Vivre, grandir et réussir à Corbeil-Essonnes
Comment favoriser la réussite de ces élèves venant de quartiers difficiles, n’ayant que peu d’horizons ouverts ? En développant leur ambition. La chose est facile à dire, plus difficile à mettre en œuvre.
Soutenir l’ambition
Faire vivre ensemble des élèves qui représentent la société actuelle
Notre ambition, c’est de faire vivre ensemble tous ces élèves qui représentent la société actuelle et de faire en sorte que le lycée soit leur référence commune. Nous instituons tout au long de leur scolarité des « rites » (stages d’intégration, bal Doisneau, Molines, course du cœur, « les arts s’emmêlent », Solibal, etc.) qui balisent l’année scolaire et leur apprennent ce qui ne figure pas dans les programmes, mais les sous-tend, le « vivre ensemble ».
Un lycée d’excellence dans un secteur sensible
J’ai rencontré Geneviève Piniau, proviseur du lycée Robert-Doisneau, à l’occasion d’un colloque sur l’ouverture sociale des grandes écoles qui se tenait sur le campus de l’X à Palaiseau. Elle témoignait des partenariats grâce auxquels des étudiants de grandes écoles ou d’universités accompagnaient des élèves de son établissement tout en les aidant à découvrir les voies de l’enseignement supérieur.
Son lycée, qui accueille 2 600 élèves, compte toutes les filières conduisant aux baccalauréats (général, technologique et professionnel) ainsi que des classes de BTS, la plupart donnant accès à des préparations aux concours d’écoles d’ingénieurs. Les élèves proviennent de six quartiers relevant des politiques de la ville, mais aussi de quartiers habités par les classes moyennes dans le périmètre de Corbeil. Pour éviter la ségrégation et proposer à tous une plus-value scolaire, le lycée a multiplié les sections rares (littéraires, arts plastiques, européennes, etc.). Reste à faire vivre et travailler ensemble ce grand nombre d’élèves d’origines si diverses.
Ces jeunes dirigeront notre société dans vingt-cinq ans : il ne faut donc pas les « rater ».
Notre année scolaire commence par l’accueil des secondes : parents et futurs élèves sont reçus dès février de l’année de troisième pour découvrir le lycée : lieu, programmes, droits et devoirs pour réussir le passage du lycée de la seconde à la terminale, etc.
Les mêmes parents et les mêmes élèves sont à nouveau reçus pour l’inscription, passage obligé, en juillet. Et rendez-vous est donné en septembre, le jour de la rentrée : les élèves sont pris en charge par leur professeur principal, les parents sont reçus à la salle à manger autour d’un café et d’un croissant, l’accueil est la « marque de fabrique » du lycée Doisneau.
Les parents entendent à nouveau les recommandations du proviseur et rencontrent le CPE en charge de leur enfant, les infirmières, l’assistante sociale, la responsable de la scolarité : il est plus facile d’entrer en contact avec une personne qu’on connaît.
Pendant ce temps, les élèves sont en classe et découvrent leur emploi du temps, le carnet de correspondance, le règlement intérieur, la charte informatique, etc., tout ce qui permettra de bien vivre ensemble. Une visite de l’établissement termine cette première matinée.
Esprit de classe
Après les positionnements de début septembre sont mis en place les stages d’intégration. Nos élèves venant d’horizons très différents, notre ambition est non seulement de les faire cohabiter dans les meilleures conditions possibles, mais aussi de créer un esprit de classe qui fera que l’entraide, la réussite seront l’affaire de tous.
La course du cœur en avril.
Dès le premier mois de scolarité, toutes les classes de seconde bénéficient d’un stage d’intégration en forêt de Fontainebleau, accompagnées par l’équipe pédagogique : découverte des uns et des autres autour d’une course d’orientation, élection des délégués de classe permettent de gagner beaucoup de temps dans la « création » de la classe.
Être élève de la seconde 2 du lycée Doisneau devient ainsi plus important que de venir du quartier Montconseil ou des Pyramides. À noter que les élèves des sections professionnelles, dont les classes sont encore plus hétérogènes, passent une nuit dans une base de loisirs.
Parents et partenaires
Nous retrouvons les parents pour la remise du bulletin de mi-trimestre, juste avant les congés de la Toussaint : les professeurs analysent les résultats et la bonne ou plus difficile entrée en seconde.
L’entraide, la réussite seront l’affaire de tous
Pour les élèves rencontrant quelques difficultés, il est proposé un contrat de réussite : engagement du lycée de mettre à disposition de l’élève tous les moyens pour réussir, engagement de l’élève à obtenir des résultats chiffrés, décidés par lui-même et vérifiés au moment du conseil de classe du premier trimestre, conseil auquel l’élève assiste.
Les parents sont donc nos premiers partenaires : ils nous confient ce qu’ils ont de plus précieux, leur enfant, notre élève. Et les parents sont partie prenante du contrat de réussite et signent au bas du document en s’engageant eux aussi à veiller aux heures de sommeil, de lever, en coupant la télévision au moment des devoirs, en vérifiant le cahier de textes ou les notes obtenues, etc.
