Vers une rénovation des politiques d’intégration
L’intégration se heurte à un large fossé culturel. L’idéal laïc de la France n’existe pas dans bien des pays. Pourtant, l’exemple de La Courneuve, ville de 37 000 habitants dont 30 % d’immigrés, montre le succès d’une politique fondée sur l’accueil, l’information, des rencontres, des efforts pour une véritable connaissance mutuelle.
L’intégration sociale et économique est aujourd’hui difficile du fait du chômage et de l’exclusion, de plus l’intégration culturelle est non systématique : seuls les volontaires vont aux cours d’alphabétisation, l’intégration citoyenne est rendue inefficace par la montée des logements ghettos et du communautarisme.
Les désillusions les plus importantes se succèdent à partir de 2001. En octobre, à l’occasion du match de football France-Algérie, devant le Premier ministre, La Marseillaise est sifflée par les jeunes spectateurs venus des banlieues pauvres voisines. En avril 2002 Jean-Marie Le Pen devance Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle. En novembre 2005 le malaise des banlieues entraîne des » révoltes » ou » émeutes » que la presse qualifie un peu rapidement d’émeutes ethniques tandis qu’il s’agit de mon point de vue de » révoltes » sociales.
REPÈRES
Les idées des Français sur l’intégration viennent de loin, elles se sont longtemps articulées sur la notion d’assimilation. Dès le XVIIIe siècle les Juifs, qui n’ont reçu l’égalité citoyenne qu’au temps de Louis XVI, avaient remarqué dans la Thora l’importance des idées de Liberté, Égalité, Fraternité, et pour dépasser les discriminations dont ils étaient victimes, l’assimilation était conçue comme la marche vers la plus grande identité culturelle possible. Les années de développement de l’immigration accompagnent la révolution industrielle et les besoins de maind’oeuvre. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle les immigrés sont belges, allemands, italiens, polonais, espagnols, portugais… l’intégration économique (emploi) favorisant l’intégration sociale, les immigrés d’alors n’ont pas eu peine à accepter la politique d’intégration basée sur l’assimilation. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que se développe l’immigration venue du Maghreb puis d’Afrique subsaharienne. Au début il s’agit de venir travailler et gagner sa vie, puis repartir, mais avec les années soixante-dix et l’instauration du regroupement familial un changement fondamental se produit : on émigre et on va rester, même si de très nombreux immigrés continuent longtemps à rêver d’un retour au pays natal, rêve que leurs enfants ne font pratiquement jamais.
Un fossé culturel
Il faut mesurer la difficulté de la situation et la largeur du fossé culturel. Le drame de la France est de parler de politique d’intégration de ces enfants comme si elle parlait d’immigrés.
Il faut renforcer le socle du pacte républicain
Depuis 1905 il y a en France séparation de l’Église et de l’État, mais cet idéal laïc n’existe pas dans bien des pays, dont les pays musulmans, ce qui a motivé bien des incompréhensions dont l’histoire du foulard » islamique » n’est qu’un exemple. Beaucoup de Français » blancs » se refusent de voir les enfants ou petits-enfants d’immigrés nord-africains ou d’Afrique noire comme des Français à part entière tandis qu’ils le sont bel et bien. On les qualifie souvent d’immigrés, les renvoyant ainsi dans des constructions d’identité ne prenant pas en compte la singularité laïque de la France. Nous arrivons au moment décisif où les idées se remettent en question et où les choix nouveaux doivent être faits. Personnellement je suis pour renforcer le socle du pacte républicain et je n’approuve pas la notion de » discrimination positive » portée par quelques hommes politiques. La polémique lancée par Nicolas Sarkozy sur la » discrimination positive » a toutefois le mérite d’une certaine façon de répondre à plus de vingt ans de posture » des Français d’abord » (la fameuse le penisation des esprits) par une posture les » immigrés d’abord « .
L’exemple de La Courneuve
Il y a en principe 37 000 habitants à La Courneuve dont 30 % d’immigrés.
