Une X dans la recherche : où en est la parité femmes-hommes au CNRS ?
Cécile Sykes (X84), directrice de recherche au CNRS, présente la politique volontariste mise en place dans cet organisme pour développer l’égalité femmes-hommes. Au-delà du constat, elle témoigne des vertus de l’engagement professionnel dans la recherche et du vécu d’une femme dans ce milieu.
Nous sommes loin de la parité dans le domaine de la recherche. Le problème est connu depuis plusieurs années et la démarche pour améliorer l’équité entre les femmes et les hommes a été de sensibiliser en priorité les comités d’évaluation de la recherche, pour les promotions et le financement de la recherche.
Des mérites de la parité
Mais d’abord, pourquoi la parité est-elle souhaitée dans le monde professionnel ou académique ? Chacun aurait une réponse différente : davantage d’égalité entre les humains, davantage de diversité d’opinion et de point de vue, davantage de justice, une proportion plus représentative de la société, etc. Personnellement, pour avoir participé à de nombreux comités d’évaluation de projets scientifiques ou de promotion dans le monde académique, en France ou à l’étranger, je peux témoigner sans hésitation que les comités dans lesquels la parité est respectée sont bien plus collégiaux, bien plus efficaces, bien plus agréables et bien plus ouverts à la discussion que ceux dans lesquels je me suis retrouvée être la seule femme. Aujourd’hui, dans les jurys de thèse, les jurys de concours, les comités d’évaluation de projet, les règles et les lois imposent que la parité soit respectée. Ces règles sont bien suivies, même si l’on peut parfois entendre un homme (ou une femme – sic !) dire publiquement, à tort : « Mais c’est compliqué de respecter cette règle de la parité car il n’y a aucun expert femme dans ce domaine. » Voyons la conséquence positive de ces règles et lois sur la parité : désormais, quand on constitue un comité, il devient naturel de penser dès le début à des noms de femmes… et il y en a !
REPÈRES
La voie de la recherche est l’une des orientations possibles pour les élèves à l’issue de l’X. Le nombre d’hommes et de femmes ayant choisi cette voie, comptabilisé à partir des données de l’AX fondées sur le déclaratif de ses adhérents, donne les chiffres suivants : depuis 1972, année à laquelle l’X a été ouverte aux femmes, 263 femmes et hommes issus de l’X déclarent travailler pour des organismes nationaux de recherche français, à la date de janvier 2022. Parmi eux figurent 43 femmes, ce qui représente une proportion de 16 %. Sur 178 X femmes et hommes déclarant travailler au CNRS, 34 sont des femmes, soit une proportion de 19 %. Il est à noter que nous n’avons pas distingué les chercheurs du personnel d’appui à la recherche, ni les CDI des CDD. Ces proportions sont supérieures à celles des femmes à l’X, mais inférieures à celles des femmes dans la recherche française, même en ne comptant que les sciences dures, au CNRS en particulier.
L’exemple du CNRS
Le CNRS a une politique très volontariste sur la parité depuis de nombreuses années. Ainsi, en 2001, il a été le premier établissement public à caractère scientifique et technologique en France à se doter d’une structure dédiée, la Mission pour la place des femmes (MPDF, https://mpdf.cnrs.fr/). Cette structure est chargée d’impulser, de conseiller et d’évaluer la prise en compte du genre dans la politique globale de l’établissement. Deux ans plus tard, en 2003, le CNRS a signé un accord-cadre de coopération sur la parité dans les sciences avec les ministères concernés. Le PDG actuel, Antoine Petit, a multiplié les témoignages de soutien à la parité dans les sciences. Ainsi, le 16 juillet 2019, toutes les femmes employées par le CNRS ont reçu du PDG une lettre les encourageant à se présenter à des promotions et à des postes à responsabilité. Cette lettre n’a pas été appréciée de tout le personnel : certaines femmes considèrent que le PDG (qui est un homme) sous-entend que les femmes sont incapables de penser par elles-mêmes, certains hommes n’apprécient pas cette discrimination positive que seules les femmes soient contactées par le PDG. Personnellement, j’étais très heureuse de recevoir cette lettre, très heureuse que le dirigeant de mon organisme de recherche s’adresse au personnel pour partager ses attentes. Par ailleurs, cette lettre a déclenché en moi une prise de conscience de nombreux biais de genre (ou stéréotypes) que j’avais vus à l’œuvre au cours de ma carrière, dans des comités d’évaluation ou parmi mes collègues proches, qu’ils soient des femmes ou des hommes ; je reviendrai sur ce point. La même année, en 2019, il a été enjoint aux comités d’évaluation pour les promotions du personnel du CNRS de proposer des promotions non plus en proportion du nombre de candidates, mais en proportion du nombre de femmes dans le vivier. Cela signifie, par exemple, que si NF est le nombre de femmes chargées de recherche, NH le nombre d’hommes chargés de recherche, CF le nombre de candidates au grade supérieur et CH le nombre de candidats hommes, la proportion de femmes sur la liste des proposés à la promotion devra être égale ou supérieure à NF/(NH+NF) et non pas CF/(CH+CF) qui se trouve souvent être inférieur à NF/(NH+NF). C’est une recommandation forte. Cela ne peut pas être une loi. Cette année en septembre 2022, à l’occasion du nouveau mandat des comités d’évaluation du Comité national de la recherche scientifique, la MPDF a mis au point une formation en ligne sous la forme d’un module de sensibilisation sur l’égalité femmes-hommes dans la recherche accessible à tous les membres des comités, avec une bibliographie pour approfondir le sujet, des ressources pratiques, ainsi qu’une attestation bilingue de suivi de cette formation. Enfin, une journée internationale sur la parité a été organisée par le CNRS le 10 février 2022 dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.
