Vols long-courriers : faire face aux compagnies low-cost
Un exemple des nouvelles méthodes de travail : conseiller les compagnies traditionnelles devant les low-cost qui étendent leur offre au long-courrier. Pour garder leur image de marque, il faut certes réduire les coûts mais aussi proposer des services innovants.
Les compagnies à bas coût bousculent les modèles économiques sur court et moyen-courrier en manageant plus finement leurs structures coûts, en augmentant leurs sources de revenus annexes et en choisissant des routes en fonction des attentes des voyageurs et non en fonction des hubs.
Les compagnies traditionnelles sont alors face à un dilemme : imiter les compagnies à bas coût ou s’accrocher à leur modèle historique ?
REPÈRES
Quand Herb Kelleher lance Southwest Airlines en 1971 avec trois Boeing 737 pour desservir seulement quelques villes au Texas, rares sont ceux qui auraient parié sur son succès. Encore plus rares sont ceux qui auraient prédit la création d’un business model qui sera ensuite décliné dans d’autres régions du globe.
Quarante-cinq ans plus tard, les compagnies low cost ont démocratisé le transport aérien et ont des profitabilités supérieures aux compagnies traditionnelles.
L’IRRÉSISTIBLE PERCÉE DU LOW COST
Depuis les débuts de Southwest, les compagnies low cost se sont significativement développées et représentent maintenant 25 % du trafic aérien mondial.
Les compagnies à bas coût ont eu leur plus fort impact sur le court et moyen-courrier avec une part de marché en Europe autour de 40 % en 2015, plus élevée qu’en Asie-Pacifique ou en Amérique du Nord.
En Europe, la part des compagnies à bas coût dans le trafic aérien varie de manière significative entre les aéroports, notamment pour des raisons de régulation locale, de créneaux disponibles et de priorités de développement pour les compagnies.
Certains marchés – Espagne, Royaume-Uni, Portugal et Italie par exemple – ont été emportés par la « vague » des compagnies à bas coût. En France, Allemagne ou Benelux où les compagnies traditionnelles ont encore une avance confortable, les compagnies à bas coût devraient continuer à croître dans les années à venir.
Southwest Airlines, fondée en 1971, a créé un modèle de développement qui s’est largement répandu. © MARCHELLO74 / SHUTTERSTOCK.COM
LE MARCHÉ EUROPÉEN SOUS PRESSION
Au Royaume-Uni et dans les pays du sud de l’Europe – Italie, Espagne, Portugal – le low cost représente de 42 à 48 % du marché des courts et moyens-courriers.
En Allemagne, France et Benelux, il est de l’ordre de 25 %.
COURTS ET MOYENS-COURRIERS : UNE CROISSANCE TRÈS MARQUÉE
De 2004 à 2015, la part du low cost courts et moyens-courriers – exprimée en nombre de sièges – a connu une très forte croissance. En Europe, elle est passée de moins de 20 % à 40 %, en Amérique du Nord de 18 à 30 % et en Asie-pacifique de 5 à 25 %.
Notons toutefois qu’en Amérique du Nord cette part de marché s’est stabilisée depuis 2010.
DES COÛTS INFÉRIEURS DE 30 %
La croissance est soutenue par l’évolution des compagnies à bas coût : service rudimentaire et packages optionnels à destination des voyageurs fréquents, voire des petites entreprises.
Les compagnies à bas coût sont également plus présentes dans les aéroports principaux – même Ryanair, habituée des aéroports secondaires, a un plan de développement de vols depuis les aéroports principaux, comme, par exemple, Paris-Charles-de-Gaulle.
En étudiant la structure de coûts des compagnies à bas coût, on constate qu’elles ont des coûts 30 % inférieurs aux compagnies traditionnelles, en grande partie grâce à leur structure et à leur organisation.
Les compagnies à bas coût ont des chaînes de valeur bien plus optimisées que les compagnies traditionnelles, ce qui explique pour moitié la différence de coûts ; l’autre moitié vient des niveaux de service inférieurs.
Les compagnies low cost optimisent la rotation de leurs avions.
DES ÉCONOMIES SUR TOUS LES POSTES
Dans les compagnies low cost, la recherche de gains est systématique dans tous les domaines.
Ces gains touchent aussi bien les salaires que la productivité des employés (4 % du coût total), les repas payants (3 %), la limitation des services aux clients et la plus grande densité de sièges (9 %), la flotte d’avions généralement récente, ce qui permet de gagner sur les rotations, les coûts d’exploitation, le carburant et le nombre de sièges (6 %), les frais de vente avec peu d’intermédiation (4 %), les coûts de structure de la compagnie (2 %), les droits de trafic et redevances aéroportuaires (1 %).
LA BATAILLE DU LONG-COURRIER
Le long-courrier est la prochaine étape pour les compagnies à bas coût. En Europe, Norwegian Air ou Wow Air ont lancé les hostilités en 2016 et début 2017 avec des offres low cost long-courriers vers de nombreuses destinations aux États-Unis, notamment New York, Los Angeles, Miami ou encore Boston.
Les compagnies low cost ont rendu les repas à bord payants. © RUBEN M RAMOS / SHUTTERSTOCK.COM
Les avantages des compagnies à bas coût sur les voyages plus courts sont aussi applicables au long-courrier, même si l’impact est moindre. La différence de coûts entre les compagnies à bas coût et les compagnies traditionnelles va potentiellement jusqu’à 20 %, et pour les voyageurs, la différence nette de prix pourrait ainsi devenir décisive dans leur critère d’achat.
La menace va s’amplifier sur le long terme avec encore plus de compagnies à bas coût présentes sur les routes principales intercontinentales depuis l’Europe vers New York, Singapour ou Shanghai.
