Vers la sobriété des comportements : notre cerveau peut le faire !
Nous sommes conscients que nous devons virer vers la sobriété si nous voulons survivre au changement climatique, mais notre cerveau a été conditionné à consommer toujours plus. Heureusement le mécanisme de contrôle de cette tendance existe dans ce même cerveau. Il faut l’activer par divers moyens afin d’obtenir le résultat que nous cherchons collectivement et espérons individuellement.
Le mot sobriété est à la mode. Mais cette mode-là va durer. Elle devient un problème central de nos sociétés, peut-être le plus important de tous. Nous consommons trop. Nous produisons trop. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont loin d’être tenus et les trajectoires de réchauffement climatique sont probablement passées de manière inéluctable au-dessus des objectifs fixés par l’Accord de Paris.
Vivre différemment
Le résultat sera une température moyenne probablement de 3 ou 4 degrés supérieure à celle de l’ère préindustrielle au tournant du siècle, avec des maxima bien plus importants. La sécheresse que nous avons connue en 2022 n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend en 2050, puis au tournant du siècle, et le dernier rapport du GIEC indique que les années les plus chaudes aujourd’hui seront les plus fraîches pour nos enfants.
Être sobre aujourd’hui, pourtant, n’est pas un luxe. Si les innovations technologiques comme la recapture du CO2 produit par l’industrie, voire du CO2 présent dans l’atmosphère, seront indispensables pour maintenir l’humanité à flots, elles ne sont pas matures aujourd’hui et ne nous seront d’aucune utilité si nous n’apprenons pas à vivre différemment. Il nous faut impérativement passer d’une logique d’accroissement permanent de nos désirs à une logique de maîtrise et de définition de nos besoins collectifs.
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Croissance et sobriété dans le cerveau humain
Notre cerveau contient en lui à la fois un moteur de croissance et un moteur de sobriété. Le principe de croissance est impulsé par un ensemble de structures nerveuses situées dans les profondeurs du cerveau, formant le système de récompense. Au centre de ce système se trouve le « striatum ». Ce circuit nous incite à réaliser des comportements qui ont été bénéfiques à notre survie à l’époque paléolithique : manger, se reproduire, acquérir du statut social dans un groupe, minimiser ses efforts et chercher de l’information dans son environnement.
« Notre cerveau contient en lui à la fois un moteur de croissance et un moteur de sobriété. »
Le striatum nous incite à réaliser ces comportements en nous récompensant avec du plaisir sous forme d’une molécule : la dopamine. Un système très efficace et bénéfique à notre espèce donc, mais incapable de s’autolimiter, car un tel comportement aurait été contreproductif dans un milieu naturel caractérisé par la rareté des ressources, comme ce fut le cas durant 99 % de notre existence sur Terre.
Le problème est qu’au cours des derniers siècles le progrès technique a largement servi à alimenter ces désirs ancestraux sans limites fixées a priori. Résultat : dans un monde doté d’une agriculture industrielle, d’internet et de réseaux sociaux, nous mangeons trop et devenons obèses, consommons sans limites des objets véhiculant notre statut social (automobiles, téléphones, habits de marque), consommons plus de cent milliards de vidéos pornographiques par an et faisons un usage croissant de toute technologie nous permettant de minimiser nos efforts (assistants vocaux, trottinettes électriques, avions), sans compter que nous devenons « addicts » à l’information devenue omniprésente sur nos écrans.
Contrôler le striatum
Mettre en route la sobriété dans nos comportements suppose d’identifier ce mécanisme et d’y opposer une autre ressource présente dans notre cerveau : le cortex préfrontal. Cette partie antérieure de notre cerveau, qui a connu un développement spectaculaire au cours des dernières étapes de l’évolution d’Homo sapiens, est connectée au striatum par le biais de connexions neuronales, les neurones corticostriataux, qui lui permettent de contrôler ce dernier. C’est ainsi, par exemple, qu’un étudiant en médecine résiste à l’envie de jouer à la Playstation ou de sortir avec ses amis pour préparer ses partiels, car il visualise un objectif élevé dans le futur, qui lui permet de faire des sacrifices dans le présent.
C’est toujours grâce à ces mêmes neurones corticostriataux qu’un athlète peut s’astreindre à une hygiène de vie austère et à une stricte discipline alimentaire, à des horaires de coucher fixes et à des entraînements épuisants, pour décrocher la médaille d’or des Jeux olympiques dans quatre ans ; ou que des parents peu fortunés économisent pendant des mois pour offrir un beau cadeau à leur enfant. Le cortex préfrontal réduit au silence son striatum. La sobriété, c’est se limiter maintenant pour préserver l’avenir.
Comment le cerveau pense la limite
Notre cortex préfrontal tire sa force du fait qu’il est capable de se représenter un objectif désirable dans le futur. C’est le grand avantage dont disposent les humains sur d’autres animaux. Mais cela entraîne une conséquence : vivre plus sobrement aujourd’hui n’est possible que si l’on peut garantir à chaque individu que chaque effort qu’il consent maintenant lui apportera un bénéfice plus tard.
Or c’est là que se pose le problème du piège écologique global dans lequel les humains sont pris : si je renonce à prendre l’avion et à manger de la viande, si je raccourcis mes douches et arrête de surfer inutilement sur internet, qui me dit que j’en retirerai un avantage dans dix ou vingt ans ? Il faudrait pour cela que je sois assuré que les huit milliards d’autres êtres humains de la planète produiront les mêmes efforts. Or il n’existe actuellement aucun moyen de mettre en place cette garantie.
Heureusement, il existe deux solutions à ce dilemme. D’un côté, faire en sorte que l’effort soit porté par tous, à différents échelons : celui de l’entreprise, des États et des coalitions d’États – typiquement, au niveau européen. Une des clés consiste à sortir les individus vertueux de leur isolement qui peut les décourager, d’une part en inversant les critères de la réussite sociale (en « starifiant » les vertueux – et non ceux qui stimulent les striatums à coup de Ferrari et de jets privés), d’autre part en mettant en place des dispositifs de transparence de la vie économique et politique qui permettent à chacun de constater que l’effort est partagé.
En ce sens, réduire l’opacité, les écarts de salaire, lutter contre l’évasion fiscale, le lobbying et les passe-droits est une condition indispensable pour que le cortex préfrontal fonctionne.
L’accélérateur ou le frein ?
Une stratégie parallèle consiste à reconnecter enfin l’effort de l’individu aujourd’hui avec l’avantage qu’il peut escompter en retirer personnellement dans l’avenir. Une solution intéressante serait un compte épargne-climat par lequel chaque citoyen, en limitant son impact et sa consommation dès aujourd’hui, investirait dans des structures nationales de protection contre les conséquences futures du réchauffement climatique, qui lui seraient garanties plus tard à titre individuel, en fonction de l’importance de son sacrifice aujourd’hui.
“Le frein existe, il est juste un peu rouillé.”
Au bout du compte, tout se passe comme si chaque être humain était équipé d’un cerveau qui renferme à la fois un accélérateur (son striatum) et un frein (son cortex préfrontal). Nous vivons les dernières heures d’une période d’abondance pendant laquelle nous avons appuyé à fond sur l’accélérateur. Nous avons pris de plus en plus de vitesse et voilà que soudain se dresse devant nous un mur. La muraille infranchissable de la limite des ressources et des températures atmosphériques compatibles avec la vie. Il est temps de freiner. La bonne nouvelle est que le frein existe, en chacun de nous. Il est juste un peu rouillé ; à nous de le remettre en service !