Virgil permet aux jeunes de devenir propriétaires de leur logement
En 2018, Keyvan Nilforoushan (X98) a cofondé Virgil, qui vise à aider les jeunes actifs à devenir propriétaires et à se libérer de l’esclavage du loyer. Accéder à la propriété sans apport parental ou familial reste difficile même pour les diplômés des grandes écoles. Virgil remédie à ces inégalités d’accès au patrimoine en investissant aux côtés de ses clients.
Quelle est l’activité de Virgil ?
Virgil aide les jeunes actifs à devenir propriétaires de leur logement. Pour ce faire, nous investissons auprès d’eux jusqu’à 100 000 euros, en complément du crédit immobilier que nous leur obtenons. Ce n’est pas un prêt, c’est du capital. Nous devenons propriétaires avec eux, ne touchons aucun loyer et nous rémunérons seulement au moment de la revente.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Fraîchement diplômé de l’X et de l’Ensae, j’ai rejoint un fonds de private equity en cours de création, NextStage. À l’époque, c’était un risque inconsidéré – en 2002, on sortait de la crise, personne ne voulait entendre parler d’investissement ! Mais le risque a payé : j’en suis rapidement devenu associé et directeur général. J’avais 27 ans. Au bout de quelque temps, j’ai eu le sentiment de tourner en rond. J’évoluais dans un écosystème fermé, très loin de l’opérationnel. Alors je me suis associé avec les fondateurs de Onefinestay pour monter ce qui deviendrait le leader européen de la location d’appartements haut de gamme. J’en suis parti un an après que nous avons revendu la société au groupe Accor. De son côté, mon associée Saskia Fiszel a un parcours beaucoup plus orienté vers le consommateur final : Sciences Po, l’Essec et des marques de grande consommation comme L’Oréal et Nestlé.
Comment vous est venue l’idée ?
Pour Onefinestay nous avons recruté énormément de collaborateurs au profil similaire : des diplômés de grandes écoles au parcours prometteur, qui avaient tout réussi. Nous avons observé un phénomène assez systématique : seuls ceux qui pouvaient compter sur l’aide de leurs parents ont réussi à devenir propriétaires. Les autres, n’ayant pas accès à ce patrimoine familial, sont restés locataires malgré leur succès académique et professionnel. Cela a un impact social majeur : de génération en génération, les inégalités de patrimoine sont non seulement transmises mais aussi amplifiées. Nous avons décidé d’y faire quelque chose.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Acheter un appartement, c’est l’une des plus grandes décisions financières que l’on puisse prendre à l’échelle d’une vie. Pour accompagner nos clients, nous avons choisi de faire notre première levée de fonds très vite, avant même de commencer nos opérations. Nous savions que ce serait nécessaire pour offrir à nos premiers clients un accompagnement à la hauteur, sur un marché de l’immobilier qui peut être parfois si déroutant. Bien entendu, cela n’était possible que parce que notre parcours professionnel nous donnait une certaine crédibilité. Cela nous a permis aussi de rapidement constituer une équipe.
Onefinestay avait une marque employeur extraordinaire grâce à des codes très différents fondés sur le servant leadership, un management au service de l’employé. Mais c’était avant que les start-up ne fussent tant à la mode… Sans cette notoriété-là, le recrutement doit s’appuyer sur la personnalité des fondateurs, c’est un exercice très différent. Enfin, nous avons acquis notre tout premier client. Aujourd’hui, acheter des appartements avec nos clients, c’est notre quotidien. Mais la première fois est de loin la plus difficile : il faut convaincre tout l’écosystème – banques, notaires, agents immobiliers – que l’on peut acheter un appartement différemment. Une fois que l’on a franchi ce Rubicon une première fois, les choses sont plus évidentes.
Pourquoi l’accès à la propriété est-il devenu quasi impossible pour autant de familles en France ?
