Vers un nouveau cycle d’entreprise
Veolia œuvre dans la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie. Dans le cadre de la loi PACTE adoptée par le parlement en avril dernier, Antoine Frérot (77), Président Directeur Général de Veolia, revient sur la “raison d’être” du Groupe, aujourd’hui leader mondial des services à l’environnement.
Au cours des derniers mois, de grandes entreprises se sont saisies du concept de « raison d’être ». Vous en avez été un promoteur actif. Pourquoi ?
Le monde change et avec lui ce que l’on attend de l’entreprise. En ce début de XXIe siècle, on appelle l’entreprise à créer de la valeur sociale, en plus de créer de la valeur économique. Partout, on lui demande de jouer un rôle plus large et plus positif envers les sociétés dans lesquelles elle évolue. Dès lors, il me semblait nécessaire de traduire cette évolution dans sa gouvernance.
La loi PACTE y a répondu, en invitant l’entre- prise à définir sa raison d’être. La formuler est un moyen pour elle de rebâtir la confiance avec la société. C’est une nécessité, car, alors même qu’aucune entreprise ne saurait prospérer longtemps dans un climat de défiance, elle demeure méconnue et mal aimée. Bien qu’étant utile à toutes ses parties prenantes, on la croit au service des seuls actionnaires ; bien qu’étant par nature collective, on la trouve égoïste ; bien qu’étant d’intérêt général, on la pense d’intérêt particulier. En cette période de doute sur l’entreprise, la raison d’être vient rappeler fort à propos l’utilité de celle-ci, la portée de son action et la diversité des richesses qu’elle crée, lesquelles ne se cantonnent pas au profit.
Veolia a défini sa propre raison d’être. Qu’avez-vous cherché à exprimer par cet exercice ?
Définir la raison d’être de notre Groupe, c’est répondre à plusieurs questions : en quoi est-il utile ? Qui veut-il servir ? Que se propose-t-il d’être ? C’est l’intérêt de notre Groupe d’expliquer ce qui l’anime et la façon dont il conçoit ses relations avec ses parties prenantes car, comme toute entreprise, il ne peut se développer harmonieusement que si ses parties prenantes y trouvent un intérêt proportionnel à leur contribution. Plus notre raison d’être exprimera que notre Groupe est à leur service, plus il sera accepté, et plus il aura de marge de liberté pour se développer.
Préciser la raison d’être de notre entreprise, c’est aussi une manière de montrer l’horizon de son ambition. En nous y référant régulièrement, nous aurons davantage de recul pour prendre en compte le long terme et développer un « capitalisme patient », qui se donne le temps de porter l’ensemble de ses fruits. De plus, en proposant une finalité profonde, susceptible d’emporter l’adhésion de tous, la raison d’être renforce la cohésion de l’entre- prise ; elle atténue les tensions nées de l’hétérogénéité des objectifs de ses parties prenantes.
Comment votre raison d’être a‑t-elle été définie ? A‑t-elle véritablement associé toutes les parties prenantes ?
Elle a été définie dans un dialogue permanent entre le comité exécutif, le conseil d’administration, un comité des parties prenantes internes, constitué de représentants du personnel et des syndicats, et un comité des Cri- tical Friends. Créé en 2013, ce dernier comité regroupe des parties prenantes externes, issues des mondes associatif, institutionnel et académique, et fait entendre leurs voix dans notre entreprise. En parallèle, les salariés de Veolia étaient invités à s’exprimer sur des thèmes relatifs à notre raison d’être, au sein d’une communauté Google +. Au total, 13 versions successives de raison d’être ont été rédigées pour tenir compte des avis et suggestions reçus. Le texte final a été validé par notre conseil d’administration, puis présenté à l’assemblée générale des actionnaires.
Veolia est une entreprise à forte intensité de main d’œuvre. Cette démarche n’est-elle pas un peu lointaine pour vos collaborateurs de terrain ? Comment peuvent-ils s’y retrouver ?