Les marchands de sommeil
Malgré la forte politique de logement social à La Courneuve, devant la pénurie de logements sociaux en Île-de-France, des marchands de sommeil sévissent sur le territoire proposant des appartements dans des immeubles délabrés offrant des conditions d’hygiène et d’habitat calamiteuses.
En croisant les listes scolaires il faut sans doute compter 8 à 10 % d’habitants supplémentaires, les hébergés. À La Courneuve malgré nos 50 % de logements sociaux, nous avons 1 800 demandeurs et l’offre annuelle est de 250… ce qui fait que nous avons de très nombreux hébergés dans des conditions souvent insatisfaisantes.
On y trouve également une concentration de difficultés sociales (monoparentalité, polygamie, chômage, délinquance, etc.). On arrive à une assez bonne estimation de ce supplément par l’intermédiaire de l’École, de l’aide sociale, de l’accueil sportif et de divers autres moyens.
Accueil et rencontres-débats
Que faisons-nous pour améliorer l’intégration des immigrés ? Il existe d’abord un accueil avec une présentation des diverses institutions et associations. Nous avons aussi bâti depuis 2003 un » projet de ville » avec description du passé, du présent et des projets futurs que nous nous efforçons de construire en commun avec les idées de tous.
Réussite sociale et cerveaux utiles
Les pays voisins, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Allemagne, suivent une évolution opposée. Le communautarisme était sinon l’idéal, du moins le but pratique des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne, mais depuis l’assassinat de Pim Fortuyn puis celui de Théo Van Gogh par des personnes perçues comme immigrés marocains, l’idéalisme recule et les contrôles progressent.
Les Anglais privilégient la réussite sociale et une marche générale vers une voie médiane.
Les Américains ont une politique d’immigration des » cerveaux » utiles à l’Amérique, combinée avec une large entrée des seuls » Chicanos « , et avec des moments forts comme l’élection de l’immigré autrichien Schwarzenegger au poste de gouverneur de Californie.
Un élément très important : les rencontres-débats sur l’immigration, la colonisation, les Antilles, etc. Il faut qu’on se connaisse et que les idées fausses et les idéologies reculent. Ces rencontres-débats sont un grand succès, il n’y a eu ni incident ni polémique.
Je donnerai l’exemple de l’histoire réunionnaise présenté par un historien spécialiste. Certains Réunionnais présents dans la salle ont posé la question du séparatisme local, mais l’historien n’a eu aucun mal à prouver qu’il n’existe pas : les Réunionnais savent ce qui s’est passé dans les îles Comores et n’ont aucune envie de se retrouver dans la même situation.
Les jumelages sont très utiles, ils permettent eux aussi d’améliorer la connaissance de la réalité historique. Il nous faut parler des discriminations mais sachez que la pire est celle à l’encontre des obèses. J’ai personnellement subi une discrimination en voulant louer un logement : tout allait bien jusqu’à ce que l’on me voit, à ce moment tout change : le logement était » déjà pris « , mais il ne l’était pas pour la jeune femme (blanche) qui s’est présentée juste après.
Commencer par l’Histoire de France
Nous avons beaucoup réfléchi aux questions de citoyenneté : celle-ci commence à la maternelle et s’acquiert en particulier par la connaissance de l’Histoire de France.
Dix kilomètres à pied
Un voyage organisé a réuni une équipe de jeunes de toutes origines au Burkina Faso : là-bas ils étaient tous français !
Ils ont été très impressionnés par les écoliers burkinabés dont certains faisaient dix kilomètres à pied chaque jour pour aller à l’école.
Il y a à ce sujet un problème avec les personnes âgées, elles ne veulent pas se sentir concernées et n’en voient pas l’intérêt. C’est ainsi que lors du » Noël des anciens » un seul Africain est venu alors qu’ils étaient tous invités. Bien entendu l’éducation à la citoyenneté doit être stricte, combattre les tendances au bakchich et définir les droits et obligations de chacun.