Nous savons que 96 % des 25–34 ans qui sont locataires le sont malgré eux. Presque toujours, l’obstacle est de nature financière. Paradoxalement, souvent, on peut acheter, mais trop petit, trop loin, trop moche même par rapport à ce qu’on peut louer. Et donc on ne saute pas le pas. Et c’est normal : depuis 2000, le prix de mètre carré parisien a augmenté de 150 % alors que les revenus disponibles, eux, ont stagné. En parallèle, les banques sont de plus en plus frileuses lorsqu’il s’agit d’accorder des prêts et les autorités de tutelle resserrent les critères d’octroi.
“96 % des 25–34 ans sont locataires malgré eux.”
L’exode récent des villes vers la province va-t-il jouer en faveur d’un regain d’activité dans l’immobilier des particuliers ?
Nous ne sommes pas près d’en finir avec les villes ! À l’encontre de la thèse d’un exode urbain, je pense que les villes ont encore de beaux jours devant elles. Le télétravail se généralise, certes, mais les carrières ne se construisent pas à distance : dans beaucoup d’entreprises, l’adage qui prévaut continue d’être « loin des yeux, loin du cœur ». Pour progresser et saisir les occasions de carrière, les jeunes voudront rester près du siège de leur entreprise. Et puis il y a les populations jeunes ou créatives qui, contrairement à ce que l’on peut croire, ne boudent pas du tout les villes, bien au contraire : elles ont besoin du brassage et de l’émulation qui ne peuvent naître que dans ces lieux densément peuplés. Chez Virgil, nous nous adressons aux jeunes, justement, et nous pensons qu’ils ont envie de rester citadins.
Il y a eu par le passé de sérieuses crises de l’immobilier (en 1987, en 2000), est-ce que cela ne risque pas de se reproduire ?
Cela va très certainement se reproduire ! Mais ça importe peu pour un acquéreur. Lorsque l’on achète un appartement, on transforme son loyer en capital, c’est le plus important. La spéculation sur le prix de son bien est un effet de second ordre. S’il contracte un prêt de 500 000 euros aujourd’hui, un acquéreur aura constitué près de 185 000 euros de capital dans dix ans simplement en remboursant ses mensualités. S’il reste locataire, en revanche, il sera en train de rembourser l’emprunt de son bailleur par des mensualités de loyer qui seront tout à fait perdues pour lui.
Pour nos investisseurs, qui nous permettent d’accompagner tous ces acquéreurs, la question se pose différemment : ils veulent acheter de l’immobilier parisien résidentiel. Même si l’immobilier parisien fluctue, ils savent que leur rendement sera meilleur avec nous qu’en investissements directs. Et puis, en remplaçant les locataires par des propriétaires-occupants, nous leur épargnons les problèmes de chauffe-eau et autres joyeusetés qui viennent avec le statut de bailleur et détruisent le rendement locatif…
Les fintechs sont-elles en train de prendre la place que les banques ne sont plus capables d’occuper ?
Être banquier, c’est exercer plein de métiers à la fois. Le cœur de leur activité, ce qui la définit, restera une affaire de banquier : transformer les dépôts à court terme de certains clients en crédit à plus long terme pour d’autres clients. Ce n’est pas un hasard si les fintechs qui se positionnent sur ce segment, Memo Bank par exemple, commencent par obtenir une licence bancaire. Mais, en plus de son cœur de métier, un banquier doit aujourd’hui savoir construire une relation avec ses clients, comprendre leurs besoins et inventer des produits et des modes relationnels qui leur conviennent. Pour conjuguer ces métiers, les banques malignes savent s’entourer d’un écosystème de fintechs créateur de valeur pour elles. Les autres dépensent des fortunes pour inventer des solutions dont leurs clients ne veulent pas.
En cas de remontée des taux, que deviendrait Virgil ?
Il faut considérer de pair la hausse des taux et l’inflation, qui ont des impacts opposés sur les prix. Nous voyons déjà nos acquéreurs ressentir l’urgence d’acheter avant la remontée des taux, et la conviction que l’immobilier est une superprotection contre l’inflation. Évidemment, une hausse prolongée aurait d’autres impacts difficiles à prévoir aujourd’hui. Mais le propre d’une start-up, c’est de savoir profiter des discontinuités de marché et je ne doute pas de notre capacité à toujours nous réinventer pour le faire.