Quels que soient leurs niveaux de responsabilité, tous les collaborateurs d’une entreprise ont besoin de sens et de percevoir que leur action est utile. Il en va de même pour notre Groupe. Nos collaborateurs ne se mobilisent que parce que celui-ci donne du sens à leur travail et qu’ils partagent ses valeurs. C’est l’utilité de notre entreprise qui nourrit leur engagement. Or exprimer la raison d’être de notre Groupe consiste précisément à dire pourquoi et pour qui il est utile.
Notre raison d’être n’a rien de « lointain » pour eux, car elle s’inscrit en cohérence avec la mission de notre Groupe et son histoire. Lorsque notre entreprise est née, la planète comptait moins de 1 milliard d’habitants. Aujourd’hui, elle en accueille plus de 7 milliards. Les défis d’autrefois se nommaient prévention du choléra, alimentation des villes en eau potable, collecte des eaux usées et des déchets. Aujourd’hui, ils s’appellent rareté de l’eau, de l’énergie et des matières premières, traitement des pollutions toxiques, accès de tous aux services essentiels, transition énergétique, changements climatiques… Relever ces défis fait partie des tâches quotidiennes de nos collaborateurs. Comme notre raison d’être y renvoie directement, ils se retrouvent aisément dans celle-ci.
Comment allez-vous faire vivre cette raison d’être dans le temps ? Va-t-elle influencer le plan stratégique que vous êtes en train d’élaborer ?
Notre Groupe a adopté plusieurs mesures pour faire vivre sa raison d’être. D’une part, notre Conseil d’administration la prendra en compte dans ses décisions et évaluera sa mise en œuvre. D’autre part, un Comité des parties prenantes, constitué d’experts issus de la société civile et de représentants de clients, de fournisseurs, de salariés et des générations futures, donnera des avis à la direction de Veolia sur le bon accomplissement de sa raison d’être.
Par ailleurs, chaque année, à l’aide d’une batterie d’indicateurs, notre Groupe dressera un bilan de sa performance multi-dimensionnelle, autour de 5 thèmes : économie et finances, environnement, gestion des ressources humaines, satisfaction des clients, éthique et conformité. Ces indicateurs ont été intégrés dans le tableau de bord de suivi de notre futur plan stratégique, et associés à des objectifs chiffrés. Ils renforcent de facto la cohérence entre raison d’être et plan stratégique.
Vous avez, en tant que président de l’Institut de l’entreprise, promu l’avènement de l’entreprise « post-RSE ». En quoi celle-ci consiste-t-elle ? Et a‑t-elle partie liée avec l’entreprise à raison d’être ?
Les politiques de développement durable et les Chartes RSE témoignent de la volonté des entreprises d’assumer des responsabilités croissantes. Cela étant, la RSE demeure un objectif secondaire par rapport aux objectifs financiers. Cette différence de traitement est en passe d’être comblée, puisque nous assis- tons à l’émergence d’un nouveau type d’entreprises, bâties non seulement sur l’idée qu’elles doivent créer de la valeur économique, mais également sur l’intégration des objectifs de la RSE à leur raison d’être. On pourrait les qualifier d’entreprises « à performance globale » ou « post-RSE ».
L’expression « post-RSE » ne signifie pas que la RSE est délaissée, mais au contraire que celle-ci a été érigée au rang des objectifs fondamentaux de l’entre- prise. Le modèle actuel, celui de l’entreprise actionnariale, a trouvé ses limites, car la création de richesse ne bénéficiait qu’à un nombre réduit de parties prenantes, principalement les actionnaires. Les critiques qui lui sont adressées reviennent toujours à l’utilité de l’entre- prise. Il y a une quarantaine d’années, la vision actionnariale affirmait que c’est parce qu’une entreprise est prospère qu’elle est utile. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui est vrai : c’est parce qu’une entreprise est utile qu’elle est prospère.
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