Vivre une société pluriethnique dans un collège en ZEP à Paris
Le collège et son projet
Le collège et son projet
Comme tous les collèges de l’Éducation nationale, celui-ci a élaboré un projet d’établissement où il se donne pour objectifs la réussite de tous les élèves et leur acheminement vers les filières du second cycle. Un certain nombre arrive en 6e qui ne maîtrisent pas les connaissances de base dispensées dans l’école primaire, aussi la direction a‑t-elle mis en place un Programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) pour mettre à niveau les élèves en difficulté, et un Atelier français-mathématiques (AFM6) pour renforcer les élèves moyens. De notre côté, avec les membres d’autres associations, nous assurons l’accompagnement individuel d’élèves en grande difficulté que nous désignent leurs professeurs.
Mais au-delà de ces aides à l’enseignement, le collège s’est donné les moyens de maintenir une ambiance favorable aux études. À cause de la diversité des ethnies et des cultures, et aussi du déracinement que provoque l’immigration, les méthodes d’éducation varient suivant les familles.
Les différences portent sur la relation à autrui et notamment sur ce que nous appelons la civilité. Dans ces domaines, le collège a défini des règles qui, s’appliquant à tous, couvrent tous les aspects de la vie en commun dans l’établissement. Ces règles ont été largement affichées et diffusées, tant auprès des élèves et que de leurs parents. Le collège étant classé en ZEP, trois conseillers principaux d’éducation (CPE) lui sont affectés et il a directement recruté dix assistants, dont sept avec le statut d’assistants d’éducation (AED) et trois titulaires de contrats d’aide à l’emploi.
L’application des règles de la vie scolaire
Aux CPE aidés par les assistants revient la responsabilité d’assurer la fonction vie scolaire, dont les objectifs sont la gestion, la sécurité et la prise en charge éducative des élèves quand, présents dans l’établissement, ils ne sont pas en classe. Cela comporte le contrôle des arrivées et la gestion des retards. La règle impose à chaque élève d’avoir sur lui le carnet de liaison avec sa famille, qui tient lieu de passeport dans l’établissement et qu’il doit présenter à l’entrée comme à la sortie. Les retardataires passent dans le bureau de la CPE qui est situé dans le hall d’entrée. Celle-ci mentionne le retard sur leur carnet ; ceux qui arrivent plus de dix minutes après l’heure sont envoyés en permanence jusqu’à la fin de la première classe.
Dans le courant de la journée, toutes les péripéties de la vie scolaire, problèmes ou incidents, aboutissent aux bureaux des CPE : après les retardataires, ce sont les élèves exclus d’un cours, ceux que les assistants ont surpris traînant dans les couloirs, ceux qui ont des comportements violents pendant la récréation, et tous ceux qui ont besoin d’une aide, d’une autorisation, d’une dérogation, d’un certificat…
Chaque affaire est instruite en liaison avec les professeurs, les parents et parfois l’infirmière ou l’assistante sociale. Il arrive en effet qu’un incident révèle un problème qui ne relève pas seulement d’une atteinte au règlement. Les assistants sont partout présents dans les espaces communs, le hall d’entrée, les couloirs et la cour de récréation ; ils sont les gardiens des règles de la vie commune. La porte des bureaux des CPE est ouverte ; leur relation avec les élèves est « une prise en charge éducative »1, une formation au vivre ensemble.
Un des ressorts de leur action est le contact avec les parents. Beaucoup n’osent pas aborder les enseignants et la fédération des parents d’élèves rencontre de grandes difficultés pour les mobiliser. Dans le courant de la journée, les CPE les appellent, pour une absence, un incident ou une démarche. Ils connaissent les élèves depuis leur arrivée au collège et parfois ils ont aussi connu le grand frère ou la grande sœur qui sont passés par le collège. Cela leur permet d’entretenir une relation avec les parents, lesquels à leur tour n’hésitent pas à appeler ou à venir voir les CPE au collège.
Les sanctions qui pénalisent les atteintes aux règles de la vie scolaire
Comme dans tous les collèges, les sanctions s’échelonnent de la retenue jusqu’au passage en conseil de discipline. La réunion du conseil de discipline s’entoure d’une grande solennité : l’élève comparaît en présence de ses parents et de représentants des élèves. La décision peut aller jusqu’à l’exclusion définitive. Dans le cas du collège, il y a eu trois réunions depuis le début de l’année, au cours desquelles deux exclusions ont été prononcées. Il revient au rectorat de proposer un autre établissement à ceux d’âge scolaire. L’un d’eux, qui avait insulté la CPE, a été affecté dans un collège du Ve arrondissement où, semble-t-il isolé de ses compagnons d’indiscipline, il se comporte normalement. L’autre, dont la comparution est plus récente, attend la désignation par le rectorat d’un collège qui l’accueille.
Un collège de relégation ou un collège qui anticipe l’avenir ?
Tous ceux qui vivent en région parisienne savent à quel point ses habitants sont confrontés à la diversité des ethnies et des cultures, aussi m’a-t-il paru intéressant de regarder comment s’y prenait ce collège pour scolariser ensemble des adolescents issus de cette diversité. La qualité de la direction et le professionnalisme des enseignants sont évidemment des conditions nécessaires sur lesquelles il faudrait écrire un autre article. J’ai ici fait le choix de souligner le rôle que jouent les CPE et leurs assistants en assurant l’encadrement de la vie scolaire tout en entretenant les contacts avec les familles.
Comme tous les collèges, celui-ci rencontre des difficultés et affronte des problèmes. En tant qu’accompagnants, nous rencontrons des élèves qui ont de gros retards en français, en maths ou en anglais, et dont certains manifestent une grande réticence à l’apprentissage scolaire. Cependant le collège maintient une exigence d’excellence qui lui permet d’envoyer chaque année une proportion notable d’élèves dans les filières les plus sélectives des lycées. La faible proportion d’élèves d’origine hexagonale permet de penser que beaucoup de parents ont craint une contagion de l’échec pour leurs enfants. Je témoigne du fait que le collège maîtrise cette contagion et je ne peux m’empêcher de penser que, dans l’exercice de sa fonction éducative, il apporte en plus aux élèves une ouverture sur le monde qu’on ne trouve pas dans d’autres établissements.
1. J’emprunte cette expression à François Dubet qui, dans « L’école des chances » (La république des idées, Seuil, 2004) a réfléchi sur l’importance de cette prise en charge dans laquelle il voit justement une éducation à la citoyenneté.