Des alliances sont également en train de se former, comme celle entre La Compagnie et Corsair avec easyJet à Paris pour faire concurrence à Air France.
LES CHANCES DES COMPAGNIES TRADITIONNELLES EUROPÉENNES
Les lignes long-courriers représentent une part essentielle de la profitabilité des compagnies traditionnelles et de leur attractivité, et la concurrence des compagnies low cost est une menace clairement identifiée.
Comment les compagnies traditionnelles peuvent alors garder leur avantage sur le long-courrier ? En agissant suivant quatre grands axes.
SE DÉMARQUER DES COMPAGNIES LOW COST
Le premier axe est l’enrichissement et le développement de la différenciation produit et l’expérience consommateur.
La tentation est grande de battre les compagnies à bas coût à leur propre jeu, mais les compagnies traditionnelles peuvent maintenir leur avantage compétitif en restant sur leur terrain de jeu. Investir dans leurs points forts – service, couverture géographique et expérience client – leur donnera de plus grandes chances de succès que copier les compagnies à bas coût.
Les avions récents consomment moins et sont moins coûteux à entretenir.
Les compagnies traditionnelles peuvent utiliser les mêmes méthodes de « dépackaging », non pas pour diminuer le niveau de service mais pour augmenter leur différenciation en offrant des services innovants auxquels les voyageurs accorderont de l’importance.
DES RECETTES SOUVENT TRANSPOSABLES AU LONG-COURRIER
Il sera sans doute difficile de gagner sur la rotation des appareils car les contraintes sont très différentes de celles du court ou moyen-courrier.
Mais les autres recettes sont soit partiellement applicables – c’est le cas pour la densité des sièges, les services inclus dans le tarif de base ou la productivité du personnel – soit totalement applicables.
REPENSER L’ESPACE INTÉRIEUR ET LES ROUTES
La compréhension de l’utilisation de l’espace et des coûts en cabine est critique pour déterminer les routes les plus profitables ainsi que les classes de sièges correspondantes. Si nécessaire, les compagnies traditionnelles peuvent reconfigurer les cabines pour les adapter aux différentes routes.
In fine, les analyses peuvent aider à redéfinir les modèles économiques des routes et aider les compagnies traditionnelles à s’approcher un peu plus d’un optimum de coûts, notamment par rapport à des analyses plus basiques de type « coût par siège kilomètre offert ».
Ainsi, les bénéfices supposés des classes business et plus (par exemple première) sont souvent surévalués, sachant qu’elles ont moins de sièges et ont un coût de service plus élevé.
TRANSFORMER LE MODÈLE OPÉRATIONNEL
Comme évoqué plus haut, au moins la moitié de l’avantage compétitif des compagnies à bas coût vient de leur efficacité opérationnelle. Les compagnies traditionnelles doivent franchir trois étapes pour réduire leur écart.
JOUER SUR LES SERVICES
Les services sont le domaine dans lequel les compagnies traditionnelles peuvent vraiment se différencier. Le voyageur est toujours le roi, et en prendre soin, le comprendre voire le surprendre avec des services dédiés ou des innovations est une manière de renforcer l’image de marque d’une compagnie, d’avoir des clients heureux et de surclasser les compagnies à bas coût.
La quantité massive de données collectées via les programmes de fidélité et les cartes de crédit peuvent aider les compagnies aériennes à créer des services sur-mesure.
Tout d’abord, améliorer et déployer des processus lean le long de la chaîne de valeur et utiliser des approches de benchmarking avancées pour identifier et mesurer les écarts de compétitivité avec les concurrents et amorcer des programmes de transformation dans les domaines pertinents.
Ensuite, donner du pouvoir aux organisations achat afin d’améliorer les pratiques, outils et organisations, des achats jusqu’au paiement et de mettre en place des approches innovantes de sourcing pour faire bouger les lignes et activer du potentiel non exploité (par exemple, l’optimisation collaborative des opérations au sol ou la restauration pourrait permettre des économies jusqu’à 15 %).
Enfin, conclure de nouveaux accords avec les employés. Le changement doit commencer à la base. Le support des équipes opérationnelles est primordial pour permettre aux organisations de rattraper leur retard de compétitivité.
METTRE EN PLACE DES DIVISIONS LOW COST DÉDIÉES
La bataille du long-courrier peut se gagner sur le court et moyen-courrier puisque le trafic croissant dans les hubs reste un différenciateur crucial pour le modèle économique du long-courrier.
La bonne utilisation de l’espace en cabine est un élément critique.
© ROBERT HOETINK / FOTOLIA.COM
Plutôt que de dégrader le niveau des opérations pour se mettre au niveau des compagnies à bas coût – ce qui n’aurait que des effets négatifs sur l’image de marque – il est préférable que les compagnies traditionnelles créent des filiales dédiées au low cost, comme sont déjà en train de le faire quelques grandes compagnies européennes avec Vueling/Level, Transavia, Eurowings ou encore Joon d’Air France.
La clé est de construire un modèle low cost depuis zéro, plutôt que d’adapter un modèle de compagnie traditionnelle. Ces nouvelles compagnies à bas coût doivent aussi avoir la liberté d’utiliser des réseaux de lignes plus favorables, même si elles entrent en concurrence avec les compagnies principales ou mères.
S’ENVOLER VERS L’AVENIR
Avec leurs profits plus élevés que toutes leurs concurrentes, les compagnies à bas coût forcent les compagnies traditionnelles à réexaminer leurs modèles historiques. Le champ de bataille se déplaçant du court, moyen-courrier vers le long-courrier, les compagnies traditionnelles peuvent en sortir victorieuses en revisitant leurs modes de fonctionnement et en se démarquant avec une expérience client exceptionnelle.