Voltaire’s Folies
On risque de ne rien comprendre à Voltaire si on ne se le représente comme un journaliste extrêmement curieux, à l’affût du moindre frisson de l’actualité (Kléber Haedens). Tout est dit là sur le côté brillant mais superficiel de cet auteur, et aussi sur son goût immodéré du succès. Auteur dont on peut se demander s’il était vraiment aussi intelligent qu’on l’a cru longtemps, ou tout au moins si son jugement était bien assuré.
Parce qu’il s’est beaucoup trompé, presque tout le temps. Sur Frédéric II qui le méprisait mais s’en servait, sur J.-J. Rousseau qu’il tenait pour un piètre écrivain, sur Pascal à qui il n’a rien compris, sur Leibniz dont les idées scientifiques et métaphysiques lui passaient d’évidence au-dessus de la tête, sur Maupertuis en tentant de ridiculiser ses intuitions évolutionnistes prémonitoires, sur Marivaux dont il barra l’accès à la Comédie-Française autant qu’il put. Sur lui-même enfin en laissant avec complaisance l’intelligentsia du temps le regarder comme un grand poète et un génial dramaturge, alors que son Henriade est merveilleusement illisible, ses tragédies injouables avec leurs intrigues de mélodrames et la platitude de leur versification. Mort en 1778, onze ans seulement avant la prise de la Bastille, le châtelain de Ferney n’aura rien vu venir des événements en gestation, qui eussent sans doute heurté son sens du confort matériel, et à coup sûr réduit ses ressources financières, reposant en partie sur la traite négrière, dit-on.
À part deux ouvrages historiques d’une facture plutôt innovante pour l’époque, il n’est en définitive vraiment bon, mais alors excellent, que dans le très court : le conte, le billet d’humeur, ce qui est bien le propre du journalisme.
Or voilà que l’on a fabriqué du théâtre voltairien, justement à partir de ces billets et d’une sélection qu’il en publia en 1760, sous le nom de Recueil des Facéties parisiennes. Au hasard d’une flânerie chez les bouquinistes des Quais, un vieil exemplaire de cet ouvrage tomba dans les mains d’un homme de théâtre, J.-F. Prévand, qui décida de les porter à la scène, quasiment mot pour mot. Cela donna les Voltaire’s Folies. Elles connurent dès 1970 un vif succès de café-théâtre et au Lucernaire, puis en Avignon-off et tournées internationales. Elles sont présentement reprises au Théâtre de l’Œuvre, dans une mise en scène du même Prévand, interprétées par quatre comédiens de haut vol : C. Ardillon, O. Claverie, G. Maro et J.-J. Moreau.
Le résultat est un délire verbal et scénique où éclate la grinçante drôlerie du pamphlétaire. Un spectacle qui eût en tout cas réjoui M. Homais ! Si toutefois vous risquez d’être choqués d’entendre présenter le mystère de l’Incarnation comme le cas d’une pucelle engrossée par une colombe pour donner naissance, dans une écurie, à un dieu charpentier – tels sont les termes employés – mieux vaut vous abstenir. Le jeune Arouet fut formé au collège de Clermont par les jésuites. Ce sont toujours des bosseurs, souvent des savants, parfois des saints, mais rarement des hommes de goût. Ils ne surent d’évidence pas en tout cas former celui de leur élève, dont les plaisanteries manquent parfois du sens de la mesure.
Mais si, malgré ces considérations, vous restez amateurs du primesaut voltairien, de son ardeur à pourfendre avec cocasserie la bêtise et l’intolérance, des mahométans et des juifs comme des chrétiens d’ailleurs, allez au Théâtre de l’Œuvre. Vous y retrouverez la sûreté de plume de l’auteur de Zadig, magnifiée par le bien-dit des comédiens et le brio d’une mise en scène endiablée à souhait, où des tableaux sans liens entre eux se succèdent dans une rapidité de rythme à couper le souffle.
Théâtre de l’Œuvre,
55, rue de Clichy, 75009 Paris.
Tél. 01.44.53.88.88.