Quels résultats au CNRS ?
Le constat est que, malgré toutes ces mesures, si un léger rééquilibrage est notable depuis quelques années, la proportion de chercheurs hommes tous niveaux confondus au CNRS reste largement supérieure à 50 %, avec un déséquilibre le plus criant dans certaines disciplines comme les mathématiques, la physique, l’ingénierie et l’informatique. Pourquoi ? L’une des raisons est que nous avons tous, que nous soyons des femmes ou des hommes, des difficultés à combattre les stéréotypes de genre qui sont profondément ancrés dans notre inconscient. Notre propre raison a du mal à les évaluer et les verbaliser. La bonne nouvelle est qu’ils peuvent aujourd’hui être mesurés par des tests. Ces tests quantifient, entre autres, à quelle vitesse nous associons des objets ou des professions au genre (homme ou femme) et j’encourage le lecteur ou la lectrice à faire l’un de ces tests en ligne (par exemple https://implicit.harvard.edu/implicit/france/takeatest.html). Il ou elle pourra être surpris(e) d’avoir un biais de genre (c’est-à-dire d’associer certains métiers académiques à des femmes et non pas à des hommes et vice versa), alors qu’il ou elle serait profondément convaincu(e) de la nécessité de la parité. Ma première recommandation est de ne pas culpabiliser si c’est le cas. Si vous avez, à votre insu, un biais (ou un stéréotype) de genre, c’est en grande partie dû à des influences sociales et d’éducation. Le fait que vous ayez accepté d’évaluer votre stéréotype est une première étape vers la compréhension de ce processus. Une bonne nouvelle est que la seule connaissance de l’existence de biais implicites parmi les membres de jurys d’évaluation ou de promotion leur permet de faire un travail plus juste, ainsi que cela a été montré par des équipes de sociologues du CNRS (https://www.cnrs.fr/fr/meme-les-scientifiques-ont-des-stereotypes-de-genre-qui-peuvent-freiner-la-carriere-des-chercheuses). Ce travail montre en effet que les jurys qui nient ou minimisent l’existence de biais implicites, s’ils sont forts, promeuvent moins de femmes. À l’inverse, lorsque les jurys admettent la possibilité d’un biais, les stéréotypes implicites, quelle que soit leur force, n’ont plus aucune influence.
Des différences selon le domaine
Analysons maintenant la parité pour chaque domaine de recherche. Le CNRS est organisé en dix instituts regroupant les chercheurs et les laboratoires dans dix domaines. Chacun des dix domaines scientifiques du CNRS a son histoire et, si je peux me permettre, ses « coutumes » ou, de manière plus politiquement correcte, son « fonctionnement » qui lui est propre. Il n’y a pas (ou pas encore) de données sur les biais implicites dans chaque institut. Certains instituts comptaient en 2019, parmi leurs chercheurs, (presque) autant de femmes que d’hommes (l’Institut des sciences humaines et sociales, INSHS ; l’Institut des sciences biologiques, INSB) ; d’autres sont de manière évidente en déficit de femmes (l’Institut des sciences mathématiques et de leurs interactions, INSMI ; l’Institut de physique, INP ; l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions, INS2I ; l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes, INSIS).
