Vers le renforcement du système de régulation des activités financières
La crise financière conduit à une vaste réorganisation du système de régulation et de supervision des activités financièresau niveau mondial. Il restera à “attaquer aux déséquilibres économiques qui ont conduit à la surabondance de liquidités et produit un appétit immodéré pour le risque. Un renforcement du rôle du FMI apparaît nécessaire.
Le retournement du marché de l’immobilier américain a mis en lumière le manque de fiabilité du processus de titrisation. Il a révélé en particulier la difficulté des investisseurs à apprécier la qualité et donc la valeur effective des actifs titrisés lorsque le marché, cessant d’être liquide, n’en fournit plus aucune indication.
REPÈRES
La crise financière a commencé dès la fin de l’année 2006 avec le retournement du marché américain de l’immobilier. Il faudra attendre l’été 2007 pour ressentir les premiers effets à grande échelle. C’est par la fermeture de divers fonds d’investissement par des établissements financiers de premier plan (Axa, BNP Paribas, etc.) que l’on prend alors conscience, en France, de la propagation de la crise de confiance à l’égard des SIV (Special Investment Vehicles), ces structures juridiques mises en place pour porter divers actifs financiers, dits crédits immobiliers usuels ou subprimes, crédits à la consommation ou automobile, crédits aux entreprises, qui se financent par l’émission des titres, directement auprès des investisseurs (titrisation).
Une crise de confiance
La complexité de ces montages a progressivement conduit les investisseurs à ne les acheter que sur la base des appréciations des agences de notation, qui elles-mêmes se sont révélées peu lisibles et peu fiables.
Un secteur financier parallèle ni régulé ni supervisé
Cette difficulté conduira à un retrait massif des investisseurs au prix d’une dépréciation généralisée des actifs et de la disparition soudaine de la liquidité des marchés qui en assuraient les échanges.
Des mesures non conventionnelles
Or, ce sont désormais les deux tiers des financements de l’économie américaine et le tiers du financement de l’économie européenne, qui sont assurés par de tels montages, ce qui met en lumière le poids d’un secteur financier parallèle, shadow banking, qui n’était ni régulé ni supervisé.
Les banques, soit parce qu’elles ont été sollicitées dans un contexte de retrait massif des investisseurs, au titre des lignes de liquidité qu’elles ouvraient aux véhicules dont elles étaient les sponsors, ou encore du fait de leur activité de négoce de titres sur les marchés, soit enfin parce qu’elles trouvaient avantage à porter leurs actifs sous une forme titrisée dans leur trading book moins exigeante en fonds propres qu’une détention directe des actifs financiers sous-jacents en banking book, se sont révélées être massivement détentrices de ces titres.
Le soutien des États
Un soutien massif des autorités publiques
Après les premières restructurations conduites par les acteurs du marché eux-mêmes – Countrywide est rachetée par Bank of America en janvier 2008 – des banques, petites et grosses, finissent par être secourues par les États eux-mêmes : de février à début septembre 2008, Northern Rock est nationalisée par le Royaume-Uni, JP Morgan rachète Bear Stearns avec le soutien de la FED, Fannie Mae et Freddie Mac bénéficient d’un plan de soutien puis sont contrôlées par les autorités fédérales.
Les soutiens des États se généraliseront progressivement et de nombreux pays (Japon, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, États-Unis, Suisse, etc.) ont dû assurer leur système bancaire et financier d’une aide forte : garantie des dépôts illimitée, prise de participation dans les banques et pour certains comme l’Islande, nationalisation des institutions financières.
Aussi, la crise de confiance et de liquidité s’est mécaniquement répercutée sur elles, conduisant début août 2007 la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale des États-Unis (FED) à injecter respectivement 94,5 milliards d’euros et 25 milliards de dollars. Et, en juin 2009, la Banque centrale européenne était conduite à réaliser son adjudication historique par le montant et la durée, de 442 milliards d’euros à douze mois ; au même moment le bilan de la FED était de l’ordre de 2 000 milliards de dollars, contre environ 900 milliards habituellement.
Le soutien des États a dû être accentué, notamment suite au dépôt de bilan de Lehman Brothers, le 14 septembre 2008. Celui-ci a conduit à un approfondissement de la crise de confiance et à l’aggravation de la paralysie des marchés financiers et en conséquence à l’asphyxie de l’économie.
Des conséquences inadmissibles
Too big to fail
Les établissements » systémiquement importants » sont qualifiés de too big to fail ou encore de too interconnected to fail. Certaines des difficultés semblent provenir de prises de risque excessives qui résultent de cette garantie implicite dont bénéficient ces établissements financiers de la part des États.
Cette crise financière est une matérialisation à grande échelle du risque connu sous le nom » d’aléa moral « .
En définitive l’ampleur des impacts des difficultés de cet acteur financier apporte la preuve que les banques ne parviennent pas à assurer seules la résolution de la crise à laquelle elles sont confrontées, mais surtout que les conséquences des difficultés de certains acteurs ne sont pas admissibles pour des raisons économiques (fragilisation de l’ensemble de leur système économique et financier) et politiques (panique des déposants) par les États et les contraignent à des interventions massives et coûteuses sur le secteur financier (nationalisations, recapitalisations, garanties, reprise par des États d’actifs douteux de banques et sur l’économie dans son ensemble.
