Le vélo, un mode sobre et résilient pour préparer l’avenir
C’est de son confinement à Bourg-la-Reine qu’Aurélien Bigo, doctorant au CREST, passionné de vélo depuis toujours, a confié à La J & R ses découvertes sur l’évolution de l’usage du vélo à l’occasion de crises récentes.
JR : Aurélien, parlez-nous de votre parcours.
AB : J’ai commencé par des études de géologie à Beauvais : on est un peu loin de la spécialité d’aujourd’hui ! De là, j’ai fait un master en économie de l’environnement, avec un stage de fin d’études sur la transition énergétique dans les transports en France. Le domaine m’a passionné, et j’ai donc poursuivi par ma thèse en cours, qui traite notamment la question de savoir comment notre pays pourra être au rendez-vous de ses objectifs environnement en 2050.
JR : À ce sujet, au moment où nous avons cet entretien, la twittosphère commente le fait, a priori curieux, que malgré l’effondrement du transport dû aux mesures prises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, on relève des pics importants de pollution aux particules fines en plusieurs régions de France, et en particulier dans l’Ouest.
AB : Ce n’est pas étonnant : les transports ne représentent que 15 à 20 % des émissions nationales de particules fines. Cette pollution est donc plus concentrée dans les zones urbanisées, où vit la population. La part des transports dans les émissions de particules fines est par exemple de l’ordre de 35–40 % en Île-de-France et plus de 50 % à Paris. Donc, le quasi arrêt de transports en ce moment est masqué par les émissions dues aux autres sources, tels que le chauffage ou l’industrie, qui peuvent être importées d’autres régions ou d’autres pays par le vent. Mais sur d’autres types de polluants (gaz à effet de serre, NOx…), la part des transports est plus sensible.
JR : Pourquoi vous être intéressé au vélo dans la transition énergétique ?
AB : Bien avant d’en faire un sujet de recherche, je me suis toujours intéressé au vélo, qui me semble être un mode très vertueux : c’est un mode de transport très économe en ressources, en espace occupé, peu coûteux, avec de fortes externalités positives, notamment en matière de santé. J’ai découvert à l’occasion de mes recherches à quel point, contrairement à une idée reçue, même en France les gens pouvaient se mettre au vélo. Ce n’est pas un trait de « caractère national », comme on pourrait opposer sur ce point les Français par exemple aux Hollandais. C’est avant tout une question de choix d’infrastructures et de politiques publiques.
JR : Quel est, selon vous, le potentiel du vélo pour participer à la transition énergétique ?
AB : Les pays les plus avancés sur le vélo montrent qu’il est possible de monter à des parts modales (en nombre de trajets en vélo sur le total des trajets réalisés) de l’ordre de 30 %, avec de nombreux bénéfices sur les embouteillages, le nombre de places de stationnement pour les voitures, le bruit ou la santé. En revanche, comme ce sont plutôt des trajets courts, le potentiel en termes de nombre de kilomètres parcourus est plus faible. La baisse d’émissions identifiée dans certains scénarios de prospective français montre un effet direct d’une réduction de 5 % des émissions du transport de voyageurs liée à un développement significatif du vélo d’ici 2050. Mais d’autres effets indirects rentrent en jeu. Selon les modes de transport utilisés, c’est l’ensemble de notre mobilité que l’on peut reconsidérer. L’usage du vélo encourage à faire de plus petites distances, à favoriser par exemple les commerces de proximité ou à choisir un travail ou un logement qui minimise la distance domicile-travail.
JR : Venons-en à vos observations à l’occasion des crises récentes.
AB : Lors des grandes grèves récentes, on a cherché à observer l’évolution du trafic vélo à Paris. Il y a eu dans un premier temps une forte augmentation de ce trafic : bien des gens n’avaient pas d’autre choix pour se rendre encore à leur travail. Mais la chose intéressante est que, une fois que les transports en commun ont repris leur service normal, le trafic vélo s’est stabilisé à 15 % au-dessus de ce qu’il était avant les grèves. Cela est à la fois faible comparé aux fortes hausses de trafics de la grève, qui ont été multiplié par plus de 2, mais c’est important par rapport aux tendances de long terme sur Paris d’une hausse de l’ordre de +5 %/an. C’est donc que, à l’occasion des grèves et des contraintes qu’elles ont induites, de nombreux usagers ont découvert ce mode de transport et « s’y sont mis ». Et, très récemment, on a observé un phénomène analogue de forte augmentation pendant la première phase du Covid-19, en raison des contraintes sur les transports, avant que le confinement vienne évidemment changer complètement la situation.
JR : Comment procédez-vous pour faire vos observations ?
AB : J’utilise un compteur de vélos installé par la Ville de Paris sur la rue de Rivoli, à hauteur de l’Hôtel de Ville. Évidemment, c’est une mesure unique qui ne rend pas compte des disparités qui peuvent exister entre les différents arrondissements et quartiers de la capitale, mais, s’agissant d’un des axes majeurs de transit Est-Ouest dans Paris, elle est certainement représentative de l’évolution du trafic global. Son grand intérêt est que cette mesure fait l’objet d’une mise en ligne quotidienne sur Internet. On a environ 5 000 vélos compté par jour, en semaine. C’était monté à plus de 10 000 certains jours de la grève. C’est redescendu à environ 1 000 passages journaliers depuis le début du confinement.
“Le vélo à assistance électrique
a touché des catégories de populations
qui ne s’y seraient pas mises sans cela.”
JR : Le vélo électrique a‑t-il changé les choses ?
AB : Le vélo à assistance électrique a touché des catégories de populations qui ne s’y seraient pas mises sans cela. Par exemple, on observe que les nouveaux usagers du vélo sont généralement majoritairement d’anciens piétons et usagers des transports en commun, tandis que les automobilistes ne comptent que pour 10 % des nouveaux usagers. Pour le vélo à assistance électrique, les anciens automobilistes comptent pour 50 % des nouveaux usagers. Ce nouveau mode de déplacement a donc capté des usagers de profils très différents.
JR : Quelles conclusions tirer des observations sur la pratique du vélo ?
AB : On sait, plus généralement, que l’usage du vélo est très sensible aux aménagements et à la sécurisation des voies, avec une évolution typique. Au départ, quand les aménagements sont peu nombreux, avec peu de sécurisation, l’usager-type est plutôt un homme qu’une femme, plutôt jeune, CSP+, poly-diplômé… Typiquement le jeune cadre se rendant à son travail. Avec l’accroissement des aménagements et leur meilleure sécurisation, on voit le profil des usagers changer pour un meilleur équilibre et une plus grande représentativité socioprofessionnelle. De même, on sait que l’usage du vélo s’est redéveloppé ces dernières années dans le centre des grandes villes, plutôt qu’en milieu rural ou péri-urbain. Mais, là aussi, les choses changent petit à petit.
Finalement, ce que les crises récentes mettent bien en lumière, c’est que le vélo, par son côté sobre, est très résilient à l’égard de ces perturbations.
Du même auteur, à propos de l’usage du vélo :
Pourquoi la grève aura des effets durables sur la pratique du vélo, Aurélien Bigo, The Conversation, 13 janvier 2020