Vers une nouvelle spiritualité
Lors de l’Assemblée générale de la SABIX qui s’est tenue le 17 juin 2003, j’avais demandé à Gilles Cosson de nous proposer un exposé sur le roman historique. J’avais choisi ce conférencier pour de multiples raisons : grand professionnel de la vie économique et industrielle, militant européen, il avait aussi connu la tentation d’écrire (cela arrive) et y avait succombé (c’est déjà plus rare, et donc plus méritoire). Les ouvrages qu’il avait commis jusque-là, et qui avaient connu du succès, n’étaient pas inspirés de notre actualité ou de sa carrière professionnelle.
Contrairement à un Philippe Saint-Gil (43) qui avait magnifiquement évoqué “ la meilleure part ” de l’activité typiquement polytechnicienne d’un ingénieur de conception et de chantier, Gilles Cosson avait cherché “ la meilleure part ” de son inspiration, et celle de ses personnages, dans un décalage à la fois géographique et historique avec sa propre expérience professionnelle.
De ce décalage, qui est d’ailleurs à l’origine d’une foule de romans historiques (tel était le sujet de sa conférence : “ Le roman historique ”), il avait tiré des aventures inscrites dans un cadre méticuleusement reconstitué, mais aussi toujours baignées d’une lumière dépassant les nécessités “ vivrières ” – comme on dirait des cultures vivrières : nourrir, se loger, élever sa famille, défendre sa terre, être un bon soldat, etc., toutes choses légitimes mais finalement communes – et, mettant ses personnages “ sous tension ” (c’est une expression qu’il aime bien), il avait donc offert à ses lecteurs une occasion de réflexion et de recherche spirituelle.
Avec ce nouvel ouvrage : Vers une nouvelle spiritualité – Réponses à une catastrophe annoncée, Gilles Cosson saute délibérément le pas. Il abandonne ses créatures précédentes, prince arménien, consul de France à Mossoul, croisés sous les murs de Jérusalem ou aristocrates russes plongés dans la révolution léniniste, il se débarrasse de ces truchements qui étaient pour lui autant de masques, et avec une sincérité à la fois sympathique et déconcertante nous livre ses réflexions sur notre société et son socle idéologique et religieux.
Aussi bien, donc, le dire d’entrée de jeu : autant il nous est familier de lire un ouvrage d’aventures (roman historique ou énigme policière), autant il nous est facile de digérer cent pages sur le pourquoi et le comment des éoliennes ou cinq cents sur les fondements de la puissance américaine, autant il nous est sans doute plus difficile et donc plus troublant au sens fort du terme, de rentrer dans un livre qui certes part d’observations, et propose des raisonnements, mais par la nature même de son sujet et le désir prophétique de son auteur se termine dans une confession mystique qui doit plus à l’expérience personnelle qu’à une “longue chaîne de raisons” cartésiennes. Mais cela en vaut la peine, et voici pourquoi.
La construction même du livre est simple et se présente sans fard. Le titre des chapitres propose les réflexions effectuées et l’angle de prise de vues : “ Le sentiment religieux, ciment des sociétés humaines du passé ”, puis “ Le nationalisme, version dégradée du sentiment religieux ”, enfin “ La situation d’aujourd’hui : de l’intégrisme au vide ” nous offrent d’abord une réflexion historique sur l’essentiel des sociétés du passé ou du monde d’aujourd’hui. Gilles Cosson englobe ces exposés sous un titre global : “ Chronique d’une catastrophe annoncée ” qui insiste précisément et avec pessimisme sur son caractère qu’il juge inéluctable, ou… ? La seconde partie évoque donc “ Une nécessaire refondation ”, embrassant à la fois l’avenir cosmique de notre monde (“La diaspora des étoiles ”) ou, dans “ Un bagage inadapté ”, l’insuffisance des religions aujourd’hui vécues par les croyants des différentes confessions.
Vers une nouvelle spiritualité est un livre court : cent vingt pages, dont seulement quatre-vingts pour ces deux premières parties. Cette concision conduit parfois Gilles Cosson à forcer le trait dans ses exposés comme dans ses jugements, mais rend sa démarche d’autant plus affirmée. Le lecteur sera donc, parfois, provoqué par des appréciations personnelles, pour ma part, si je souscris tout à fait aux condamnations sans appel faites des “ délires idéologiques de l’entre-deux-guerres” (bolchevisme ou nazisme), aux regrets exprimés sur les hésitations de la construction européenne, ou à la dénonciation du scandaleux fossé entre pauvres et nantis, je suis plus réservé devant la description très “ cursive ” de certaines religions, mais aussi (il s’agit là d’une opinion tout à fait personnelle) devant l’importance réelle en termes de civilisation, de la conquête de l’espace : Gilles Cosson en fait plus qu’un “ challenge ” technologique, une véritable occasion à utiliser pour la refondation de l’humanité.
Sa liberté de jugement et de discours va encore beaucoup plus loin dans la troisième partie de son livre, intitulée “ Jalons pour une spiritualité nouvelle ”. Il est difficile de ne pas être touché par le ton très personnel qu’y prennent certaines pages, confession ou poèmes, et qui montrent peut-être encore plus que bien des raisonnements globaux combien les réponses à une “ catastrophe annoncée ” se trouvent moins dans les systèmes d’ensemble savamment décortiqués que dans les attitudes individuelles à adopter quand on est confronté soi-même à une “ mise sous tension ” – et en particulier celles des élites dont l’auteur fustige “ la trahison ”, l’opportunisme ou le reniement.
Gilles Cosson affirme que la refondation nécessaire ne peut être basée sur une religion actuelle : on n’est pas obligé de le suivre sur ce point pour l’approuver dans sa volonté courageuse d’en aborder la nécessité. Son livre n’est donc, certainement pas, un nouvel Évangile déposé par quelque ange dans la souche d’un arbre mort. Ce n’est pas, ici, de secte qu’il s’agit, mais de l’affirmation d’une pensée personnelle par un auteur de talent et de la riche occasion donnée au lecteur de préciser la sienne.