L’indice d’avantage masculin
Certains domaines pourraient se féliciter d’attirer davantage de femmes. Mais attention, il ne suffit pas de les attirer, il faut aussi se préoccuper qu’elles soient promues autant que les hommes ! L’indice d’avantage masculin (carré bleu sur le graphique ci-contre) mesure la proportion relative d’hommes promus directeurs de recherche. Si cet indice est égal à 1, autant d’hommes que de femmes sont promus dans le vivier en proportion. Si cet indice est supérieur à 1, cela signifie que les hommes sont proportionnellement davantage promus que les femmes. Intéressons-nous à la corrélation entre le nombre de femmes et cet avantage masculin. Notons par exemple que l’INSB, qui est le deuxième institut pour sa proportion de femmes, est le plus « masculin » de tous les instituts, en ce sens que l’indice d’avantage masculin y est le plus élevé de tous les instituts. L’INS2I, qui comporte le moins de femmes, a un indice d’avantage masculin remarquablement paritaire, égal à 1. Les instituts qui comportent le moins de femmes se sont en effet emparés de la question de la parité de manière très volontaire, depuis plusieurs années. Ainsi, l’INS2I a créé un comité ad hoc pour proposer une communication, en particulier auprès des jeunes, afin de prévenir les stéréotypes de genre sur les métiers de l’informatique. L’INP organise, dans le même esprit, depuis deux ans, une formation pour accompagner le parcours des femmes physiciennes. Les instituts dans lesquels les femmes sont en plus petite proportion se mobilisent donc sur le sujet. Les autres suivront, car ne rien faire consisterait à laisser perdurer les stéréotypes de genre et, de ce fait, les inégalités entre les femmes et les hommes.
“Nous avons tous, que nous soyons des femmes ou des hommes, des difficultés à combattre les stéréotypes de genre.”
Des vertus de la recherche
Pour une femme comme pour un homme, la voie de la recherche est une merveilleuse aventure de créativité et d’invention. La formation dispensée à l’École polytechnique est d’un niveau et d’une rigueur exceptionnels. Cette rigueur ne m’a jamais quittée, et la passion de comprendre m’a permis de résoudre, avec mon équipe, des sujets difficiles à l’interface entre la physique et les sciences du vivant. Ainsi, par exemple, nous avons identifié le mécanisme du mouvement par l’assemblage du biopolymère actine (avec le développement de systèmes biomimétiques qui se déplacent « comme une cellule » https://www.canal‑u.tv/chaines/utls/la-physique-et-ses-applications/la-physique-a-l-echelle-de-la-cellule) et nous avons pu mesurer l’activité des globules rouges. Quel métier plus passionnant que d’avoir des idées et de les mettre en œuvre avec des collaborateurs pluridisciplinaires ? Quel émerveillement professionnel plus intense que de reproduire les fonctions du vivant avec des systèmes épurés et de comprendre les lois physiques qui les sous-tendent ? La passion pour la recherche n’est pas incompatible avec une vie privée épanouissante, contrairement à ce que peuvent véhiculer certaines collègues de l’Institut Pasteur qui pensent que « la recherche, c’est un peu comme entrer au Carmel » (cf. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/25/francoise-barre-sinoussi-la-recherche-c-est-un-peu-comme-entrer-au-carmel_6077957_1650684.html). Nous avons pu voir, au contraire, lors de la crise sanitaire, que toute la société s’est emparée de la rage de comprendre cette épidémie : il y a eu des débats vifs et documentés, et les raisonnements scientifiques flous ou mal étayés se sont (presque) estompés. Comparer les scientifiques à un ordre religieux contemplatif place les scientifiques en dehors de la société alors qu’ils doivent, à l’inverse, se placer au sein de la société et irriguer, animer et transmettre la démarche scientifique et le raisonnement dans l’éducation et les médias. Enfin, je voudrais ici témoigner que d’avoir des enfants m’a donné cette merveilleuse possibilité d’être sans arrêt remise en question par la nouvelle génération. Accepter le débat et la remise en question est une démarche absolument nécessaire à une recherche de qualité.
Je voudrais conclure par cette remarque qu’il est souvent recommandé aux jeunes de choisir un métier en leur demandant s’ils souhaitent, plus tard, ressembler aux personnes qui exercent ce métier. Je ne me suis jamais posé la question du genre quand j’ai choisi la voie de la recherche après l’X. C’est seulement très récemment que j’ai pris la pleine mesure que les biais de genre ne sont pas les mêmes dans les différents domaines de recherche. Je forme ici le vœu que, dans la recherche française, la femme puisse être (professionnellement) l’égale de l’homme et que des carrières de femmes inspirent des carrières d’hommes et vice versa.