WAGNER : La Tétralogie
Il n’est pas courant, à part à Bayreuth, qu’une scène d’opéra produise les quatre opéras de la Tétralogie de Wagner dans une même saison, avec le même chef et une mise en scène, des décors et des costumes cohérents.
L’Opéra de Paris s’y était risqué il y a quelques années. C’est aussi une initiative prise à la Scala de Milan en 2010, qui nous est proposée désormais en DVD et Blu-Ray.
La Tétralogie est naturellement un monument de l’histoire de la musique.
Dans cet ensemble de quatre opéras, Wagner pousse à son maximum pendant seize heures les éléments du système qu’il a créé : orchestration révolutionnaire, spectacle total intégrant musique, texte, décors et mise en scène, mélodie continue autour de thèmes musicaux (leitmotiv) attachés aux personnages, objets, et sentiments, et tout cela sur un livret écrit par le compositeur tiré d’anciennes légendes germaniques.
La taille de cette rubrique ne permet pas de résumer sans caricaturer l’intrigue des quatre opéras que forme le cycle de L’Anneau du Nibelung, le Ring, que sont L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux. Le monde recréé par Wagner à partir des mythologies nordiques et germaniques, avec ses dieux affaiblis (Odin-Wotan, Thor- Donner, Loki-Loge, etc.), ses hommes vils, ses héros extrêmes, offre de nombreux niveaux de lecture.
On conseille, pour passer un bon moment et en connaître le minimum, d’écouter l’excellente synthèse faite avec vraiment beaucoup d’humour en huit minutes sur Youtube (pour la trouver, googlez « Youtube Tétralogie simple »).
Il n’existe pas de Ring idéal. Lors des premières représentations du cycle à Bayreuth dans la mise en scène de Patrice Chéreau pour le centenaire en 1976 (Boulez à la direction), les spécialistes crièrent au scandale. Cinq ans plus tard, c’était devenu un classique.
La vidéo existe et fait référence en DVD, mais dans une image de qualité très datée. Et avec une distribution, la meilleure qui puisse se faire à l’époque, mais plusieurs niveaux en dessous de ce qui fut l’âge d’or du chant wagnérien (pour simplifier, 1930–1965), et inférieure au niveau d’aujourd’hui.
Plus proche de nous, le Ring joué à Bayreuth depuis 2013, dirigé par Kirill Petrenko (futur directeur de la Philharmonie de Berlin), est considéré comme le meilleur depuis longtemps. Mais il n’est pas publié en vidéo.
Ce cycle de la Scala donné en 2010 nous permet d’entendre les grands chanteurs wagnériens des premières années du XXIe siècle : Waltraud Meier (formidable en Sieglinde et en Waltraute, son homonyme), Irene Theorin, Nina Stemme (magnifique Walkyrie), René Pape.
La mise en scène très recherchée, peut-être trop, est moins lisible que les mises en scène purement théâtrales comme celles désormais célèbres de Patrice Chéreau ou H. Kupfer. Notamment, on peut regretter l’idée dans L’Or du Rhin de doubler les personnages sur scène par des danseurs de ballet ou des personnages en ombres chinoises, parfois les deux.
L’idée est très forte : l’action que l’on voit n’est censée être comprise dans sa complexité qu’en comprenant la situation décrite par la musique (les leitmotiv), les émotions des danseurs de ballet et les postures des ombres chinoises. Intelligent, mais sans doute too much.
La mise en scène est plus « simple » et accessible dans La Walkyrie et Siegfried, mais elle est à nouveau souvent dérangeante dans Le Crépuscule des dieux (malgré une astuce assez forte : après la destruction des dieux et du Walhalla, la lumière dans la salle éclaire les spectateurs pendant les dernières minutes : place aux hommes).
Mais l’image en haute définition est très belle. Notamment, on se réjouit d’avoir de nombreuses caméras dans la fosse d’orchestre, permettant de beaux plans sur Barenboïm et les instrumentistes. L’orchestre de la Scala est magnifique, et supérieurement enregistré : certains passages orchestraux (la marche funèbre par exemple) sont même incroyables.
Barenboïm et son orchestre très fourni (six harpes dans Siegfried) sont largement ovationnés, c’est mérité.