Erik Egnell (57), vivre l’histoire, l’écrire
Il intégra l’X très jeune, puis, passé par Sciences-Po Paris, fit l’ENA. Après des postes de conseiller commercial dans nos ambassades, la retraite venue, il devint éditeur pour publier entre autres ses récits historiques.
Je citerai d’abondance cet « usager impénitent de la plume puis du clavier », comme il se qualifie, ne se prenant jamais tout à fait au sérieux, pétillant d’esprit, épris tant de Stendhal que de la période napoléonienne.
LE SECOND PLUS JEUNE DE LA PROMO
Hypotaupe à Janson et taupe à Ginette. « À Ginette c’était le bol d’air matinal dans le parc et le pain au chocolat de quatre heures dans la cour. Mon prof de français me fit découvrir Paludes de Gide (“Moi, j’écris Paludes”) et Les Mariés de la tour Eiffel de Cocteau (“Puisque ces mystères nous dépassent, feignons de les organiser”). »
Intégré en 3⁄2, le second plus jeune de la promotion, « entré à l’X grâce au français, à l’épreuve de résumé de texte (et aussi à la chimie, ayant eu la chance de tomber sur un sujet que je savais par cœur) ».
Dessin : Laurent SIMON
« Sous-lieutenant, j’ai fait, à l’été 60, six mois sur un piton à quelque 10 km au sud de Djidjelli, en Petite Kabylie. Il y avait là une des plus belles plages de sable que j’aie jamais vues. Quand j’y descendais avec ma section, je disposais des fusils-mitrailleurs aux quatre coins et tout le reste de la troupe se mettait à l’eau. J’étais artilleur, nous avions un canon (ou plusieurs, je ne sais plus) sur le piton, je suis parti une fois avec la Légion en DLO (Détachement léger d’observation), ils avaient si peur que l’obus leur tombât dessus qu’ils ne m’ont pas demandé un seul tir, de toute façon nous n’avons pas rencontré un fellagha, je me rappelle simplement une longue promenade sous les chêneslièges jusqu’à l’oued Djen Djen dans une profonde vallée. »
À L’ENA PAR LES ASSURANCES
« Admis au corps de contrôle des assurances, qui n’avait reçu personne de l’X depuis des années, comme il n’y avait pas d’école d’appli et qu’on n’allait pas en créer une pour moi seul, je fus inscrit à Sciences-Po et j’y préparai l’ENA.
Mon caissier, Patrick Peugeot, m’avait fait découvrir ce “petit corps”, où j’aurais la possibilité de préparer l’ENA, où je ne pouvais entrer par le classement, car, selon les règles de l’époque, il fallait être dans le premier tiers : or nous étions 300 et je suis sorti 103e.
Début 62, après mon entrée à l’ENA, je suis reparti en Algérie pour un an, j’ai été affecté à Alger (je n’ai mis qu’une fois mon uniforme pour me présenter à Rocher-Noir) à la Caisse d’équipement pour le développement de l’Algérie, qui distribuait les crédits du plan de Constantine.
J’élaborai ainsi pour un siècle au moins l’avenir de ce beau pays. Quatre mois plus tard, ce furent les accords d’Évian et je rentrai en métropole, rejoignant ma promotion de l’ENA, qui avait commencé dès janvier son stage en préfecture. »
UN ÉNARQUE EN PRÉFECTURE
« J’arrivai à Nancy, où le préfet Gervais, le secrétaire général Paolini et le directeur de cabinet Pandraud me reçurent poliment. J’étais leur premier stagiaire de l’ENA, ils ne savaient pas trop quoi me faire faire, ils m’envoyèrent en représentation à quelques cérémonies, où je m’exerçai à faire des discours.
Providentiellement survint Fallex, un exercice de protection civile, la défense du département contre une attaque nucléaire : on me confia la responsabilité de son organisation.
Pas de chance : mon partenaire en charge des anciens combattants mobilisés pour la circonstance était un vieux monsieur, M. Bastien-Thiry. Se produit alors l’attentat du Petit-Clamart et ce monsieur éploré vient m’apprendre qu’il est le papa et me demande d’être compréhensif s’il se retire dudit exercice, qui en pâtit sensiblement.
Je n’en pris pas moins pour sujet de mémoire de stage, Le rôle du préfet dans un conflit atomique : ce n’était guère d’actualité, malgré la guerre froide, et, nonobstant la qualité du travail (j’ose le dire car j’ai relu ce factum avec émotion il y a quelque temps quand je l’ai retrouvé dans un carton !), je n’eus qu’une note médiocre. »
CAP VERS L’ÉCONOMIE
« Maintenant, les stages en entreprise. J’eus le privilège d’en faire deux, car en fin d’école, j’utilisai la possibilité qui était accordée aux élèves de redoubler pour améliorer leur classement de sortie, ce que je fis, sortant l’année suivante à peu près au même rang. Je fis donc deux stages à la Société générale, où mon père avait un bon copain, le premier à Strasbourg et Cologne (l’allemand est avec l’équitation un des deux enseignements dont je profitai à l’ENA), le second à Londres.
À Strasbourg, où je passai les deux dernières semaines de l’an 62, je ne vis pas une seule fois le soleil (je l’aperçus un dimanche au mont Sainte-Odile) et je me réfugiai dans les caves, où je découvris la salade de cervelas. »
LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE
À la sortie de l’ENA, en 1965, il est affecté au ministère de l’Économie. Il est attaché commercial près l’ambassade de France en URSS en 1967 – « je me suis mis à l’équitation, que j’ai pratiquée quelques années, notamment à Moscou, au manège central de l’Armée rouge » – avant de revenir à Paris en 1971.
Il est conseiller commercial au Canada en 1974, puis chef des services d’expansion économique en Irak de 1977 à 1980 : au moment du choc pétrolier et de la révolution iranienne, il est à Bagdad, Jacques Chirac et Saddam Hussein voulaient intensifier les échanges entre les deux pays. Il est nommé en Grande-Bretagne en 1980, puis à nouveau au Canada de 1983 à 1987.
À cette date, il revient en France pour diriger le commerce extérieur de la région Nord- Pas-de-Calais de 1987 à 1992. En septembre 1992, il retrouve la fonction de chef des services d’expansion économique, en Autriche : « Vienne est la ville dont je garde le meilleur souvenir. Tout en se développant à la périphérie, elle est restée la capitale d’empire multiethnique qu’elle était sous François-Joseph, qui régna près de soixante-dix ans, comme Louis XIV et Victoria, et qui, République ou pas, est toujours aujourd’hui le vrai chef de l’État, apparaissant partout en effigie, un “culte de la personnalité” qui subsiste et s’est peut-être intensifié cent ans après sa mort (Napoléon n’est pas aussi présent à Paris).
Vienne a été depuis la fin du Second Conflit mondial un pont entre l’Est et l’Ouest. J’ai eu la chance d’y être au moment de la chute du communisme, quand on s’y précipitait de l’ex-URSS et des ex-pays satellites et que nos entreprises en faisaient leur base pour donner l’assaut à l’ex-camp socialiste. »
Souhaitant retrouver la voie littéraire, abandonnée depuis le lycée, Egnell fonda en 2006 les Éditions Cyrano – il vit en effet une grande partie de l’année près de Bergerac.
Article d’Erik Egnell dans La Jaune et la Rouge n°600 (décembre 2004) : Histoire du Tigre celtique