Mieux étudier
Pour envisager des études, il faut pouvoir travailler dans de bonnes conditions en dehors du lycée, ce qui n’est pas le cas de bien des jeunes qui vivent nombreux dans des appartements inadaptés : le lycée ne manquant ni de chaises, ni de tables, il a été facile de mettre en place les études du soir.
Depuis neuf ans, le lycée reste ouvert jusqu’à 19 heures et permet donc aux élèves volontaires de faire leurs devoirs accompagnés par des enseignants (une trentaine) et des assistants pédagogiques (7 ETP). Le CDI est également ouvert jusqu’à 19 heures quatre soirs par semaine.
Un contrat personnalisé
Certains élèves de seconde ne mesurent pas leurs difficultés. Les professeurs principaux leur proposent donc un contrat de réussite. Ce document est signé par l’élève lui-même, s’il accepte les clauses du contrat, par ses parents qui s’engagent auprès de leur enfant, par le professeur principal, le CPE et le chef d’établissement.
Partenariats
Nos partenariats avec des grandes écoles (Polytechnique, École des Mines de Paris, Management Sud Paris et Télécom Sud Paris, Sciences-po Paris, lycée Saint- Louis et université d’Évry) permettent aux élèves d’être suivis par des élèves ingénieurs ou des étudiants et de découvrir ces écoles ou l’université qu’ils ne connaissent pas en entrant au lycée, et que, pour la plupart, ils n’envisagent pas.
Le contrat fait le point sur les résultats obtenus et attendus le trimestre suivant, l’élève fixant lui-même ses objectifs en fonction de la classe de première envisagée. Professeur principal, CPE et chef d’établissement proposent une prise en charge de l’élève en fonction de ses difficultés : remédiation par un assistant pédagogique, études du soir, travail sur le projet personnel et professionnel avec un conseiller d’orientation psychologue.
L’élève sous contrat assiste à son conseil de classe. 80% des élèves sous contrat réussissent leur passage en première générale ou technologique.
Dans le même temps, des devoirs communs sont mis en place en seconde en français, mathématiques et langues vivantes. Pour les terminales, des devoirs sur table sont systématiquement mis en place les samedis matins : pour les S, par exemple, une semaine mathématiques, la deuxième semaine physique, la troisième semaine SVT, et ainsi de suite. Cela permet aux professeurs d’avoir toutes leurs heures de cours dans la semaine puisque les devoirs sont programmés le samedi matin.
La culture aussi
Le scolaire n’est pas tout. Le déficit culturel est énorme. Nous devons donc développer toutes les actions qui peuvent permettre de limiter cette différence. Toutes les secondes bénéficient de sorties théâtre, cinéma, musée, préparées par les professeurs.
Les « Mardis de Doisneau » favorisent la rencontre avec des personnalités, sous forme de conférences de haut niveau sur des sujets de société. OGM, développement durable, réchauffement climatique, philosophie et religions, État et Nation sont abordés avec des intervenants reconnus : J.-M. G. Le Clézio, Luc Ferry, Sylvie Granon, Sylvain Grouz, Violette Silberstein, etc.
Un partenariat avec le Louvre, qui concerne tous les élèves du territoire des Tarterêts, permettra à nos élèves de découvrir le « beau », « l’universel », et fera d’eux des médiateurs culturels vis-à-vis de leurs parents, qui auront une fois par trimestre l’opportunité d’aller au Louvre en soirée. Ce projet est accompagné financièrement par la Fondation Seligmann.
Une approche globale
Le bal Doisneau en décembre.
Dépasser le cadre culturel des milieux d’origine des élèves, mieux appréhender la nécessité d’une langue maîtrisée et d’une culture ouverte dépassant la surdétermination des cultures d’origine est une nécessité au même titre que l’enseignement.
C’est une approche globale du jeune qui caractérise notre lycée : CPE, infirmières, médecin scolaire, assistante sociale, et surtout les parents qui participent à toutes les décisions qui concernent ce qu’ils ont de plus précieux, leur enfant. C’est donc le regard croisé des adultes qui permet de prendre en compte l’enfant qui nous est confié pour en faire un élève qui réussit.
Les résultats aux différents baccalauréats, les poursuites d’études permettent de penser que nous sommes dans la bonne voie. Les crédits « politique de la ville » assurent en partie le financement des études du soir, de l’ouverture culturelle, etc. Le rectorat et l’inspection académique nous donnent les moyens humains nécessaires.
La France a besoin de têtes pensantes, mais aussi de bons techniciens
Accueillir les jeunes dans une formation correspondant à leurs capacités et à leurs souhaits est un autre défi. Nous avons enrichi notre offre de formation en ouvrant un CAP d’électricité. Nous formons douze jeunes qui trouveront du travail dans le secteur et pourront, le cas échéant, poursuivre leurs études en bac professionnel : la France a besoin de têtes pensantes, mais aussi de bons techniciens. Ne l’oublions pas et laissons sa chance à chacun.
Préparer l’accès aux CPGE, à Sciences- po, donner de l‘ambition, c’est bien : il nous faut maintenant aller plus loin et assurer le financement des études supérieures quand les familles ne peuvent le faire, si des portes ne peuvent s’ouvrir faute de moyens matériels, c’est inacceptable. C’est notre nouvelle bataille.
Geneviève Piniau a pris sa retraite le 1er septembre 2012.