Le renforcement du système de régulation
Tirant les leçons de la crise financière, sans attendre que les difficultés soient dissipées, les autorités publiques, au niveau mondial ou régional, se sont lancées dans une vaste révision de l’architecture de la réglementation et de la supervision de ces activités.
Leur première priorité est d’améliorer la transparence des produits financiers et de leurs transactions sur les marchés. Les décideurs publics s’efforcent en conséquence de simplifier et de standardiser la titrisation, d’assurer la fiabilité et la lisibilité d’appréciations portées par les agences de notation, et pour ce qui est des produits dérivés de risques, d’améliorer la traçabilité et le suivi des transactions de marché jusqu’alors réalisées pour l’essentiel sur des marchés » non régulés « .
La chute de Lehman Brothers illustre les conséquences de » l’aléa moral »
Ensuite, la réglementation des institutions doit être renforcée. L’évaluation des exigences en fonds propres prudentiels – le montant minimal des fonds propres destinés à couvrir les aléas subis par les institutions financières – devrait rester appuyée sur le calcul des risques effectivement portés par chaque établissement, de préférence à une approche forfaitaire basée sur leur seul volume d’affaires.
Les effets procycliques des normes comptables et des réglementations financières devraient être atténués. En les obligeant à constituer des réserves aux moments favorables des cycles économiques, ces normes ne devraient plus conduire les institutions financières à des ventes massives lorsque les cours de leurs actifs sur les marchés se détériorent et pèsent sur leur compte de résultat et exigent l’accroissement des fonds propres.
Intégrer la supervision
Ainsi, ces réglementations devraient s’appliquer de manière cohérente au plan mondial quel que soit le statut des établissements, pour tous leurs risques, que ceux-ci figurent dans leurs bilans ou hors de leurs bilans. Des exigences minimales seront demandées par tous les pays pour éviter les » arbitrages réglementaires » permis jusqu’alors par certains » centres financiers offshore « .
Se protéger des conséquences des risques systémiques
Les décideurs politiques constatent l’ampleur des aides qu’ils ont été conduits à mobiliser et le coût social et économique de ces crises notamment du fait de la contagion par les institutions » systémiquement » importantes.
Ils cherchent désormais à réduire leurs probabilités de défaillances notamment en exigeant des surcroîts de fonds propres, en réduisant la taille des établissements, en exigeant des séparations juridiques de leurs différentes activités et de leurs implantations dans divers pays, en réduisant leurs interconnexions et en élargissant les possibilités de résolutions de leurs défaillances au-delà des interventions des États. De telles orientations sont naturellement de nature à modifier profondément le profil des acteurs financiers.
Par ailleurs, la diffusion transfrontalière des risques, mise en évidence par les difficultés rencontrées par des établissements régionaux allemands, irlandais, français, qui opéraient sur des actifs structurés aux États-Unis ou en Espagne, conduit à envisager une coopération renforcée des superviseurs au niveau régional (création des autorités européennes de supervision ou de suivi de risques systémiques) et au niveau mondial (transformation du Financial Stability Forum en Financial Stability Board, ou FSB, sous l’égide du G20).
Le besoin d’intégration est fort et défie les souverainetés nationales : cela conduit, comme l’expriment les services du Congrès américain, à » veiller au bon équilibre entre l’autorité du Fonds monétaire international (FMI) et du FSB et celles des États membres du G20 « .
Une remise en cause profonde
Toutefois la remise en cause des activités financières est plus profonde. Leur valeur ajoutée est questionnée quand on considère la place qu’elles représentent dans des produits intérieurs bruts souvent en faible croissance. Sans que cela constitue la position officielle, Adair Turner, président de la Financial Services Authority (FSA) en charge en Grande-Bretagne de la supervision des institutions financières, en évoque l’éventualité. Une fiscalisation forte des bonus des traders ressortit des mêmes analyses.
Surveiller l’ensemble du système financier
Ainsi, les États réunis au sein du G20 ont-ils proposé la constitution d’une entité en charge de la « surveillance macroprudentielle », le Financial Stability Board. La première mission de cette surveillance devrait être d’expliciter les risques de bulles et formuler les dispositions correctrices.
Expliciter les risques de bulles et formuler les dispositions correctrices
Parallèlement, cette surveillance doit évaluer les pratiques des principaux acteurs des marchés régulés ou non et des infrastructures financières.
Enfin, une « approche macroprudentielle » de la supervision doit compléter le « rôle microprudentiel » habituel des superviseurs des banques et des assurances. Une telle approche devrait s’attacher à suivre l’évolution des techniques financières, des business models des institutions, et d’évaluer les nouveaux risques sous-jacents. Elle devrait ensuite proposer des mesures prudentielles à même d’infléchir les tendances.
Un ordre financier international
Il restera à s’attaquer aux déséquilibres monétaires mondiaux. Ils ont conduit à la surabondance de liquidités, et produit, mécaniquement, un appétit immodéré pour le risque. Un renforcement du rôle du FMI semble nécessaire.
Le service de recherche du Congrès américain résume la question de la manière suivante dans son rapport du 2 octobre 2009 : « ?Le système issu de Bretton Woods doit-il évoluer vers une architecture où les États-Unis restent une pierre angulaire mais ses marchés financiers sont davantage » européanisés » et davantage contraints par un ordre financier international élargi.? »