Valider les acquis professionnels
Face aux importants problèmes de chômage dus à la démobilisation des troupes, le GI’s Bill institue notamment le droit à un accès à l’enseignement supérieur pour les soldats démobilisés.
Près de deux millions de soldats en ont bénéficié. Cela ne se fit pas sans réactions ni débats : » Les universités vont devenir une jungle éducative ; des vétérans incapables de trouver du travail deviendront des vagabonds éducatifs. L’éducation n’est pas un bon système pour faire face au chômage massif. » (Robert M. Hutchins, président de l’université de Chicago, décembre 1944).
Une préparation efficace
Cependant, ces prévisions pessimistes se révélèrent vite inexactes : » Les commissions constituées sur presque tous les campus ont efficacement préparé les choses… La reconversion dans l’enseignement supérieur ne peut pas être un retour aux règlements, aux procédures, aux parcours et aux méthodes d’enseignement d’avant-guerre. » (Francis I. Brown, consultant, American Council on Education, octobre 1945).
Loin d’être un problème éducatif les vétérans sont devenus un atout pour l’enseignement supérieur américain
La surprise fut au rendez-vous : » Voici le fait le plus surprenant de l’histoire de l’enseignement supérieur américain… Les vétérans s’approprient les distinctions ; ils sortent avec les notes maximales dans tous les cours. Loin d’être un problème éducatif les vétérans sont devenus un atout pour l’enseignement supérieur. » (Benjamin Fine, journaliste spécialiste de l’éducation, New York Times, novembre 1947).
La rentabilité aussi : » Globalement, il ne fait aucun doute qu’aucune formation de ce niveau universitaire n’aura coûté aussi peu cher que celle délivrée aux vétérans. » (Rapport du Comité d’enquête sur les programmes d’enseignement du GI’s Bill, février 1952).
Un bas niveau initial
Aucune formation de niveau universitaire n’aura coûté aussi peu cher que celle délivrée aux vétérans américains.
Le public bénéficiant de ces dispositions possédait au départ ce que l’on appellerait en France » un bas niveau de formation initiale « . Ils étaient d’origine rurale pour la plupart, mais le passage par la formation militaire, dans une armée déjà très technique, et les circonstances vécues pendant la guerre avaient transformé ces hommes.
Ce n’était donc pas parce qu’ils étaient soldats qu’ils avaient été validés et qu’ils ont réussi en grand nombre, mais c’est parce qu’ils avaient acquis des compétences et des connaissances techniques dans un conteste exigeant ; parce qu’ils étaient très motivés pour les études qu’ils avaient entreprises et pouvaient aussi opter pour des crédits permettant d’acheter des terres agricoles ou de construire leur maison ; parce que les autorités chargées du reclassement des vétérans avaient mis en place sur les campus et alentour des dispositifs d’accompagnement de l’effort de formation et de rémunération.
Il fallait modifier la loi
Quarante ans plus tard, les mêmes réactions se sont exprimées en France au moment des débats parlementaires relatifs à la validation d’acquis pour l’obtention d’un diplôme de l’Éducation nationale. Les parlementaires de toute appartenance politique ont mis en question l’accès aux diplômes de l’enseignement supérieur, en faisant valoir le risque de dévalorisation de ces diplômes.
Le totem des totems
Notre société a le culte du véritable diplôme, totem entre les totems. Comment pourrons-nous avoir une société dynamique, entreprenante, si la hiérarchie sociale est figée par des diplômes obtenus à vingt ans ? Quand on connaît l’importance des phénomènes d’héritage social, comme l’ont montré Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, on peut voir que notre système social est vraiment très figé. À quand la véritable égalité des chances ? C’est-à-dire » l’égalité des chances à tout âge ? »
Claude Allègre
La loi Savary de janvier 1984 et le décret d’août 1985 avaient institué la validation pour l’accès aux études supérieures et une loi du 20 juillet 1992 avait étendu les possibilités de validation à des parties d’examen. Cette dernière a été enfantée dans la douleur. Son promoteur, Claude Allègre, alors conseiller de Lionel Jospin au ministère de l’Éducation nationale, raconte, dans L’âge des savoirs :
» On s’est refusé à organiser une formation continue diplômante, une formation qui, en alternance, en récurrence ou en continu, aboutisse aux mêmes diplômes qu’en formation initiale. Et ce ne sont pas les universitaires qui sont responsables. La loi ne le permettait pas. La réglementation des diplômes, DEUG, licence, maîtrise, était telle que seule la formule » classique » de formation initiale était légale. Ceux qui voulaient une formation continue diplômante avaient une solution, faire, en plus de leur travail, le soir, les mêmes études que les autres étudiants le jour ! C’est la formule CNAM. Pour modifier cela, il fallait modifier la loi. Malgré ma répulsion pour ce genre d’exercice, nous nous sommes attelés à la tâche. Faire passer une loi permettant l’obtention des diplômes en formation continue et, complément indispensable, la validation diplômante des acquis professionnels. »
» Ainsi, un greffier pourrait faire reconnaître, après examen bien sûr, ses quinze ans d’apprentissage de droit et devenir magistrat, un technicien supérieur pourrait voir reconnue la maîtrise de ses acquis techniques pour alléger ses études d’ingénieur, un PEGC enseignant depuis vingt ans l’histoire de France pourrait se présenter à la licence d’histoire, sans être obligé d’avoir suivi tous les cours en fac, etc. »
Une opération difficile
» Cette loi, qui existe aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, où des milliers de diplômes sont ainsi décernés chaque année, est l’opération la plus difficile que j’ai eue à mener à l’Éducation nationale.
Depuis 2002, la validation des acquis a été généralisée sous la dénomination de validation des acquis de l’expérience
Le premier sabotage vint de l’administration de notre Ministère. On m’expliqua d’abord que la loi était inutile, puis on me confectionna un projet de loi anticonstitutionnel, pour me déclarer tout de go qu’on la trouvait immorale, qu’on n’avait pas étudié dix ans pour être mis sur le même plan qu’un technicien qui obtiendrait le même titre en formation continue. »
» Alors que j’avais été conduit à rédiger moi-même le projet de loi, celui-ci fut une seconde fois » torpillé » par des membres du cabinet du ministre du Travail, même si Martine Aubry était, elle-même, favorable au projet. Les prétextes étaient techniques, les raisons réelles étaient en fait toujours les mêmes. »
Au sein d’un projet général
» La troisième tentative fut plus heureuse : noyée au sein d’un projet plus général, et malgré diverses actions de sabotage de dernière minute, Jack Lang et Jean Glavany firent passer notre loi en octobre 1992. Aucune publicité ne fut donnée à ce texte, pas même par Pierre Bérégovoy, pourtant défenseur actif de notre projet. Seul un journaliste du Monde fit un article lucide pour en souligner le caractère révolutionnaire et pronostiquer qu’il tomberait aux oubliettes, tant il était dérangeant. »
Ce texte est extrait du livre Valider les acquis professionnels de Jean-François Bonami (Éditions d’organisation).