L’éducation à la citoyenneté doit être stricte et définir les droits et obligations de chacun
Elle doit faire barrage aux idées fausses que chacun se fait sur les autres communautés et aider à la vraie connaissance mutuelle ; elle doit souligner l’importance de l’espace public et de son appropriation par l’ensemble des citoyens : à La Courneuve où les journées de novembre 2005 ont dans l’ensemble été calmes, car les adultes étaient dans les rues, nous avons eu une attaque à la voiture bélier juste après les émeutes : chacun était rentré chez soi !
Une référence perpétuelle au pays d’origine
Terminons ce panorama par un point essentiel : beaucoup d’immigrés vivent dans une comparaison perpétuelle avec leur pays d’origine et se soucient peu de connaître les autres communautés sur lesquelles ils ont des idées bien arrêtées (généralement fausses et péjoratives).
D’homme à homme
On ne saurait trop souligner l’importance des contacts d’homme à homme : en situation de précarité, ce qui compte, beaucoup plus que les grands principes et les beaux discours, c’est l’homme que l’on a en face de soi.
C’est ainsi que ce sont les anciens dealers sortis de prison qui sont les meilleurs pour convaincre les jeunes de ne pas se livrer au trafic de drogue
On entend couramment des réflexions du genre : » Ma fille a été chez le kiné « , ce qui signifie aux oreilles des cousins restés au pays » C’est fantastique, il a les moyens d’envoyer sa fille chez le kiné » et c’est bien pour cette raison qu’on leur donne cette information, ainsi que le tarif correspondant… sans leur dire qui paye réellement !
Voilà ma conception de l’intégration. Je résume : accueil personnalisé, information, interactivité individu-collectivité, efforts de part et d’autre, égalité des droits, lutte pour la vraie connaissance mutuelle et contre les discriminations, rappelons que la majorité des élèves des grandes écoles viennent de seulement deux cents maternelles et cinquante lycées. Il y a heureusement des exceptions.
Faute de tout cela on laisse le champ libre à des hommes comme l’acteur Dieudonné qui proclame » Tu n’as pas échoué, on t’a exclu ! » et qui divisent la société française » Eux contre nous ! »
Cet article est extrait d’un exposé présenté le 1er mars 2006 au Groupe X‑Démographie-économie-population.
Quelques questions
Est-on démuni vis-à-vis des marchands de sommeil ?
Les actions juridiques ou policières contre les marchands de sommeil sont toujours très délicates, il faut un dossier très solide. Les marchands de sommeil spéculent sur la misère et l’exclusion. Tant qu’il y aura déficit ou pénurie de logements sociaux il y aura des marchands de sommeil. Le problème ce sont les moyens de pouvoir racheter l’immeuble et de le réhabiliter.
Les anciens contribuent-ils à la victimisation des jeunes ?
Oui, beaucoup trop souvent. Une connaissance partielle, une mémoire sélective destinée, en toute bonne foi, à se réhabiliter à ses propres yeux : les jeunes ne demandent qu’à vous croire, ils choisissent toujours la version qui les valorise le plus. Il est plus confortable de croire que la médiocrité des conditions de vie vient du racisme de la société, plutôt que des insuffisances du travail à l’école. D’où l’importance de la connaissance réelle. Cela dit il y a aussi des cas ubuesques, des jeunes qui ont beaucoup travaillé pour faire des études, des familles qui se sont saignées aux quatre veines pour les aider, et les emplois qu’ils obtiennent sont souvent lamentables et sans lien avec leurs diplômes… Que peuvent penser des études leurs petits frères et soeurs qui voient le dealer local parader dans sa grosse voiture ?
Y a‑t-il une importante différence de mentalité entre les garçons et les filles ?
Certainement, comme partout il y a des différences entre les filles et les garçons. Pour beaucoup de garçons les filles servent de repoussoir : » Nous sommes supérieurs aux filles ! « , en conséquence on se permet du laxisme et de la paresse. Les filles savent tout cela, elles n’ont pas d’échappatoire, sont beaucoup plus motivées que les garçons, et souvent bien meilleures à l’école… Il est probable que beaucoup d’améliorations viendront de leurs actes et de leurs décisions. Pourtant, à La Courneuve l’espace public est très masculin.