres. Conjuguer tout cela est parfois acrobatique. D’autant plus que je veux conserver du temps pour ma famille, notamment mes deux petits-enfants tout neufs.
Depuis la rentrée de septembre, j’ai changé la nature de mon engagement, notamment en raison des trajets. J’aide à présent la responsable des partenariats à trouver de nouveaux soutiens. En effet, l’école étant hors contrat et bénéficiant de peu de subventions, il est indispensable de trouver des partenaires au long cours, ne serait-ce que pour garantir le salaire des enseignants. De plus, le tissu mantois est beaucoup moins développé que les secteurs plus proches de la région parisienne. J’ai donc moins « les mains dans le cambouis » et m’intéresse plus aux questions de stratégie et de développement de l’école.
![Isabelle Tanchou en pleine séance de remédiation en mathématiques au sein du réseau Espérance banlieues. Avec doigts et boulier !](https://www.lajauneetlarouge.com/wp-content/uploads/2025/01/Remediation-2024-01-18-1024x576.jpg)
« Retex » sur mon parcours
On est forcément transformé par une telle expérience, qui bouscule les idées toutes faites que l’on peut avoir. On découvre déjà qu’on est capable d’expliquer des choses qui peuvent nous paraître évidentes, par exemple la différence entre l’addition et la multiplication. Être bénévole, c’est aussi se mettre au service et nécessite d’aborder sa mission avec humilité : ce n’est pas parce qu’on est ingénieur, avec une longue expérience derrière soi, qu’on est en droit de donner des leçons et de s’imposer. J’ai aussi été émerveillée par l’immense engagement de l’équipe éducative, des autres bénévoles, de l’encadrement. Là aussi, cela rend humble et pousse à s’engager. Ça fait plaisir de voir de tels témoignages, à une époque que l’on nous dit marquée par la démission et l’individualisme. Cela me donne foi en l’avenir.
Ce qui m’a marquée par ailleurs, au cours de toutes les expériences que j’ai eues avant La Boussole, c’est d’expliquer la gratuité de ma démarche. La gratuité est parfois mal comprise. Pourtant, elle permet de ne pas quantifier son engagement en attente d’une rétribution. Elle est un don et non un dû. Elle procède donc plus du cœur que de la raison.
“La gratuité est un don et non un dû.”
De plus, cette expérience m’a confirmé la nécessité de tels lieux où « faire société ». Un des slogans de l’école est d’ailleurs : « L’école, première petite société ». Et, pour bâtir cette société, se connaître mutuellement, un langage commun est nécessaire : n’oublions pas que les constructeurs de Babel se sont divisés lorsqu’ils n’avaient plus de langue commune. L’apprentissage du français est donc une nécessité. Enfin, j’ai découvert que les besoins en bénévolat sont immenses et qu’il n’y a pas de risque de se marcher sur les pieds. Le champ à labourer est vaste et manque de laboureurs. Intervenir comme bénévole est très différent d’un engagement comme salarié permanent. Il ne s’agit pas de pallier un manque de personnel ou faire faire des économies, mais d’apporter quelque chose de différent. Le bénévole peut créer des ponts, le tout sous le signe de la gratuité.
Cela me gêne toujours de parler du sens d’une activité. Pour moi, toute activité a un sens, cela dépend de la façon dont on l’exerce et des relations que l’on tisse. Le pourquoi est plus important que le quoi, en résumé. Donc oui, cette activité a du sens, tout comme ma vie professionnelle passée et bien sûr ma vie familiale. Cette activité contribue à l’unifier.
Le cours La Boussole en bref
- https://courslaboussole.esperancebanlieues.org
- École hors contrat du réseau Espérance banlieues (https://esperancebanlieues.org).
- Méthodes pédagogiques innovantes : méthodes Singapour, Montessori, Nuyts.
- Organisation en équipages composés d’un enfant pour chaque niveau, ce qui responsabilise chacun.
- Adhésion des parents au projet pédagogique par la signature d’une charte.
- Six classes de la petite section au CM2.
- 74 élèves.
- 15 élèves par classe au maximum.
- 10 membres de l’équipe éducative.
- 8 bénévoles.